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Mossoul : le magasin des plaisirs défendus par l'EI

L'État islamique a interdit dominos, jeux de cartes, narguilés et même chapelets. Des magasins de Mossoul offrent désormais à leurs clients tout ce qu’ils veulent
Dans le quartier d’El Jadida, le petit magasin où Abdel Halek vend tout ce qu’interdisait l’EI (MEE/Tom Westcott)

MOSSOUL, Irak – Dans sa boutique au coin d’une rue de Mossoul-Ouest, Abdel Halek, 16 ans, époussette ses étagères et contemple le trésor de marchandises qu’il peut désormais vendre sans craindre les représailles de l’État islamique.

Accessoires de téléphone mobile, jeux de cartes, dominos, chapelets – tous ces objets étaient interdits par l’État islamique et ils sont tous fièrement exhibés sur les rayonnages d’Abdel.

La fumée des attaques aériennes quotidiennes a disparu de sa banlieue d’El Jadida, théâtre de féroces combats où plus de 100 civils ont été tués par la coalition en une seule attaque aérienne.  Elle a été remplacée par la poussière des chantiers de construction, car les habitants ont repris courage : ils s’efforcent de déblayer les décombres et rebâtir logements et magasins sur les ruines de leur vie.

L’ère EI est désormais terminée. Désormais des volutes de fumée planent au-dessus des groupes d’hommes en train de tirer sur les tuyaux de leur chicha. Ils se livrent là à un plaisir hautement addictif et dangereux pour la santé, mais c’est l’une des libertés qu’apprécient les habitants de Mossoul depuis que sa libération leur permet d’y goûter à nouveau.

« Sous le règne de Daech, il était hors de question de s’adonner à ces plaisirs – mais c’est désormais possible »

- Abdel Halek, marchand de Mossoul

« Sous le règne de Daech, il était hors de question de s’adonner à ces plaisirs, mais c’est désormais possible », se réjouit Abdel, ravi de montrer le coin de son magasin où trône des chichas, son article phare, qui part comme des petits pains.

Les chichas occupent les vitrines et remplissent une étagère qui court sur toute la longueur du mur au fond de la boutique ; en dessous sont exposés les accessoires de narguilé et les odorantes boîtes de tabac à chicha.

Un peu plus loin, dans un autre magasin, un chauffeur de taxi rappelle qu’il a par deux fois été publiquement flagellé pour tabagisme, mais il n’arrive pas à vaincre son addiction.

Un jeune de 15 ans raconte comment son père et lui ont, pour avoir vendu des cigarettes, été emmenés dans une prison de l’EI et jetés dans une cellule, d’où ils entendaient les hurlements d’autres prisonniers soumis à la torture. Un homme a même été brûlé à mort sous leurs yeux.

Malgré tout, ils ont récidivé, puisque la vente de ces marchandises était le seul moyen de faire vivre la famille.

Sous le règne de l’EI, les fumeurs de Mossoul ont non seulement dû endurer des flagellations publiques, mais aussi payer les prix du marché noir. Une boîte de tabac à chicha coûtait 16 000 dinars (11 euros) sous Daech, prix justifié par les risques encourus par ceux qui osaient en faire commerce et les peines encore plus pénibles auxquelles ils étaient condamnés. Désormais, Abdel vend les mêmes boîtes pour l’équivalent d’environ 85 cents américains (80 centimes d’euros).

Chapelets, dominos et jeux de cartes étaient tous interdits par l’EI (MEE/Tom Westcott)

Une plaie quotidienne

Les autres rayonnages d’Abdel présentent des articles également interdits par l’EI – comme ce petit étal en bois duquel pendent des chapelets aux couleurs vives, accessoires religieux très populaires au Moyen-Orient.

« Un jour, j’en vendais à la sauvette et un gars de Daech m’a arrêté pour me dire que mes chapelets étaient haram [défendus] », se souvient Abdel.

« Il m’a menacé : ‘’Si je te revois avec ça, tu recevras des coups de bâtons sur la tête’’. Je ne suis donc plus jamais sorti avec des chapelets », a-t-il ajouté – en hochant sa tête, tellement lui semblait inconcevable qu’on puisse interdire un article fait pour encourager à prier.

Des boîtes de dominos et des jeux de cartes sont soigneusement rangés à côté de chapelets.

Quand l’EI a pris le contrôle de Mossoul, les résidents ne pouvaient même plus savoir ce qui était permis sous la tyrannie de Daech. Beaucoup se sont livrés à leurs hobbies habituels pour découvrir soudain qu’ils n’étaient plus autorisés.

Le frère d’Abdel s’est fait prendre par un combattant en train de jouer aux dominos au bord du Tigre. Il lui a appris que c’était défendu et, après l’avoir sermonné, les a ensuite jetés dans le fleuve.

« Comme tout était interdit sous Daech, la vie était d’un ennui mortel », déplore Abdel en levant les yeux au ciel. « On ne pouvait rien faire parce qu’on risquait toujours de se faire prendre et punir. On voulait sortir mais on avait trop peur ».

À Mossoul, des hommes se rassemblent pour fumer la chicha (MEE/Tom Westcott)

Comme beaucoup de ses amis, Abdel a passé le plus clair de ces trois années cloîtré à la maison à essayer de ne pas se faire repérer par l’EI : il fallait éviter d’avoir des ennuis et de se faire recruter par le groupe.

« Un jour, un membre marocain de l’EI m’a interpellé : ‘’Tu as le bon âge pour ça, pourquoi ne pas t’engager avec nous ?’’ ». Alors je lui ai dit que mon père me l’avait interdit, avant de prendre mes jambes à mon cou pour aller me cacher », raconte Abdel.

Quelques semaines plus tard, il s’est encore fait repérer par le même combattant, qui s’est plaint d’avoir du mal à recruter les habitants d’ici.

« ‘’Pourquoi personne ne veut faire le djihad ?’’, m’a-t-il demandé. ‘’Pourquoi restez-vous tous planqués chez vous ?’’ Je me suis contenté de baisser les yeux et de fixer le sol. Alors, il s’est enfin éloigné en disant, ‘’c’est bien dommage’’ », se souvient Abdel.

« Daech a tué des milliers des personnes – littéralement. C’était devenu une forme banale de divertissement »

- Abdel Halek

Après cet incident, il n’a quitté sa maison qu’en cas d’absolue nécessité.

Pendant toutes ces années, les gens s’ennuyaient ferme, au point qu’une poignée d’amis d’Abdel ont rejoint le groupe.

« Un de mes amis a adhéré parce qu’il avait envie de porter un fusil. Il croyait impressionner la galerie en jouant les Rambo », regrette-t-il, ajoutant que le salaire mensuel de 50 dollars (41 euros) de son ami n’était vraiment qu’une piètre compensation d’une vie de meurtres et de violence.

Une vie qui, dans son cas, fut de courte durée. Ce jeune, ainsi que d’autres combattants de l’EI, ont été tués dans une attaque aérienne pendant qu’ils prenaient leur petit-déjeuner dans une banlieue de Mossoul-Ouest, explique l’un de ses proches.

Abdel n’a que des souvenirs sinistres de sa vie sous Daech. « Daech a tué des milliers des personnes à Mossoul – littéralement. Tous les moyens étaient bons : ils les poignardaient ou un char tirait au canon dans la foule, c’était n’importe quoi. Ce genre de divertissement les amusait beaucoup ».

« Les gens s’y sont habitués et c’est devenu une forme banale de divertissement populaire. »

« Beaucoup d’habitants se rendaient aux exécutions. Je ne voulais pas y assister mais, parfois, on ne pouvait s’empêcher d’en voir, parce que Daech avait installé des télévisions dans les rues, où passaient en boucle les vidéos des exécutions locales ».

À Mossoul, les châteaux gonflables ont remplacé les exécutions publiques (Reuters)

Commerce de mobiles

Des centaines de civils ont aussi été tués pendant la bataille pour la libération d’El Jadida, d’où a fui la famille d’Abdel pendant un mois, aux pires moments des combats.

« Les attaques aériennes et les tireurs embusqués de Daech ont fait beaucoup de victimes et de nombreux bâtiments se sont effondrés », déplore-t-il, en montrant de la main plusieurs bâtiments écroulés de l’autre côté de la rue.

Les États-Unis ont reconnu en mai qu’une attaque aérienne ciblant deux combattants de l’EI a, le 17 mars, tué au moins 105 civils qui s’étaient mis à l’abri sous cette maison. Les habitants accusent les attaques aériennes d’avoir causé la mort d’innombrables autres victimes.

Devant son magasin, Abdel a installé un étal présentant des accessoires pour téléphone mobile – étuis aux couleurs vives, écouteurs et protections d’écran. Sous Daech, les portables étaient interdits et se faire prendre avec seulement une carte SIM était puni de mort pour « espionnage ».

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Tout en cherchant une protection d’écran pour un client, Abdel nous confie ses projets d’avenir.

« J’espère devenir médecin, mais il se peut aussi que je m’engage dans l’armée. Je voudrais reprendre ma scolarité, mais quelques écoles seulement ont réussi à rouvrir et elles sont surchargées – avec 65 étudiants par classe. Je me suis dit qu’il valait mieux attendre un peu et me consacrer plutôt à mon entreprise ».

Les habitants de Mossoul s’efforcent de refaire leur vie, mais leur plus grande crainte c’est la perspective terrifiante de voir Daech reprendre le contrôle de la ville.

Abdel avoue que chacun de membres de sa famille a préparé un petit bagage, qu’ils sont prêts à emporter dans leur fuite, à la moindre rumeur d’un retour des forces de l’EI.

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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