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Merna al-Hassan, la journaliste syrienne récompensée pour son courage, au cœur d’Idleb

Pour la première fois, l’International Women’s Media Foundation a décerné son prix du « Courage en journalisme » à une Syrienne. Merna al-Hassan, 26 ans, raconte Idleb et sa région malgré les menaces et les réprobations. Portrait
Merna al-Hassan en plein reportage à Idleb en mars 2020 (MEE/Céline Martelet)
Par Céline Martelet à IDLEB, Syrie et PARIS, France et Édith Bouvier

Une caméra toujours à portée de main, Merna al-Hassan vit à 100 à l’heure et enchaîne chaque jour des reportages dans la zone d’Idleb. La région est la dernière poche de résistance qui échappe encore au contrôle de Bachar al-Assad.

La jeune Syrienne de 26 ans débarque toujours au volant de sa voiture noire. La journaliste aime conduire, et ne laissera personne lui dire que prendre le volant seule est dangereux – et pas très bien vu quand on est une femme. 

« C’est vrai, je suis une femme mais, vous l’avez vu, je conduis seule ma voiture et je vais où je veux même en dehors de la ville d’Idleb », déclarait-elle à Middle East Eye à son domicile en mars 2020.

« Personne ne me fixera de limites et ça ne pose pas de problèmes. Nous avons des enfants à qui nous devons montrer l’exemple. »

« Cela montre qu’une femme peut réussir »

Merna al-Hassan a été récompensée le 20 mai dernier par l’International Women’s Media Foundation. Chaque année, cette fondation met à l’honneur quatre femmes qui se sont illustrées pour leur courage au cours de reportages. C’est la première fois que le nom d’une journaliste syrienne figure au palmarès.

« Personne ne me fixera de limites et ça ne pose pas de problèmes. Nous avons des enfants à qui nous devons montrer l’exemple »

- Merna al-Hassan

Une énorme surprise pour Merna al-Hassan : « Vraiment, je ne pensais pas qu’ils le donneraient à une journaliste syrienne. Quand j’ai appris, il y a quelques mois, que j’étais nominée, je n’avais aucun espoir d’être récompensée », a-t-elle déclaré à MEE la semaine dernière par téléphone.

« Peut-être que nous vivons dans une situation tellement compliquée qu’on a perdu tout espoir, qu’on voit toujours tout en noir. »

Le prix a une importance toute particulière pour la jeune journaliste.

« Bien sûr, je suis heureuse d’être reconnue par cette fondation internationale parce que cela veut dire que mes reportages ont été suivis en dehors de la Syrie, que des gens partout dans le monde voient comment nous vivons ici à Idleb. Ça, c’est le plus important pour moi. »

L’autre combat, l’autre fierté de Merna al-Hassan, c’est de porter la parole des femmes syriennes.

« Ce prix récompense le travail d’une femme, cela montre qu’une femme peut réussir comme journaliste. Là où je vis, beaucoup trop de gens pensent que seuls les hommes le peuvent », explique-t-elle à MEE.

« Or, il y a des femmes ici qui travaillent dans de nombreux secteurs, des ingénieures, des docteures et des enseignantes. On y arrive et on doit le montrer au monde entier. » 

Une voix pour les civils d’Idleb

Merna al-Hassan n’avait que 17 ans lorsque la révolution a débuté en 2012. Trois ans plus tard, elle est contrainte d’interrompre ses études à l’université à cause de la guerre civile qui meurtrit son pays.

En septembre 2015, au moment où elle devait reprendre les cours, le gouvernement syrien, aidé de son allié russe, lance une violente offensive sur la région d’Idleb, où se massent de plus en plus de rebelles et leurs familles évacués des autres zones du pays après leur reconquête par l’armée syrienne.

Face aux bombes qui pleuvent sur sa ville, la jeune femme, comme d’autres activistes, refuse de se terrer et décide de raconter la situation des civils confrontés à la guerre. Elle apprend le métier jour après jour sur le terrain.

Son bureau est installé chez ses parents, dans sa chambre d’enfant où les drapeaux de la révolution syrienne se mêlent aux peluches et aux dizaines de sacs à main que la jeune femme collectionne. Comme beaucoup de jeunes syriens, Merna al-Hassan est partagée entre son envie de vivre normalement et son besoin de témoigner.

La journaliste travaille pour plusieurs médias internationaux à qui elle envoie régulièrement des images sur la vie des civils.

« Nous, les gens d’Idleb, on nous décrit trop souvent comme des gens dangereux. Moi, je veux montrer qu’il y a ici des civils, et qu’on a le droit de vivre. On demande juste la liberté et la dignité »

- Merna al-Hassan

Depuis décembre dernier, de nombreuses familles ont dû fuir leurs maisons sous les bombes et sont contraintes de vivre dans des conditions très difficiles. La région d’Idleb abrite désormais près de 3,5 millions de personnes, en majorité des déplacés.

Une situation terrible que la jeune femme refuse d’accepter sans rien dire.

« Je ne veux plus qu’on nous voie comme des sous-êtres humains, incapables de savoir vivre. Nous, les gens d’Idleb, on nous décrit trop souvent comme des gens dangereux. Moi, je veux montrer qu’il y a ici des civils, et qu’on a le droit de vivre. On demande juste la liberté et la dignité. »

Une journaliste face aux menaces

Voile coloré toujours assorti à sa tenue, la journaliste couvre toutes les manifestations contre le président syrien, toutes les initiatives de résistance de la population, aux côtés de ses confrères, des hommes pour la plupart.

Merna al-Hassan n’entend même plus les réflexions de certains manifestants qui préféreraient la voir porter une abbaya, ce long vêtement noir qui recouvre tout le corps. Elle repousse sans retenue ceux qui osent venir perturber son travail.

Aujourd’hui, la jeune syrienne est connue dans toute la région d’Idleb. Son visage a fait le tour des réseaux sociaux. Selon le Centre syrien des médias, une soixantaine de femmes journalistes travaillent dans la région d’Idleb, mais elles se font souvent discrètes. Sur les réseaux sociaux, Merna al-Hassan a choisi, elle, de montrer son travail pour porter la voix de l’opposition syrienne au-delà des frontières.

Sur Twitter, Instagram, Facebook, la jeune femme poste chaque semaine des vidéos, des photos et même des selfies pris au milieu des immenses camps de déplacés autour d’Idleb ou dans les décombres d’un bâtiment visé par l’aviation du gouvernement ou son puissant allié russe.

Fin février, sur ces mêmes réseaux sociaux, Merna al-Hassan a été prise pour cible par des partisans de Bachar al-Assad. La jeune journaliste les a affrontés sans jamais baisser les yeux.

« Je savais, depuis le début, que les choses ne seraient pas faciles pour moi. J’ai déjà reçu des menaces de mort »

- Merna al-Hassan

« J’ai été la cible d’insultes, non seulement sur moi mais aussi sur ma famille. Ce n’était pas la première fois. Je savais, depuis le début, que les choses ne seraient pas faciles pour moi. J’ai déjà reçu des menaces de mort », confie-t-elle à MEE.

« Mais je ne me cache pas, je n’ai pas peur. Je sais que la plupart de ces intimidations viennent des partisans ou même des membres du régime de Damas. »

Cette violente campagne de diffamation a été dénoncée par Reporters sans frontières. La Syrie occupe la 174e place sur 180 dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par l’ONG.

Merna al-Hassan sait qu’elle doit prendre au sérieux ces menaces. Le gouvernement a déjà ciblé de nombreuses jeunes figures de l’opposition syrienne, certaines ont été arrêtées, torturées et parfois tuées dans les prisons du pouvoir.

Alkal G. Idmon et Hussam Hammoud ont contribué à ce reportage à Idleb.

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