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L’attentat contre le consulat pourrait avoir anéanti une solution politique au conflit en Égypte

Le groupe responsable de l'attaque a réussi du point de vue militaire et politique, mais le gouvernement peut maintenant resserrer son emprise sur l'Égypte
Photo : Un policier égyptien dans les décombres à l’endroit où une bombe puissante a explosé et dévasté le consulat italien au Caire le 11 juillet 2015 (AFP)

Une sourde et profonde explosion a résonné partout dans le centre du Caire à 6h30 samedi matin. Elle a réveillé la plupart des résidents des quartiers centraux de la capitale égyptienne et détruit un côté du consulat italien.

La bombe a été apparemment placée sous une voiture garée dans une petite ruelle à côté du consulat et bourrée de 450 kilos d'explosifs. Selon les autorités égyptiennes, l’explosif utilisé serait le même que celui de l'assassinat ciblé du procureur général Hisham Barakat, une attaque qui n’a encore pas été officiellement revendiquée.

Une déclaration prétendument communiquée par le groupe État islamique a revendiqué la responsabilité de l'explosion au consulat italien. Cependant, la déclaration est la première en son genre à ne pas nommer l'État islamique « Wilayat Sinaï » (Province du Sinaï), mais seulement « Égypte ». Il est intéressant de noter aussi que la déclaration parle généralement des « soldats de l'État islamique » comme étant responsables de l'exécution de l'attaque.

Une différence sémantique d’apparemment peu d’importance qui, cependant, cache une série de mystères sur la revendication. Ansar Beit al-Maqdis (ABM), le principal groupe militant opérant dans le Sinaï, a prêté allégeance à l'État islamique en novembre 2014 et, depuis lors, a utilisé le nom Wilayat Sinaï ou État islamique de la Province du Sinaï (ISSP). La galaxie de groupes armés opérant en Égypte continentale qui a simplement collaboré avec ABM a décidé, à la place, de rester autonome par rapport au califat, tandis que l'ISSP a concentré ses efforts sur l'insurrection dans le nord du Sinaï.

Chaque attaque perpétrée par des militants fidèles au groupe État islamique a été, jusqu'ici, revendiquée par Daech en utilisant sa branche égyptienne. Le communiqué publié après l'attaque contre le consulat italien ne mentionne pas la province du Sinaï, mais fait seulement référence au pays dans lequel l'attaque a eu lieu. C’est un précédent dangereux, car les mêmes termes ont été utilisés par Daech après l'attaque de Sousse en Tunisie.

Il est plausible que l'attentat ait été planifié directement par le siège social du groupe État islamique en Syrie sans que l’ISSP n’en sache rien. Ces dernières semaines, il y avait des rumeurs de pressions du commandement de Daech pour que Wilayat Sinaï intensifie son offensive, à la fois dans le Sinaï et  en Égypte continentale. L’ISSP aurait répondu positivement pour l'attaque sur Sheikh Zoweid le 1er juillet, en externalisant une attaque en Égypte continentale ou en refusant d’y prendre part.

Ainsi, la direction du califat aurait complètement ignoré l’ISSP, préférant compter sur d'autres acteurs ou agir directement. Dans ce cas, Daech aurait pu utiliser une cellule formée en Libye ou un groupe agissant sous le commandement direct de Racca.

Ou encore, le commandement de Daech aurait pu être informé à la dernière minute, alors que l'attaque avait été planifiée et réalisée par un - ou plusieurs - des groupes militants opérant en Égypte, finalement réunis en un front commun ou sous la bannière du califat.

Toutefois, il n'y a aucune déclaration concernant la naissance d'un nouveau groupe ou d'un groupe existant ayant prêté allégeance à l'État islamique.

Peu importe l'instigateur ou l'exécuteur, l'attaque pourrait marquer une autre étape effrayante dans l'escalade de la violence. La stratégie globale et les objectifs de l'attaque, cependant, ne diffèrent pas des autres constatés dans le passé. Les attaquants ont tenté de limiter le nombre de victimes civiles afin de ne pas s’aliéner un soutien potentiel à leurs actions.

L'objectif principal semblait être destiné à envoyer un message au gouvernement égyptien et à tous les cabinets étrangers qui soutiennent le gouvernement égyptien. Il a également été, dans l'ensemble, une grande opération de relations publiques du groupe État islamique qui voulait montrer qu'il peut frapper toute cible sensible et dénoncer l'incapacité des forces de sécurité pour sécuriser le pays. Ce faisant, Daech, ou le groupe responsable de l'attaque, espère attirer ceux qui sont aliénés et radicalisé ainsi que les membres mécontents de l'opposition islamiste qui se sont lassés de la ligne non-violente des Frères musulmans.

L’Italie attaquée ?

Immédiatement après l'attentat, le ministre italien des Affaires étrangères Paolo Gentiloni a déclaré que le bombardement était une attaque « contre l'Italie et l'Occident » et que le « terrorisme » ne peut être vaincu que par une large coalition de pays travaillant ensemble. Le Premier ministre italien Matteo Renzi a parlé au président Abdel Fattah al Sissi par téléphone et a déclaré plus tard : « Nous ne laisserons pas l’Égypte seule : l'Italie et l'Égypte sont et seront toujours ensemble dans la lutte contre le terrorisme ».

Politiquement, l'attaque pourrait renforcer la coopération déjà en cours entre l'Italie et l'Égypte sur la migration et le contre-terrorisme.

Était-ce, alors, une attaque directe contre l'Italie ?

Le timing et le placement de la bombe suggèrent que le consulat italien était en effet la cible, une hypothèse également confirmée par une source diplomatique italienne. La bombe a été placée sous une voiture dans une petite rue près du consulat, près de l'entrée des visiteurs. Il n'y avait pas d'autres cibles possibles ou de bâtiments à proximité.

Cependant, cela pourrait ne pas avoir été une attaque directe contre l'Italie. Tant sur le plan logistique et stratégique, le consulat italien aurait pu simplement représenter l'une des options les plus judicieuses pour une attaque.

Depuis des mois, les ambassades au Caire ont été averties par les forces de sécurité de la possibilité d'une attaque. Les ambassades canadienne et britannique ont été fermées pendant des semaines. D'autres pays ont délocalisé leurs services consulaires. Des mesures d'alerte et de sécurité maximales ont été mises en place à Garden City et Zamalek, les deux quartiers du Caire qui hébergent la majorité des ambassades européennes et occidentales.

L'Italie est l'un des nombreux pays européens à avoir une relation étroite avec le Caire et qui ferme les yeux sur la violation des droits de l'homme et les mesures répressives adoptées par le gouvernement Sissi. Le comportement du Premier ministre Matteo Renzi, cependant, ne diffère pas beaucoup de celle des autres gouvernements européens.

Le consulat italien est situé dans un bâtiment historique en plein centre-ville du Caire, entre la gare Ramsès et la place Tahrir. Le bâtiment, qui fait partie du patrimoine de la ville, est situé à l'une des intersections les plus encombrées du centre du Caire, où un dédale de rues reliant un côté de la ville à l'autre est généralement rempli par les voitures, les minibus, les vendeurs de rue et les personnes qui se rendent au travail.

Au cours d'une journée normale, il est tellement encombré que c’est un véritable défi pour passer devant. Le Pont du 6 octobre, l'une des artères les plus obstruées de la ville, se dresse également à droite du consulat. À côté du site de l'explosion se trouve un grand parking.

Le consulat italien, donc, aurait pu être plus exposé que d'autres bâtiments diplomatiques à une éventuelle attaque. Le bombardement a sûrement été conçu comme un signal pour les cabinets européens soutenant Sissi et le gouvernement, mais le choix d'attaquer l'Italie aurait pu être tout simplement logistique. Cet attentat a également montré la capacité du groupe à frapper toute cible au Caire et pourrait être la première attaque d’une longue campagne d’escalade de la violence.

L'attaque, cependant, renforce les deux côtés du conflit. De son côté, Daech ou le groupe qui a effectué l'attaque a certainement obtenu un succès à la fois d’un point de vue « militaire » et « politique ». Le gouvernement, cependant, peut resserrer son emprise sur une population effrayée mais aliénée en adoptant de nouvelles lois draconiennes et en réprimant l'opposition.

Les faiblesses des deux côtés sont bien couvertes, car le gouvernement prétendra toujours qu'il est en train de gagner la « guerre contre le terrorisme » dans le pays, et se posera encore plus comme la seule alternative crédible contre le « terrorisme » islamique sur lequel les gouvernements étrangers peuvent compter.

Le perdant, dans ce jeu d’escalade rapide, est une solution politique au conflit.

Traduction de l'anglais (original) par Emmanuelle Boulangé.

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