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Prix Nobel de la paix : le Moyen-Orient toujours présent parmi les favoris

Les efforts de paix au Moyen-Orient pourraient remporter le prix Nobel de la paix cette année, mais les précédents lauréats n'ont pas permis de mettre fin à la violence dans la région
Yasser Arafat et Shimon Peres ont partagé le prix Nobel de la paix en 1994 (Reuters)

NEW YORK, États-Unis – Le Moyen-Orient se vante d’avoir eu un grand nombre de lauréats au prix Nobel de la paix. Mais la profusion de gagnants, de la Tunisie au Yémen, a rarement amené le calme qu’est censée promouvoir la récompense scandinave tant convoitée.

Cette tendance pourrait se poursuivre le 6 octobre, quand les cinq membres du Comité norvégien du prix Nobel annonceront le champion de l’année sur une liste de 318 candidats, parmi lesquels plusieurs offres à de constants points chauds du Moyen-Orient.

Parmi les favoris des boomakers : les architectes de l’accord nucléaire avec l’Iran, le groupe syrien des Casques blancs, les journalistes turcs persécutés et ceux qui apportent leur aide au flux des réfugiés en provenance des conflits de la région.

Le fait que les jurés du Nobel gravitent autour de la région « n’est pas vraiment surprenant », affirme Henrik Urdal, directeur de l’Institut de rechercher de la paix d’Oslo (PRIO), à Middle East Eye. Les Syriens, les Irakiens, les Yéménites et les Palestiniens endurent parmi les conflits les plus préoccupants au monde.

« Même les défenseurs de l’accord sur le nucléaire iranien ne diraient pas que la relation entre les États-Unis et l’Iran évolue dans une bonne direction »

-Sigurd Neubeur, analyste

Mais dans la région, le bilan du prix, d’une valeur d’1,1 million de dollars (930 000 euros), est inégal. La Tunisie a avancé à grands pas vers la démocratie depuis que le quartet du dialogue national a remporté le prix en 2015, mais d’autres lauréats de la région ont continué à déclencher des guerres ou à faire en sorte qu’elles s’enveniment.

Le leader israélien Menahem Begin ordonna l’invasion du Liban en 1982, quatre ans après avoir partagé le prix avec l’Égyptien Anouar el-Sadate pour les accords de paix de Camp David. Yasser Arafat, Shimon Peres and Yitzhak Rabin, les négociateurs des accords d’Oslo en 1994 entre les Israéliens et les Palestiniens ont partagé un Nobel mais leur paix fut de courte durée.

Selon Sigurd Neubauer, analyste norvégien spécialisé sur le Golfe, de vieilles questions à propos de la crédibilité des juges, sur le fait que leurs motivations sont arbitraires et politiques, sont posées une peu plus fort que d’habitude ce mois-ci.

En partie parce que la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi est la dernière d’une longue série de lauréats qui ont déçu. Elle a remporté le prix Nobel alors qu’elle se trouvait sous résidence surveillée en 1991, mais a été critiquée pour ne pas avoir mis un terme à la vague d’assassinats, de viols et de villages incendiés soutenus par l’État contre les musulmans rohingyas.

Des réfugiées rohingyas et leurs enfants (AFP)

Dans ce contexte, MEE examine les candidats les plus prometteurs de la région pour 2017.

1. Les architectes de l’accord sur le nucléaire iranien

Si l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 avait besoin d’un coup de pouce, ce serait le moment.

Le président américain Donald Trump l’a qualifié de « gênant » pour son pays et a laissé entendre qu’il pourrait l’abandonner à l’échéance du 15 octobre, date à laquelle il doit dire au Congrès s’il « certifie » à nouveau que l’Iran respecte les termes de l’accord.

L’accord, qui a permis une levée des sanctions commerciale sur l’Iran en contrepartie d’une réduction de son programme nucléaire, a été critiqué par les partisans d’une ligne dure, à Washington comme à Téhéran, mais est toujours soutenu par ses cosignataires, la Russie, la Chine et les Européens.

À LIRE : Dans quelques semaines, l'accord sur le nucléaire iranien pourrait être mort

Un Nobel, qui tomberait à point nommé pour le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, et la cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini, rappellerait à Washington que l’accord « bénéficie d’un soutien international », souligne Henrik Urdal.

Cela dissuaderait le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un de poursuivre les tests nucléaires et de revenir à la table des négociations, ajoute-t-il.

Mais tout le monde n’est pas d’accord. « Même les défenseurs de l’accord sur le nucléaire iranien ne diraient pas que la relation entre les Etats-Unis et l’Iran évolue dans une bonne direction. Et les relations entre Téhéran et ses voisins sont pires que ce qu’elle ont été depuis des années. »

2. Les Casques blancs et le chef du groupe, Raed al-Saleh

Si les prix sont attribués à des manifestations d’héroïsme, les équipes de la Défense civile des zones tenues par les rebelles en Syrie seraient le parfait lauréat. Ils sont largement salués pour se précipiter dans les immeubles frappés par des bombes et retirer les survivants des décombres.

« Ce n’est pas leur métier, comme les Nations unies. Ils sont volontaires, ils risquent leur vie pour les autres », relève Neubauer.

Le groupe, créé en 2013, comprend parmi ses 3 000 membres des boulangers, des tailleurs, des charpentiers et des électriciens. Ils sont 130 à avoir été tués.

Bien qu’ils prétendent vouloir rester neutres et sauver les gens quel que soit leur camp, ils sont controversés. Le groupe a été créé par les États-Unis, les Pays-Bas et d’autres membres de l’OTAN, revendiquant de travailler contre le gouvernement syrien et ses alliés russes et iraniens.

« Alors que le conflit s’éloigne un peu plus des priorités du monde, la récompense mettrait en lumière l’enfer continu déclenché contre les civils et le refus de la communauté internationale de mettre un terme à cela », estime Anna Nolan, directrice de The Syria Campaign, à MEE.

Les prix Nobel de la paix, la Yéménite Tawakkol Karman et l’Iranienne Shirin Ebadi, posent dans le camp de réfugiés d’al-Zaatari, en Jordanie, le 30 novembre 2016 (Reuters)

3. Les champions des réfugiés

Les réfugiés restent en tête de l’agenda mondial. Le nombre de personnes déracinées dans le monde a atteint cette année 65,6 millions, un record. Selon le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (UNHCR), plus de la moitié d’entre eux sont originaires du Moyen-Orient et d’Afrique.

L’UNHCR et son chef italien, Filippo Grandi, sont présentés comme favoris pour gagner le prix Nobel cet année. L’agence a déjà remporté le prix deux fois, en 1954 et 1981 – lors de précédents pics de réfugiés.

La balance pourrait aussi pencher en faveur de la chancelière allemande Angela Merkel, qui a permis à un million de réfugiés de venir en Allemagne au plus fort de la crise, en 2015, et pour avoir encaissé le coup dans les urnes, lorsque les partis anti-immigration ont obtenu de bons résultats lors des élections du mois dernier.

Bien que Merkel et l’UNHCR ont apaisé les souffrances humaines, ils ne se sont pas attaqués à la racine du mal, relève Henrik Urdal. « Il n’y a toujours pas d’initiative mondiale forte pour résoudre la crise des réfugiés », conclut-il.

Le nombre de personnes déracinées dans le monde a atteint cette année 65,6 millions, un record (AFP)

4. Les autres candidats

Les jurés pourraient se conformer à la tradition en utilisant les Nobel pour censurer les gouvernement autocratiques – comme ils l’ont fait pour le dissident chinois Liu Xiaboo en 2010 ou l’avocate iranienne des droits de l’homme Shirin Ebadi, en 2003.

Le prix pourrait aussi revenir au quotidien turc Cumhuriyet à son ancien rédacteur en chef Can Dundar, victime de la répression du président Recep Tayyip Erdoğan contre les opposants après le coup d’État raté de 2016.

Parmi d’autres candidats au Moyen-Orient figurent le bloggeur saoudien Raif Badawi et l’avocat palestinien emprisonné Marwan Barghouti. Ils ont face à eux des concurrents sérieux comme le pape Francis et le bloc d’États d’Afrique de l’Ouest ECOWAS, qui a facilité la transition politique en Gambie.

Le sultan d’Omar, Qabus ibn Saïd, possède une page Facebook dédiée à lui obtenir un Nobel. Le monarque qui compte le plus d’années au pouvoir dans le monde arabe est salué pour calmer les tensions entre les Arabes et les Israéliens, Washington et Téhéran et pour aider à sortir du conflit au Yémen.

« A-t-il déplacé les montagnes ou négocié la détente magique entre l’Arabie saoudite et l’Iran ? Non. Mais il a fourni des solutions claires et tangibles », admet Neubauer. « La question reste : est-ce que le prix récompense les efforts et les petits résultats de toute une vie, ou couronne un succès ? »

Traduit de l'anglais (original).

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