« Des répercussions énormes » : qu’implique la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël ?
Le président américain Donald Trump a annoncé ce mercredi le transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel Aviv à Jérusalem, et déclaré que son pays reconnaissait officiellement Jérusalem comme la capitale d’Israël.
Selon James Zogby, président de l’Arab American Institute, les annonces de Trump ne mettront pas fin au processus de paix parce qu’il n’y a pas de processus de paix. « Je ne vais pas non plus dire que cela discrédite les États-Unis, parce que les États-Unis ont déjà été discrédités en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien », a-t-il déclaré.
« Ce que je vais dire en revanche, c’est que c’est un geste stupide et risqué, car il va enflammer les passions et mettre des vies en danger. »
Les analystes préviennent que le symbolisme de cette décision, qui met à nue la partialité pro-israélienne de Washington, n’est pas seulement une insulte envers les Palestiniens, mais aussi envers les Arabes et les musulmans à travers le monde.
« Cela peut être la faiblesse de l’administration ; ils ne semblent pas comprendre la façon dont vibre Jérusalem à travers toute la région et le monde islamique »
- Graeme Bannerman, chercheur
Jérusalem est devenue le symbole d’un sentiment de douleur historique et de trahison pour le peuple arabe, a déclaré Zogby à Middle East Eye. « C’est la blessure qui ne guérit jamais, et cela mettrait simplement du sel dans la plaie. »
Graeme Bannerman, ancien analyste au Département d’État américain et chercheur au Middle East Institute, a souligné que lorsqu’il est question de Jérusalem, le symbolisme a toute son importance.
Interrogé sur ce que cela signifierait pour le processus de paix, il a répondu : « Quel processus de paix ? ».
Les négociations entre Israéliens et Palestiniens parrainées par les États-Unis afin de trouver une solution au conflit dans le cadre de la solution à deux États stagnent depuis 2014. Pendant ce temps, Israël continue d’étendre les colonies illégales en Cisjordanie.
Au cours de la campagne présidentielle américaine de 2016, Trump avait promis d’obtenir « l’accord ultime » mettant un terme au conflit.
Le président américain, qui se vante de ses talents de négociateur, a chargé son beau-fils, Jared Kushner, de relancer les pourparlers de paix entre le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne.
Reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël nuira aux tentatives de Trump de résoudre le conflit, a estimé Bannerman.
« Le processus n’a pas vraiment démarré, et cela ne l’aidera certainement pas le faire », a-t-il déclaré à MEE.
« Des répercussions énormes »
Selon un sondage de l’AAI publié mardi, 33 % des républicains sont favorables au transfert de l’ambassade à Jérusalem et 19 % veulent la maintenir à Tel Aviv, tandis que 48 % sont incertains ou indécis. Dans l’ensemble, seulement 20 % des personnes interrogées sont favorables au déménagement de l’ambassade.
Bannerman a déclaré que la reconnaissance de Jérusalem comme la capitale d’Israël était un geste de politique intérieure visant à tenir une promesse de campagne. Mais il a des « répercussions énormes » sur la position des États-Unis au Moyen-Orient, selon laquelle le statut final de Jérusalem devrait être déterminé dans le cadre d’un accord entre Israéliens et Palestiniens.
« C’est un changement fondamental dans la position de négociation américaine », a-t-il observé.
Les États-Unis resteront toutefois dans une position unique pour faire pression sur les deux parties, en particulier Israël, afin qu’elles fassent des compromis.
« Cela remet en question l’objectivité des États-Unis en tant que négociateur au Moyen-Orient, mais pour être honnête, cela fait 25 ans que les États-Unis ne sont pas des négociateurs impartiaux », a noté Bannerman.
« Déclarer que Jérusalem est la capitale de l’éternel État juif, c’est essentiellement rejeter l’autodétermination palestinienne, en rejetant notre droit à un État indépendant »
- Hatem Abudayyeh, activiste palestino-américain
Hatem Abudayyeh, co-fondateur du Réseau de la communauté palestinienne américaine, a déclaré que la décision de Trump n’était pas surprenante, mais qu’elle reflétait la vision du monde du président américain.
« Il est clair qu’il a un réel manque de connaissance, de compréhension et même de respect pour l’histoire, pour la communauté internationale, pour les droits des peuples et des nations », a-t-il indiqué à MEE.
Selon Abudayyeh, la politique étrangère de Trump est axée sur l’affaiblissement du Hezbollah libanais, de la Syrie et de l’Iran, et considère les Palestiniens comme l’un des « secteurs de la résistance dans le monde arabe ».
« Déclarer que Jérusalem est la capitale de l’éternel État juif, c’est essentiellement rejeter l’autodétermination palestinienne, en rejetant notre droit à un État indépendant », a-t-il ajouté. « Cela finira de sonner le glas de la solution à deux États. »
Il a déclaré que si la déclaration de Trump ne changerait pas le statut de Jérusalem sur le terrain, qui est sous contrôle israélien depuis plus de 50 ans, elle aurait des répercussions dans la mesure où elle ajoute « des faits accomplis » qui renforcent l’occupation.
Relations américano-arabes
L’administration Trump s’est positionnée comme un allié solide de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de l’Égypte, les considérant comme une partie intégrante d’une alliance régionale contre l’Iran.
Cela dit, et malgré les signes de l’émergence d’une alliance israélo-saoudienne, la cause palestinienne reste au cœur du monde arabe et musulman, y compris dans les capitales arabes proches de Riyad.
Bannerman a ainsi remarqué que le transfert de l’ambassade mettrait les Saoudiens et les Égyptiens dans une position difficile.
Il a cependant noté que les pays arabes étaient confrontés à de sérieuses luttes nationales et régionales, faisant de la Palestine un problème de moindre importance.
« En fin de compte, la relation avec les États-Unis – avec tous leurs autres problèmes – est plus importante », a déclaré Bannerman à MEE.
Zogby, de l’AAI, estime que la position américaine sur la Palestine affecte la capacité de Washington à travailler directement avec les pays arabes.
« Trump veut affronter l’Iran et rassembler les Arabes et les Israéliens ; cela ne va pas se produire... à moins qu’ils ne résolvent la [question de] Palestine », a déclaré Zogby.
« Ce serait terrible s’il y avait de la violence, mais la faute incomberait aux personnes qui ont provoqué cette violence »
- James Zogby, président de l’Arab American Institute
Il explique que s’il est vrai que les États arabes rivalisent pour obtenir les faveurs de l’opinion publique aux États-Unis, ils ne veulent pas non plus prendre des mesures qui pourraient compromettre l’opinion publique dans leur propres pays.
« Toute annonce américaine sur le statut de Jérusalem avant un règlement définitif aurait un impact négatif sur le processus de paix et exacerberait les tensions dans la région », a déclaré lundi l’ambassadeur saoudien à Washington, Khaled ben Salmane.
« La politique du royaume a été – et demeure – en faveur du peuple palestinien, et cela a été communiqué à l’administration américaine. »
Mais au-delà de la géopolitique, la sensibilité vis-à-vis de Jérusalem traverse l’ensemble du monde musulman. La ville abrite la mosquée al-Aqsa, troisième site le plus sacré de l’islam.
Jérusalem est une question tellement chargée sur le plan émotionnel pour les Arabes et les musulmans que le déplacement de l’ambassade pourrait provoquer de violentes réactions, a prévenu Zogby.
« Ce serait terrible s’il y avait de la violence, mais la faute incomberait aux personnes qui ont provoqué cette violence », a-t-il ajouté.
Selon les médias américains, le département d’État a demandé aux ambassades américaines de renforcer leurs mesures de sécurité en préparation d’éventuelles manifestations si Trump annonce le déplacement de l’ambassade ce mercredi.
Jérusalem n’est pas seulement une question palestinienne, a rappelé Bannerman.
« Si vous mettez cela uniquement dans le contexte du conflit israélo-palestinien, vous ne comprenez pas vraiment l’importance de Jérusalem », a-t-il déclaré.
« Cela peut être la faiblesse de l’administration ; ils ne semblent pas comprendre la façon dont vibre Jérusalem à travers toute la région et le monde islamique. »
Traduit de l’anglais (original).
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