À Hénin-Beaumont, le Front national se vit au quotidien
HÉNIN-BEAUMONT, France - À Hénin-Beaumont, les habitants ne veulent plus entendre parler du Front national. Depuis l’accession de Steeve Briois à la mairie de la ville, le 30 mars 2014, ils ont vu défiler trop de journalistes. Trop de « diabolisation », trop de « raccourcis douteux à la télévision », expliquent-ils à Middle East Eye avec une pointe d’amertume.
Devenue l’emblème de l’implantation locale du Front national, la commune fascine. « Vous, les journalistes, vous feriez mieux de parler de ce qui va bien, plutôt que de chercher à donner une mauvaise image de la ville », assène Christophe, retraité de la métallurgie, en allumant une cigarette sur le trottoir.
Depuis l’arrivée du FN, « on se sent enfin écoutés », renchérit une femme âgée qui vit depuis sa naissance dans le centre-ville d’Hénin-Beaumont. « Eux au moins, ils s’occupent des problèmes concrets, ils répondent aux demandes », jette-elle par-dessus son épaule, avant de s’éloigner à petits pas.
« Le jour où le FN gagne, la vie ne change pas d’un coup. On va quand même chercher les enfants à l’école, on sort quand même chercher son pain »
-Marine Tondelier, élue écologiste
À l’hôtel de ville, dont le balcon aux quatre statues de mineurs témoigne du passé industriel de la ville, on se félicite d’apporter une réponse sous 24 heures aux administrés, quel que soit le problème rencontré. « Un vrai maire pour Hénin-Beaumont », proclamait le slogan de campagne de Steeve Briois en 2014.
Dans le journal municipal, Hénin-Beaumont c’est vous !, une liste complète des travaux et investissements en cours dans la ville est dressée mois après mois. La mauvaise gestion du maire socialiste sortant, Eugène Binaisse, y est régulièrement épinglée.
« Le jour où le FN gagne, la vie ne change pas d’un coup. On va quand même chercher les enfants à l’école, on sort quand même chercher son pain », explique Marine Tondelier, élue écologiste d’opposition. La jeune femme brune aux yeux verts perçants pointe cependant « une volonté populiste de plaire à tout le monde, et des méthodes en sous-main, derrière le masque souriant, qui montrent ce qu’est vraiment le FN ».
Berceau historique du socialisme
« Ce parti a un gros problème avec l’altérité, avec tout ce qui n’est pas eux », poursuit-elle. Dans le livre qu’elle vient de publier, Nouvelles du Front, l’élue d’opposition multiplie les exemples pour dénoncer le flicage et le harcèlement des employés municipaux, les encouragements à la délation, et l’élimination systématique de tout ce qui ne va pas dans le sens du pouvoir en place.
Elle cite le cas d’une « mère de famille, employée municipale, qui manque de perdre son travail à cause d’un simple commentaire posté sur Facebook », ou encore des journalistes du quotidien local, La Voix du Nord, « attaqués à chaque article qui n’est pas du goût de la mairie ».
« L’histoire de cette ville, c’est l’histoire d’une débâcle économique doublée d’une débâcle politique », et d’un « parti-vautour qui s’est emparé de sa proie au bon moment », résume Marine Tondelier.
Berceau historique du socialisme, la ville minière a vu fermer une à une toutes ses activités industrielles depuis les années 70. Pour les habitants, les difficultés s’accumulent. Dans le bassin minier, le chômage des jeunes atteint des sommets.
En 2007, encouragée par Steeve Briois, Marine Le Pen décide de faire d’Hénin-Beaumont son fief : elle y loue un appartement et s’inscrit sur les listes électorales de la commune. Les habitants se montrent particulièrement sensibles aux thèmes sociaux qu’elle développe : augmentation des bas salaires, retraite à 60 ans, préférence nationale.
L’année suivante, le maire socialiste Gérard Dalongeville, qui vient juste d’être réélu, est révoqué de ses fonctions et mis en examen pour « détournement de fonds publics, corruption, faux en écriture privée et usage de faux, favoritisme et recel de favoritisme ». Il sera condamné à quatre ans de prison, dont trois fermes, à 50 000 euros d’amende, et sera exclu du jeu politique.
Des problématiques strictement locales
Une élection municipale partielle est organisée en juin et juillet 2009. La division de la gauche profite à la liste FN de Steeve Briois, qui s’est présenté à chaque élection depuis 1995 et qui arrive largement en tête du premier tour. En réaction, un « front républicain », qui va de l’extrême-gauche à l’Union pour un mouvement populaire (UMP) se met en place.
Lors du second tour, le FN n’emporte pas la mairie mais réalise un score historique : 47,62 % des voix. Pour Marine Le Pen, c’est « une défaite qui a tout de même un petit goût de victoire ».
Lors des élections législatives de juin 2012, la commune voit s’affronter deux anciens candidats à la présidentielle : Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Front national contre Front de gauche. La première, battue au second tour par le candidat socialiste, voit son siège à l’Assemblée nationale lui échapper, tandis que Jean-Luc Mélenchon est éliminé dès le premier tour.
Pendant tout ce temps, Steeve Briois continue de tracter sur les marchés. Il fait campagne sur des problématiques strictement locales : problèmes de voirie, places en crèches et dans les maisons de retraite, redynamisation des commerces du centre-ville qui souffrent de l’implantation de centres commerciaux en périphérie.
Fils d’ouvrier et petit-fils de mineur, il est très accessible, parle le même langage que les Héninois. Il fait miroiter une baisse des impôts, une ville plus propre, une présence policière renforcée. En 2014, il finit par l’emporter.
À Hénin-Beaumont plus que partout ailleurs, la mairie FN se sait observée. Elle communique énormément, affiche une volonté de désidéologiser les dossiers municipaux. L’équipe municipale, omniprésente, mène une campagne permanente qui ravit ses administrés et laisse l’opposition désarmée. « Les trois années à venir seront encore riches : la quasi-totalité des propositions de notre programme sont déjà concrétisées, et nous avons encore beaucoup de nouveaux projets à l’esprit », écrit Steeve Briois dans l’édito du journal municipal de mars 2017. Et de promettre, en politicien aguerri désormais : « le plus beau reste à venir ».
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