La Turquie, puissance occupante ou sauveur de l’Irak face à l’État islamique ?
ISTANBUL, Turquie – La Turquie dispose de centaines de soldats et de dizaines de chars sur le sol irakien. Son armée a un plan de bataille dont l’objectif serait d’aider à « libérer » la deuxième ville d’Irak, Mossoul. Son parlement a prolongé un mandat constitutionnel remontant à l’époque de Saddam Hussein qui permet aux forces turques de rester dans le pays.
Mais le parlement irakien ne veut rien de cela. Les forces turques stationnées à Bashiqa, dans la région kurde de l’Irak, sont selon des députés irakiens une « puissance occupante étrangère », tandis que leur Premier ministre Haïder al-Abadi a averti que la présence turque menaçait de déclencher une conflagration et une « guerre régionale ».
Comment la Turquie peut-elle donc justifier sa présence dans le nord de l’Irak ? La réponse, selon des responsables et des analystes turcs, est le terrorisme : la Turquie a légitimement le droit d’empêcher les attaques terroristes provenant des pays voisins, en particulier si les États sont incapables d’éradiquer ces menaces d’eux-mêmes.
C’est la raison pour laquelle 250 de ses soldats, son artillerie et 25 chars resteront à Bashiqa en vue de former des forces irakiennes et de se défendre contre les menaces de l’État islamique.
Le vice-Premier ministre turc Numan Kurtulmuş a déclaré ce mercredi que la Turquie était prête à coopérer avec Bagdad, mais a noté que Mossoul était tombée aux mains de l’État islamique en un jour.
La principale préoccupation d’Ankara est de débarrasser l’Irak et la Syrie de l’État islamique et d’autres éléments militants et de réduire ainsi la menace pour la Turquie, a indiqué à Middle East Eye un responsable turc impliqué dans la planification de la politique étrangère.
« Jusqu’à présent, l’artillerie et les troupes turques à Bashiqa ont éliminé 650 membres de Daech », a-t-il affirmé.
Le fonctionnaire a également désigné la région irakienne de Sinjar, qui est d’après lui utilisée par l’ennemi de la Turquie, le PKK kurde, pour transférer des armes et du personnel en Syrie voisine à destination de sa filiale présumée, le Parti de l’union démocratique (PYD), créant ainsi une double menace pour la Turquie.
Selon lui, l’incapacité du gouvernement irakien à faire face à ces menaces signifie que la Turquie doit prendre des mesures pour assurer sa propre sécurité.
« Des responsables du gouvernement central irakien se sont également rendus dans le camp de Bashiqa à plusieurs reprises et connaissent l’objet de la présence turque », a-t-il expliqué.
Le responsable a indiqué que la Turquie respectait pleinement l’intégrité territoriale de l’Irak et n’était pas là pour occuper ou pour établir une présence permanente en Irak.
La demande de retrait formulée par l’Irak, selon le responsable, n’est rien de plus qu’une manœuvre de politique intérieure.
« Il n’y a pas d’autre raison. Cela s’est aussi produit dans le passé récent et rien n’en est ressorti, a déclaré le responsable. Il y a une présence militaire turque dans le nord de l’Irak depuis les années 1990 sur la base d’accords conclus à l’époque, et cela n’a jamais posé problème. »
La décision irakienne aurait été prise après que le parlement turc a prorogé le mandat de ses troupes le 2 octobre afin de mener des opérations militaires en Irak et en Syrie pendant une année supplémentaire. Le mandat sous sa forme actuelle est en vigueur depuis 2014.
Des accords de l’époque de Saddam dans une ère post-Saddam
Le mandat turc, fondé sur l’article 92 de la Constitution, permet aux troupes turques d’opérer en Irak et en Syrie dans des opérations transfrontalières, tout en permettant aux forces étrangères d’être déployées dans des bases militaires turques et de transiter par le territoire turc dans des opérations contre l’État islamique.
Oytun Orhan, expert du Moyen-Orient au Centre d’études stratégiques du Moyen-Orient basé à Ankara, a indiqué à MEE que la présence militaire turque dans le nord de l’Irak était légitime à la fois d’un point de vue juridique et d’un point de vue politique.
« La Turquie a conclu des accords pour une présence militaire dans le nord de l’Irak à l’époque de Saddam Hussein et ces accords sont toujours valables. Ankara a également conclu des accords avec le Gouvernement régional du Kurdistan dans le nord de l’Irak », a expliqué Orhan.
L’accord avec l’Irak date d’après la première guerre du Golfe, en 1990. Comme une zone d’exclusion aérienne était imposée dans le nord de l’Irak et comme les deux principales factions kurdes irakiennes étaient engagées dans une violente guerre civile, le PKK était libre d’opérer depuis cette région et de lancer des attaques contre la Turquie.
Le gouvernement turc conclut un accord avec le régime de Saddam pour déployer un petit nombre de soldats afin de faire face au PKK.
Selon Orhan, le gouvernement central irakien essaie de faire obstacle seulement maintenant en raison d’une pression iranienne.
« Les Iraniens ne veulent pas voir la Turquie retrouver ne serait-ce qu’une partie de son ancienne influence à Mossoul une fois que l’État islamique sera chassé. Je crois que cette manœuvre initiée à ce moment précis par le gouvernement de Bagdad est due à une pression iranienne », a-t-il estimé.
Orhan a également indiqué que la présence turque à Bashiqa devait être observée dans le cadre de l’action menée par la coalition internationale contre l’État islamique.
« La Turquie fait partie de cette coalition. Elle participe aux frappes aériennes contre Daech ainsi qu’à d’autres opérations. Le camp de Bashiqa est également orienté vers la lutte contre Daech. Il n’y a donc pas de doute sur la légitimité de la présence militaire turque à Bashiqa. »
Le timing de la demande d’un retrait des forces turques émise par le parlement irakien pourrait potentiellement affecter une opération majeure prévue dans le but de libérer Mossoul de l’emprise de l’État islamique.
Le responsable turc a indiqué à MEE que même s’il n’était pas au courant des plans opérationnels, il pouvait confirmer que des pourparlers étaient en cours entre les Turcs, les Américains, les Irakiens et le gouvernement de Barzani au sujet d’une grande offensive à Mossoul.
« Des pourparlers ont lieu. Mossoul est cruciale pour l’avenir de l’Irak sous de nombreux aspects, y compris l’aspect sectaire. Le gouvernement central irakien doit de toute façon veiller à ne pas répéter les mêmes erreurs sectaires qui ont donné lieu à la situation actuelle à Mossoul », a-t-il déclaré.
Ankara a déjà exprimé sa volonté de participer à toute opération militaire américaine contre les bastions de l’État islamique, Raqqa et Mossoul.
Cependant, sa proposition n’est pas sans conditions. La Turquie a exigé que les États-Unis n’utilisent pas de combattants des Unités de protection du peuple (YPG) kurdes dans ces opérations.
Cette version est cependant contestée par la coalition américaine contre l’État islamique.
John Dorrian, porte-parole de la coalition, a déclaré que les troupes turques basées en Irak ne faisaient pas partie de la force opérationnelle de la coalition internationale.
« La présence militaire turque sur le territoire irakien ne jouit pas de l’autorisation officielle de l’Irak et est illégale », a-t-il indiqué dans des propos relayés par les médias turcs.
Il reste à voir quelle influence les États-Unis exercent sur les manœuvres turques.
Photo : la Turquie compte 250 soldats stationnés dans le nord de l’Irak (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
New MEE newsletter: Jerusalem Dispatch
Sign up to get the latest insights and analysis on Israel-Palestine, alongside Turkey Unpacked and other MEE newsletters
Middle East Eye delivers independent and unrivalled coverage and analysis of the Middle East, North Africa and beyond. To learn more about republishing this content and the associated fees, please fill out this form. More about MEE can be found here.