La France à l’épreuve du terrorisme
Nuit de cauchemar à Paris qui aura vu la ville prendre des allures de zones de guerre. Nuit sanglante aussi au cours de laquelle au moins 128 personnes sont mortes , plus de 300 blessées dont 99 entre la vie et la mort. Nuit du destin enfin, qui a mis en lumière, dans un bain de sang, les questions nombreuses et ouvertes en France, sur sa politique et sa cohésion.
La France, sa politique internationale et le terrorisme
Les spécialistes et analystes français étaient unanimes. La question étaient moins de savoir s’il allait y avoir un attentat mais plutôt à quel moment il aurait lieu. Au sommet même de l’Etat, suite à l’acte terroriste intervenu dans le train Thalys reliant Amsterdam à Paris et aux autres attaques contrées en France, François Hollande avait lancé cet avertissement: «Nous devons nous préparer à d'autres assauts et nous sommes toujours exposés. »
Fin août déjà, sous couvert d’anonymat, de nombreux membres de la DGSE ( Direction Générale de la Sécurité Extérieure ) ainsi que de la DGSI ( Direction Générale de la Sécurité Intérieure) , laissaient filtrer dans la presse de biens sombres prophéties.
Le Canard enchaîné recueillait dès le mois d’août les avertissements d’un « ponte du renseignement » qui prédisait « un prochain 11-Septembre à la française où les services [de renseignement] seront de simples spectateurs ». Le scénario le plus probable pour ce responsable? Une attaque par missile contre un avion de ligne.
Plus grave encore, il posait un regard désabusé sur les moyens réels d’action contre le terrorisme : « La vérité est que nous avons déjà tout essayé. Mais nous avons atteint les limites de ce que nous sommes capables de faire, tant d'un point de vue législatif et organisationnel que d'un point de vue financier. »
Fin septembre c’était au tour du juge Marc Trevidic de poser un regard alarmiste sur la situation française. Dans une interview remarquée dans Paris Match, celui qui avait animé le Pôle judiciaire antiterroriste pendant 10 ans expliquait alors : « Nous sommes devenus pour l'Etat islamique [EI] l'ennemi numéro un (…). Les jours les plus sombres sont devant nous. La vraie guerre que l'EI entend porter sur notre sol n'a pas encore commencé. Il ressort de nos enquêtes que nous sommes indubitablement l'ennemi absolu. »
Selon lui, la France est particulièrement vulnérable du fait de sa position géographique, de la facilité d'entrer sur son territoire pour tous les djihadistes d'origine européenne et surtout du fait de « la volonté clairement et sans cesse exprimée par les hommes de l'EI de nous frapper ».
Dès les premières heures après les attentats, deux analyses semblaient dominer. En premier lieu, la voix du plus grand nombre, qui rappelle un peu ce qui a pu être entendu après les attentats du 11 septembre et peut se résumer à : « ils nous détestent en raison de ce que nous sommes », ou comme l’a résumé Anne Hidalgo, la maire de Paris ces « terroristes » ont voulu abattre « la patrie des droits de l’homme, la joie de vivre, la laïcité ». Tout cela s’est accompagné bien sûr de l’appel à l’Union nationale.
Ensuite, d’autres voix, minoritaires, tentent déjà de faire le lien entre ces attentats et la politique étrangère menée par la France ; on les retrouve sous le hashtag « #vos guerres,nos morts ». La France est en effet devenue l'allié numéro un des États-Unis dans la guerre contre Daesh et contre les filières djihadiste. C’est le sens de la déclaration de Barack Obama lors de ses condoléances, rappelant que la France est l’alliée numéro Un de son pays.
De plus, les raids aériens menés contre l'EI en Irak, et depuis septembre en Syrie, ont placé Paris en ligne de mire. Plus largement, Daesh n’a eu de cesse de dénoncer dans sa propagande le soutien de la France à Israël et aux pays dits « mécréants et corrompus » du Golfe ou du Moyen-Orient ainsi que l’oppression qui pèserait, selon l’EI, sur l’importante communauté musulmane française. Le chercheur Romain Caillet, très fin connaisseur de l’organisation écrivait sur son compte twitter :« Ces derniers jours, deux vidéos de l'#EI contenaient des images faisant référence à la France alors que le sujet ne s'y prêtait pas directement ».
La France, sa politique nationale et le terrorisme
Du côté des politiques, le ton s’est vite fait martial, réclamant des lois d’exceptions. Pierre Lellouche, député des Républicains et spécialiste des questions internationales s’exprime ainsi : « Nous payons le prix de notre combat contre Al Qaïda et contre Daesh. C’est une guerre, une guerre longue. Je crains d’autres événements. On ne peut pas être en guerre à l’extérieur et considérer que nous sommes en paix à intérieur. Il faut revoir notre législation .»
Laurent Wauquiez, secrétaire général du parti Les Républicains, a très vite demandé que « les 4 000 personnes vivant sur le territoire français, fichées pour terrorisme », soient « placées dans des centres d'internement anti-terroristes spécifiquement dédiés.
« Notre système de défense doit maintenant être à la hauteur de la menace. Il n'y a pas de liberté pour les ennemis de la France et de la République », a-t-il affirmé.
Mais pour les spécialistes, c’est surtout la façon de lutter contre le terrorisme qui est mise en relief suite à ces attentats.
Ainsi le spécialiste en sécurité français, Alain Bauer, réputé très proche du Premier ministre Manuel Valls, s’exprimant sur la radio publique France Inter, note : « On est descendu de l’hyper terrorisme avec des avions à quelque chose de plus diffus. Les cibles aussi ont changé, ce ne sont plus les militaires, les Juifs, les caricaturistes qui sont visés mais n’importe quel citoyen. Il y a des terrorismes et non plus un terrorisme. Et on ne fait pas la guerre au terrorisme, mais la police au terrorisme. Il faut des moyens plus adaptés. Si 90% des attentats sont déjoués, il faudrait passer à 99% mais il restera toujours ce 1% qui est incontrôlable ».
Le juge Trevidic avait déjà posé ce diagnostic dans son interview à Paris Match. Selon lui, si pendant longtemps le dispositif de lutte antiterroriste français avait permis de parer à la menace terroriste, il est « devenu perméable, faillible, et n'a plus l'efficacité qu'il avait auparavant. Nous ne sommes plus en mesure de prévenir les attentats comme par le passé. On ne peut plus les empêcher. Il y a là quelque chose d'inéluctable. Quant aux moyens affectés à la lutte antiterroriste, ils sont clairement devenus très insuffisants, et je pèse mes mots. On frise l'indigence à l'heure où la menace n'a jamais été aussi forte. »
La France, ses obsessions sociétales et le terrorisme
Dès que les premiers éléments sur l’attentat ont été connus, les obsessions françaises sur le vivre-ensemble, le multiculturalisme et la place de l’Islam ont refait surface, notamment sur les réseaux sociaux, et qui plus est, à l’approche des élections régionales dont tous les sondages indiquent que le Front national remportera plusieurs régions, et ce pour la première fois.
La première salve lancée fut celle de Philippe de Villiers, souverainiste de droite, qui s’exprime ainsi: « Voilà où nous a conduit le laxisme et la mosquéïsation de la France. »
D’autres hommes politiques évoquent une « Beyroutisation de la France ». Déjà des appels à ce que les musulmans de France se désolidarisent de ces attaques terroristes fleurissent ça et là alors qu’on ne connait toujours pas les auteurs des attaques, ni leur confession.
Ainsi le réalisateur Mathieu Kassovitz, pourtant réputé pour ses positions affirmées de gauche, a indiqué : « mes amis Musulmans, descendez dans la rue et faites-vous entendre. Sinon vous méritez l’amalgame dont vous êtes victimes. »
Les mêmes craintes refont surface après chaque attaque. On reparle de cellules dormantes, de cinquième colonne, de liens entre les banlieues en déshérence qui alimenteraient en armes des djihadistes eux mêmes en déshérence.
Une situation que Jean-Pierre Filiu, spécialiste du Moyen-Orient, met sur le compte de la division sociétale que les terroristes tentent d’imposer à la France : « Ils veulent la guerre civile en France. Ils veulent qu’on tue des Musulmans. Nous sommes en guerre mais pas face à une armée mais face à des criminels. Nous devons cesser de calquer notre agenda sur eux ».
Photo: Une femme dépose des fleurs pour les victimes à Paris (AFP).
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