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Surenchère nucléaire entre l’Arabie saoudite et l’Iran

En lançant son premier réacteur nucléaire, Riyad dévoile des ambitions qui remontent aux années 1980
L’Arabie saoudite semble décider à acquérir le statut de puissance nucléaire (AFP)

L’Arabie saoudite a récemment franchi « une étape importante » dans son programme de recherche et de développement dans le domaine nucléaire, relève le site Arms Control Wonk qui suit l’actualité des armes de destruction massive dans le monde. 

La publication relève aussi que cette nouvelle étape franchie mettra le royaume devant la dure réalité des garanties de transparence en matière de nucléaire.

Le 6 novembre, l’Arabie saoudite a annoncé le début du chantier du premier réacteur nucléaire du pays, une installation de recherche d’une puissance nominale de 100 kilowatts. 

Traduction : « L’Arabie saoudite en 2019 aura besoin d’un nouvel arrangement de garanties de l’AIEA car son protocole existant ne s’appliquera plus » (compte Twitter de Mark Hibbs, l’auteur de l’article publié dans Arms Control Wonk)

Selon les médias locaux, le réacteur sera alimenté avec de l’oxyde d’uranium faiblement enrichi et sera prêt à fonctionner d’ici fin 2019.

Riyad est signataire du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) depuis 1988. 

Cette signature a permis de signer avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) un accord de garanties globales bilatéral (ACS) et surtout de se prémunir des contrôles invasifs de l’agence en ratifiant le protocole limitatif dit « Small Quantities Protocol » (SQP).

Avec la construction de cette centrale, Riyad devra abroger le SQP et négocier des accords subsidiaires avec l’AIEA afin de permettre à l’agence de protéger le nouveau réacteur, son combustible et ses déchets

Ce régime exempte le pays signataire de l’obligation d’accueillir les inspections de sécurité de l’AIEA à condition de détenir de très petites quantités de matériaux radioactifs et d’avoir très peu d’activités pratiques dans le domaine du nucléaire. 

Avec la construction de cette centrale, Riyad n’aura plus le choix : elle devra abroger le SQP et négocier des accords subsidiaires avec l’AIEA afin de permettre à l’agence de protéger le nouveau réacteur, son combustible et ses déchets.

Une mise à jour du « Small Quantities Protocol » 

L’AIEA a introduit le régime SQP au début des années 1970 comme mécanisme visant à inciter les États ayant peu ou pas d’activités nucléaires à adhérer au TNP. 

Le SQP a permis à ces États de respecter leurs obligations en matière de garanties en vertu du TNP sans imposer d’obligations contraignantes en matière de rapports ou contrôles.

En 2005, l’agence a mis à jour son modèle de SQP vieux de trente ans et le Conseil des gouverneurs de l’AIEA a limité l’éligibilité des États à ce protocole. 

À LIRE ► L’Arabie saoudite et les terrifiants enjeux du nucléaire

La version mise à jour corrige certains déficits de vérification dans le texte original, notamment l’absence de nécessité d’accès pour les inspecteurs de l’agence d’État mises à jour. 

Sur les 88 États signataires du protocole, 46 ont volontairement adopté la mouture modifiée et sont désormais tenus de soumettre des mises à jour annuelles de la déclaration de l’État, de déclarer les importations et les exportations de matières nucléaires supplémentaires, et de fournir des informations de conception à l’AIEA comme préalable à n’importe quelle construction nouvelle.

Le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Yukiya Amano, lors de la réunion du conseil des gouverneurs, le 22 novembre 2018 au siège de l’AIEA à Vienne, en Autriche (AFP)

En 2005, l’Arabie saoudite a été le dernier État membre de l’AIEA à conclure un SQP sur la base des exigences et conditions initiales. 

Depuis, l’agence atomique a demandé aux Saoudiens et aux autres États membres du SQP, d’appliquer les modifications. Jusqu’à présent, Riyad a fait la sourde oreille.

De toutes les façons, les Saoudiens seront hors SQP dès l’année prochaine et devront se conformer aux inspections. 

L’agence atomique a demandé aux Saoudiens et aux autres États membres du SQP, d’appliquer les modifications

S’ils refusent de le faire, les conventions internationales feront en sorte que les pays exportateurs de matériaux fissibles n’aient plus le droit de fournir l’Arabie saoudite. 

Qu’en est-il des capacités nucléaires militaires saoudiennes ?

Depuis 1979 et la révolution iranienne, l’Arabie saoudite caresse le rêve de détenir des armes nucléaires. Plusieurs pistes ont été choisies par Riyad pour y parvenir.

Pacte secret 

Après la conception de la « bombe islamique » par le Pakistan en 1974, le président pakistanais Zia-ul-Haq a visité l’Arabie saoudite en 1980. 

À cette époque, il aurait dit au roi Khaled ben Abdelaziz : « Ce que nous avons réussi à faire est à vous ». 

En 2003 le Washington Times avait titré sur un pacte nucléaire secret entre Islamabad et Riyad. 

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EN 2006, le magazine allemand Cicero suggérait aussi, photos satellites à l’appui, que l’Arabie saoudite avait reçu, à la même époque, un certain nombre d’ogives nucléaires. 

Le but de l’aide pakistanaise était double : aider Riyad à contenir les Iraniens et contrer l’accord nucléaire et le rapprochement israélo-indien.

Ce qui est moins connu, c’est que l’Arabie saoudite avait aussi misé sur Saddam Hussein et l’industrie nucléaire irakienne pour accéder à la technologie atomique. 

Riyad avait intensifié sa collaboration avec l’Irak de Saddam Hussein dans le domaine nucléaire (AFP)

En 1981, après la destruction israélienne du réacteur irakien d’Osirak, Riyad aurait proposé de payer les frais de reconstruction. 

En 1985, les ingénieurs saoudiens collaboraient étroitement avec leurs homologues irakiens. En 1994, l’Irakien Mohamed el-Khilwi, chef adjoint de mission à l’ONU, a fait défection et avec lui des milliers de documents secrets.

Parmi la masse de copies volées par le transfuge passé à l’Ouest se trouvaient des documents prouvant que l’Arabie saoudite avait payé cinq milliards de dollars à l’Irak pour développer ses capacités nucléaires. 

Bandar ben Sultan, ambassadeur saoudien à Washington, rencontre son homologue chinois pour proposer une reconnaissance de la Chine à l’ONU contre des missiles balistiques DF-3

Les experts avancent généralement l’argument des vecteurs balistiques pour étayer la théorie du nucléaire militaire saoudien. 

En 1987, alors que Riyad ne reconnaissait même pas la République populaire de Chineà l’ONU, le prince Bandar ben Sultan, ambassadeur saoudien à Washington, rencontre son homologue chinois en marge d’une réception et formule la demande de son pays de se doter de missiles balistiques DF-3 contre une reconnaissance express de la Chine continentale à l’ONU.

Le pacte est conclu dans la discrétion la plus totale. À la fin de l’année, les premiers missiles sont livrés.

Des missiles chinois pour Riyad

En 2013, Pékin fait mieux et propose son missile balistique mobile dernier cri aux Saoudiens, le DF-21

Ses capacités sont impressionnantes : 1 700 kilomètres de portée et jusqu’à 600 kilotonnes de charges nucléaires pour la tête militaire. 

Là aussi, l’Arabie saoudite fait fi de la réglementation internationale (MTCR) qui réduit à 300 kilomètres la portée maximale des missiles tactiques proposés à l’exportation.

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En résumé, si aujourd’hui l’Arabie saoudite ne dispose pas encore de l’arme atomique, elle serait capable de l’avoir à tout moment. 

En octobre 2013, Amos Yadlin, ancien chef du renseignement israélien affirmait lors d’une conférence en Suède, que dans le cas d’une avancée sur le programme nucléaire iranien, « les Saoudiens n’allaient pas attendre ne serait-ce qu’un mois et se tourneraient vers le Pakistan. Ils ont déjà payé, ils l’auront ».

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