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Mossoul : les réfugiés piégés dans le désert irakien attendent l'aide internationale

L’État islamique leur a pris leur maison et ils ont fui. Maintenant ces villageois luttent contre des conditions climatiques pénibles, de graves pénuries d’eau et des réserves insuffisantes en combustible
Chasab Halaf et les onze membres de sa famille vivent dans l’unique pièce d’une tente, près de Guli (Tom Westcott/MEE)

MOSSOUL, Irak – Quand, en 2014, les combattants du groupe État islamique (EI) ont attaqué les maisons en torchis de Guli, petit village assoupi du désert irakien, la communauté de fermiers, qui parvient à peine à vivre de l’élevage de moutons, n’a pas eu d’autre choix que d’accepter de subir leur loi implacable.

Aux yeux de l’État islamique, la colline qui s’élève à proximité de Guli offre une vue imprenable sur les plaines irakiennes désertiques. Le village a donc pris une importance stratégique. Après des séances publiques de flagellation et de broyage de doigts (parfois seulement pour avoir été pris en train de fumer), les villageois, terrorisés, soumis et réduits à l’impuissance, n’ont pu que regarder les combattants de l’EI percer la colline de galeries – non sans avoir profané le cimetière séculaire qu’ils ont trouvé au sommet – pour établir un réseau de passages et de pièces destiné à contrôler les alentours.

« Si vous étiez pris avec un téléphone, c’était l’exécution sommaire automatique »

- Ali Slebi, habitant de Guli

Quand l’armée irakienne a lancé son offensive contre Mossoul, les Unités de mobilisation populaire (Hashd al-Shaabi) du pays ont pris part à la lutte de libération des territoires désertiques tenus par Daech au nord-ouest de l’Irak. Dès novembre 2016, elles avaient atteint les faubourgs de la région de Tal Abta, où se trouve Guli.

Malheureusement, les villageois, privés par l’EI de tout moyen de communication avec le monde extérieur, n’avaient donc aucune conscience de l’imminence de leur libération.

« Nous n’avions aucune information parce que Daech nous interdisait de regarder la télévision et avait confisqué antennes paraboliques et téléphones », raconte Ali Slebi, 40 ans, à Middle East Eye. « Si vous étiez pris avec un téléphone, c’était l’exécution sommaire automatique ».

Irak, janvier 2017 : un combattant de Hashd al-Shaabi explore des galeries creusées par l’EI dans la colline de Guli (MEE/Tom Westcott)

Quand les bruits des combats ont résonné dans le désert, les tireurs embusqués de Daech ont pris leurs positions de guet dans les tunnels percés à flanc de coteau et les militants ont réquisitionné les maisons. Les villageois ont alors entassé famille et bétail dans leurs vieux tracteurs et leurs charrettes brinquebalantes et se sont enfuis pour trouver refuge dans les communautés voisines.

Un chapelet de modestes hameaux aux maisons en torchis – de peu d’importance stratégique pour Daech – leur a offert une relative sécurité. Du jour au lendemain, ils se sont transformés en un camp tentaculaire abritant 750 familles de réfugiés. La zone de Tal Abta fut débarrassée de Daech en seulement quelques semaines, mais Guli, dangereusement proche des lignes de combat, fut déclaré zone militaire.

Notre plus grand problème ? L’eau

Deux mois plus tard, les familles du village vivent toujours dans des tentes improvisées, soumises aux conditions impitoyables de l’hiver et à de graves pénuries d’eau, de nourriture et de combustible.

Janvier 2017 : un combattant de Hashd al-Shaabi monte la garde devant l’un des camps installés près de Guli (MEE/Tom Westcott)

« Nous n’avons pas une goutte de pétrole à faire brûler et les nuits sont très froides. On a beaucoup de mal à se chauffer », se plaint Chasab Halaf, 56 ans, qui habite un camp adossé au hameau de Boota al-Sharqia.

Il vit depuis deux mois avec les onze membres de sa famille dans une tente improvisée d’une seule pièce, ouverte aux quatre vents, une vieille couverture militaire de toile rapiécée tendue sur des poteaux de bois. La journée, la famille entasse soigneusement les couvertures et matelas qui encombrent la moitié de la tente, pour faire un peu de place où vivre et prendre les repas.

« L’armée apporte bien des bidons d’eau saumâtre et des sacs de produits alimentaires de base, mais c’est toujours insuffisant »

- Chasab Halaf, un habitant

Pourtant, le plus grand problème, explique Halaf, c’est encore l’eau.

« La seule eau dont nous disposons est salée, donc pas potable. Nous buvons donc le peu d’eau de pluie que nous parvenons à recueillir », explique-t-il. « Mais quand il ne pleut pas, c’est un gros problème. »

Un de ses fils revient, tenant un bol de la précieuse eau de pluie, d’une couleur boueuse. La femme de Halaf se plaint de devoir utiliser constamment de l’eau saumâtre pour se laver et cuisiner, car les plus jeunes enfants souffrent d’irritation cutanée.

Mohammed Thallag, 50 ans, se tient debout au milieu des tentes misérables où gambadent librement moutons et chèvres – le seul moyen de subsistance des villageois.

« Ces deux derniers mois, environ 4 000 personnes sont venues habiter dans ces camps », relève-t-il. « Quand les combat ont éclaté, nous avons fui avec seulement ce que nous avions sur le dos. La vie est donc très difficile ici. »

« Nous souffrons de graves pénuries d’eau, de nourriture et de combustible. L’armée apporte bien des bidons d’eau saumâtre et des sacs de produits alimentaire de base, mais c’est toujours insuffisant ».

Comment secourir ces lointains réfugiés ?

Hamid Al-Yassree, commandant de Hashd al-Shaabi, assure que ses soldats font au mieux pour subvenir aux besoins humanitaires des communautés déplacées. Ils apportent régulièrement eau et nourriture ainsi que l’aide fournie par le bureau du grand clerc irakien Al-Sayyid Ali al-Husseini al-Sistani. Un jour, un camion transportant de l’aide envoyée par l’ONU a réussi à franchir les lignes.

« Pour l’instant, nous arrivons à assurer la sécurité alimentaire de toutes ces familles », assure-t-il dit. « Ce sont les civils qui nous préoccupent le plus : nous savons que ce sont des gens simples – des fermiers, des bergers – qui ont enduré le pire entre les mains de Daech ».

Janvier 2017 : un des camps près de Guli abrite environ 4 000 personnes (MEE/Tom Westcott)

Les ressources de Hashd al-Shaabi sont toujours en passe d’être épuisées : elles doivent déjà subvenir aux besoins des milliers de soldats en première ligne contre l’EI, sur un front qui s’enfonce dans le désert sur des centaines de kilomètres.

Les organisations d’aide internationales reconnaissent qu’il est délicat d’accéder à ces camps perdus loin dans le désert et les rouages des ONG donnent l’impression d’être un peu grippés. Jusqu’à cette semaine – où pour la première fois leur sont enfin parvenus les moyens de répondre à leurs divers besoins –, ces déplacés internes confient qu’ils se sentaient pratiquement oubliés.

« Ce sont les civils qui nous préoccupent le plus : nous savons que ce sont des gens simples – des fermiers, des bergers – qui ont enduré le pire entre les mains de Daech »

- Hamid Al-Yassree, commandant de Hashid Shaabi

L’équipe de communication d’UNICEF-Irak énumère toute l’aide distribuée lundi à 2 500 familles de la région de Tal Abta : bouteilles et comprimés de purification d’eau et vêtements d’hiver, et huit réservoirs d’eau installés près des sources pour essayer de combler ce besoin, le plus urgent.

Oxfam travaille aussi activement à atteindre ces déplacés piégés dans le désert irakien. « Jusqu’à présent, Oxfam a eu accès à trois camps de la région. Ils sont en piètre état, et il n’y a pas assez de tentes pour tout le monde. Certains accueillent des déplacés internes au sein de la communauté », note Thomas Robinson, responsable de l’équipe d’urgence d’Oxfam en Irak.

« Nous savons bien qu’il existe des camps encore plus grands et nous préparons une évaluation. Nous n’avons pas encore pu livrer de l’aide à ces camps spécifiques mais en avons distribué directement dans les régions tenues par Hashd al-Shaabi. »

Matchs de foot sur fond de désespoir

Al-Yassree tient à dire que la priorité c’est de permettre à tous ces gens de retrouver leur maison. Il ajoute : « Tout ce qu’on pourra leur fournir ne vaudra jamais de retourner chez eux, nous en sommes bien conscients. De plus c’est l’hiver, il fait très froid ».

Irak, janvier 2017, près de Guli : des combattants de Hashd al-Shaabi jouent au foot avec les résidents du camp (Tom Westcott/MEE)

Mais beaucoup de familles déplacées devront attendre que les ingénieurs militaires aient vérifié qu’il ne reste dans leur petite maison basse en torchis aucune bombe improvisée ni engin non explosé.

Entre-temps, les troupes de Hashd al-Shaabi, à majorité chiite, s’efforcent de promouvoir l’intégration et d’instaurer une confiance réciproque entre unités militaires postées dans la région et population locale, à majorité sunnite.

Des événements ont été organisés, dont des matchs de foot réguliers dans le désert, entre soldats et jeunes du camp.

« Aujourd’hui, après deux ans et demi passés sous Daech, les gens ont l’impression d’avoir été libérés de prison », confie lors d’un match Al-Yassree, pendant que les équipes de foot s’alignent sur les marquages blancs fraîchement tracés sur le sable.

Des centaines d’hommes ont franchi par camion la distance entre leur camp et le terrain. Il se trouve à seulement six kilomètres de la ligne de front avec Daech. Les soldats ont donc patrouillé dans le désert environnant, tandis que les enfants, trop jeunes pour participer au match, ont échangé des balles. Avant le match, pendant et après, le public a chanté et applaudi, porté par l’espoir d’un Irak unifié et en paix.

Les jeunes inquiets pour l’avenir

Au milieu de cette liesse, quelques jeunes ne parviennent pourtant pas à faire taire leurs appréhensions : leur scolarité a été interrompue, les laissant face à un avenir morose, dans l’impasse.

Janvier 2017. Des combattants de Hashd al-Shaabi chantent et dansent dans le camp, après un match de football (MEE/Tom Westcott)

« Nous sommes 100 étudiants dans notre camp et notre vœu le plus cher, c’est retrouver le chemin de l’école et de l’université », affirme Mashan Sha’an, 21 ans. « Je venais à peine de commencer l’université et je préparais mon avenir mais, à cause de l’EI, j’ai gaspillé trois années importantes ».

La carrière de son ami Abdulaziz, 20 ans, qui se destinait à devenir imam, a été retardée de plusieurs années à cause de Daech. « J’étudiais au Collège coranique de Mossoul pour obtenir mon diplôme, mais il a fallu qu’arrive l’EI », regrette-t-il. « Je pense que tous ceux qui avaient commencé la fac en même temps que moi ont depuis obtenu leur diplôme – pas moi ».

Depuis l’automne 2016, les forces de Hashd al-Shaabi ont libéré plus de 4 500 km² de désert irakien et plus de 181 villages et hameaux.

Un porte-parole affirme qu’elles ont ouvert six camps autour de Qayarrah. Ils abritent environ 25 000 familles et les organisations d’aide internationales peuvent les atteindre sans trop de difficultés.

En revanche, tous ceux qui vivent dans les nombreux camps temporaires de moindre importance éparpillés dans ces régions désertiques nouvellement libérées risquent d’être un peu délaissés – et ils sont trop éloignés pour que l’aide internationale leur parvienne régulièrement.

Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabiès.

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