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La réunification de Chypre pourrait relancer la candidature d’adhésion de la Turquie à l’UE

Quelles conséquences aurait la réunification de l’île sur la politique nationale, européenne et régionale de la Turquie ?

L’île divisée de Chypre est souvent considéré comme l’un des principaux obstacles qui se dressent sur le chemin de la Turquie vers son adhésion à l’Union européenne, mais l’optimisme retrouvé autour de la dernière série de négociations relatives à la réunification pourrait fournir un coup de pouce nécessaire à la candidature de la Turquie pour rejoindre l’Union – si les négociations se concluent par un succès.

Tandis que les relations entre la Turquie et la Grèce – les deux principaux appuis des parties adverses de cette île divisée – se sont considérablement améliorées, et alors que ces deux pays sont accaparés par leurs propres problèmes, les Chypriotes grecs et turcs sont peu enclins à s’engager dans une politique de la corde raide pour tenter d’arracher un accord plus favorable.

Selon Mensur Akgün, professeur et président du département des relations internationales à l’université Kültür d’Istanbul, il ne fait aucun doute que le chemin de la Turquie vers l’UE sera plus aisé avec un accord sur Chypre. Cependant, il a aussi tenu à souligner que cela ne signifiera pas nécessairement que l’adhésion de la Turquie à l’UE sera garantie.

« Indubitablement, la Turquie a tout à gagner d’une résolution du différend chypriote et je sais personnellement à quel point le Premier ministre [turc Ahmet] Davutoğlu a poussé la partie turque à accepter un compromis », a confié Akgün à Middle East Eye.

L’élection de présidents désireux de réaliser la réunification de l’île a grandement fait avancer les négociations. Níkos Anastasiádis et Mustafa Akıncı se sont rencontrés au moins sept fois depuis l’élection de ce dernier en avril ; dans un geste symbolique très significatif sur le plan économique pour l’île, les deux parties ont soumis une demande conjointe à la Commission européenne en juillet afin que le fromage local, Halloumi ou Hellim, puisse profiter du label d’appellation d’origine protégée.

Pour Emre Gönen, de l’université Bilgi d’Istanbul, la réunification chypriote faciliterait la candidature turque à l’UE, mais il prévient : bien que les négociations sur l’île soient prometteuses, la route est encore longue.

« Il faudra plus que des bonnes volontés et l’espoir de voir la réunification de l’île. Les négociations se passent bien et, pour la première fois peut-être depuis 1963, les deux communautés de l’île manifestent une réelle volonté d’établir un modus vivendi commun, basé sur l’égalité politique », a déclaré Gönen à MEE.

« Il est également important de penser que si Chypre est unifiée, elle le sera sous la forme d’une fédération et les Chypriotes turcs feront partie de l’UE. Par conséquent, il y aura pour la première fois dans l’UE un pays, du moins la moitié, qui soutient véritablement la candidature de la Turquie », a-t-il ajouté. 

La Turquie a officiellement entamé les négociations d’adhésion à l’UE en 2005, mais la plupart des 35 chapitres de l’acquis communautaire qui doivent encore faire l’objet d’un accord restent bloqués ; nombre d’entre eux par la République de Chypre, la partie internationalement reconnue de l’île, en raison du rôle de la Turquie dans l’île et son refus d’en reconnaître la partie grecque.

Les troupes turques ont occupé la partie nord de l’île en 1974 en réponse à un coup d’État grec qui avait cherché à unifier l’île à la Grèce continentale et à protéger les Chypriotes turcs, pris dans une guerre civile avec leurs homologues chypriotes grecs. En raison de l’occupation, seule la République de Chypre a été reconnue à l’échelle internationale, et la Turquie est le seul pays qui reconnaît la République turque de Chypre du Nord.

La Turquie a refusé catégoriquement de reconnaître la République de Chypre et d’ouvrir ses ports à Nicosie, en particulier lorsque seule la partie sud de l’île a été acceptée dans l’UE en 2004, malgré le « non » à un référendum pour l’unification de l’île.

« Les huit chapitres bloqués par Chypre et d’autres chapitres qui restent indirectement bloqués en raison de Chypre seront rouverts en cas de réunification mais nous ne devons pas oublier que cela ne signifie pas l’entrée automatique de la Turquie dans l’UE », a souligné Akgün.

Selon Gönen, « le plan [Annan de 2004] visant à réunifier l’île a été clairement accepté du côté turc et clairement rejeté du côté grec, mais l’administration grecque s’est vue accorder un billet d’accès à l’UE en récompense. Cela a engendré une très profonde méfiance des Turcs et des Chypriotes turcs vis-à-vis de l’UE et de l’ensemble du système de lois et de négociation international ».

Le plan Annan, du nom du secrétaire des Nations unies de l’époque, Kofi Annan, était un plan global pour l’avenir de Chypre réunifiée qui comprenait également la démilitarisation progressive de l’île.

Dimensions économiques et politiques

Au cours des dernières années, un nombre croissant de Turcs, et en conséquence le gouvernement turc, ont vu leur désir de rejoindre l’Union européenne décliner, notamment parce que l’économie turque semblait aller beaucoup mieux que celle de l’Europe en crise et qu’ils avaient le sentiment que l’Europe ne voulait pas réellement voir la Turquie, à majorité musulmane, rejoindre le club.

Cependant, une économie stagnante et l’implication croissante de la Turquie dans les conflits du Moyen-Orient fait de l’adhésion à l’UE une option à nouveau attrayante. De récentes enquêtes Eurobaromètre (les sondages menés par la Commission européenne) montrent par exemple que l’opinion des Turcs vis-à-vis de l’UE s’est améliorée, ce qui pourrait conduire à une volonté de redynamiser la balbutiante candidature à l’UE.

Il est primordial de faire une distinction entre les aspects économiques et politiques de la question, selon Akgün, qui déclare : « Oui, l’adhésion à l’UE est importante et bénéfique pour la Turquie sur le plan économique puisque 50 % des échanges de la Turquie se font avec l’UE, mais la situation au Moyen-Orient restera la même, que la Turquie soit membre de l’UE ou non. »

« Ce qui pourrait changer, c’est le fait que la Turquie abordera d’une nouvelle façon les problèmes qui gangrènent le Moyen-Orient si elle entre dans une période d’état de grâce avec l’UE », a-t-il ajouté.

Retour de bâton

L’élimination de l’obstacle chypriote grec pourrait entraîner un regain d’intérêt de la part du gouvernement turc susceptible de relancer son processus de réformes démocratiques et de le détourner de ses tendances autoritaires croissantes afin de se rapprocher de son objectif de devenir un État membre de l’UE.

Akgün incite toutefois à la prudence à cet égard et précise que la sincérité affichée par les principaux acteurs européens sera cruciale. « Bien que de telles choses soient difficiles à prévoir, il est fort probable que la suppression de l’obstacle chypriote conduise à la relance et à l’accélération des réformes pour la démocratisation et le respect des droits de l’homme à l’échelle nationale, et ait aussi des répercussions sur les futures positions de la politique étrangère turque, mais nous ne devrions pas oublier la possibilité d’un retour de bâton », a-t-il prévenu.

« Si, par exemple, l’Allemagne ou la France continuent à trouver des excuses pour bloquer le processus de négociation entre l’UE et la Turquie, le retour de bâton serait un manque total de confiance d’une partie de l’opinion publique turque en ce qui concerne les idéaux et les principes de l’UE », a annoncé Akgün. Il a ajouté : « Si une relation parfaitement fonctionnelle peut se tisser entre les États membres de l’UE et la Turquie, tout sera plus facile bien sûr, car outre la protection militaire qui provient de l’adhésion à l’OTAN, la Turquie deviendra aussi une partie de l’entité politique de l’UE. »

Gönen s’accorde à dire que les actions de l’UE seront importantes puisqu’il existe déjà une grande méfiance envers l’UE en raison de ses actions par le passé.

« Les négociations pour l’adhésion à l’UE de la Turquie sont entrées dans une crise profonde en juin 2006, juste quelques mois après avoir débuté. D’abord la partie grecque de Chypre, puis [Nicolas] Sarkozy en France ont été très offensifs pendant toute cette période. Ainsi, le gouvernement turc et l’opinion publique en ont eu assez de la politique de deux poids, deux mesures adoptée par l’UE en ce qui concerne ses relations avec la Turquie », explique Gönen.

Bien que les questions épineuses – tels que les droits de propriété et le sort des migrants qui ont quitté la Turquie continentale après 1974 – montrent qu’il y aura certainement quelques pierres d’achoppement sur le chemin vers la réunification de Chypre, une réussite serait un énorme soulagement, pas seulement pour les habitants de l’île, mais aussi pour la Turquie, l’UE et les autres institutions mondiales au vu de la rareté des succès politiques dans la région de nos jours.
 

Photo : le président chypriote grec Níkos Anastasiádis discute avec le dirigeant chypriote turc Mustafa Akıncı (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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