Le cessez-le-feu de la coalition menée par l’Arabie saoudite n’est-il qu’un écran de fumée ?
Mardi soir, la coalition dirigée par l’Arabie saoudite a annoncé la fin de ses opérations militaires en cours au Yémen et a indiqué que l’opération « Tempête décisive » ferait place à l’opération « Restaurer l’espoir », presque un mois après le début de l’intervention.
Cependant, si les bombardements aériens – quelque 3 200 bombes larguées sur le Yémen au cours des dernières semaines – cessent, une grande confusion règne en ce qui concerne la dernière phase des opérations. Qu’apportera-t-elle ? Pourquoi a-t-elle été annoncée aujourd’hui ? Que risque-t-il de se produire ?
Le chef de la diplomatie yéménite à Washington, Mohammed al-Basha, est même allé jusqu’à admettre sur Twitter qu’il n’avait « aucune idée de ce qui se passe » à la suite de l’annonce de l’Arabie saoudite.
Militaire ou politique ?
Selon le porte-parole de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, le général de brigade Ahmed al-Assiri, la phase d’opérations purement militaires a pris fin à minuit, heure locale (21 h 00 GMT). Maintenant, le processus de reconstruction par les autorités yéménites va commencer, a-t-il ajouté, tout en suggérant l’éventuel recours à des options militaires.
Faire parvenir l’aide dans le pays ravagé par la guerre – qui a été durement touché par les récents combats – serait une priorité essentielle de l’opération « Restaurer l’espoir ». Depuis le début des bombardements le 26 mars, au moins 944 personnes ont été tuées et près de 3 500 autres ont été blessées, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La situation a été aggravée par la difficulté à faire parvenir l’aide dans les régions les plus touchées, les groupes d’aide humanitaire ne pouvant accéder au pays au cours des premières phases de la guerre.
Charlene Rodrigues, une journaliste spécialiste du Yémen, a indiqué que la situation humanitaire reste critique dans une grande partie du pays.
« Avec les bombardements et les combats intensifs, personne n’a dormi pendant des semaines. Ils ont à peine mangé et beaucoup ont dû boire de l’eau sale et polluée. Certaines régions du pays ont tout simplement été ramenées au Moyen Age », a rapporté C. Rodrigues, rentrée à Londres depuis Sanaa.
« Il est nécessaire et urgent de faire entrer l’aide humanitaire dans le pays et permettre l’accès des agences d’aide. »
Dans le cadre de l’effort fourni en matière d’aide humanitaire, la coalition dirigée par l’Arabie saoudite a annoncé que les évacuations seraient autorisées, même si certains n’ont pas tardé à déclarer que cela n’augurait rien de bon pour l’avenir.
Le processus politique au Yémen reprendra également, a ajouté Ahmed al-Assiri. Le Président Abd Rabbo Mansour Hadi devrait maintenant prononcer un discours au cours duquel il pourrait détailler certaines mesures politiques à venir éventuellement.
Depuis que les Houthis ont pris d’assaut Sanaa en septembre dernier, l’ONU a exhorté toutes les parties à revenir à la table des négociations et à continuer le dialogue selon le plan présenté en 2012 pour mettre fin à des mois de protestations sanglantes contre l’ancien Président Ali Abdullah Saleh dans le sillage du Printemps arabe.
D’autres éléments de l’opération « Restaurer l’espoir » ont toutefois semblé discutables.
Au cours de la conférence de presse, la coalition a fait part de son intention de poursuivre la « lutte contre le terrorisme » dans le pays. Difficile de savoir si cela signifie qu’ils viseront les positions d’al-Qaïda dans le pays, ou éventuellement les Houthis qui ont été qualifiés de groupe terroriste par Riyad et Abu Dhabi l’an dernier.
La coalition dirigée par l’Arabie saoudite a également insisté sur le fait qu’elle continuerait à surveiller les frontières du Yémen et à imposer un blocus naval visant à stopper le réarmement des Houthis. Des mesures pour arrêter l’avancée des milices ont aussi été annoncées ; la coalition dirigée par l’Arabie saoudite s’est d’ailleurs engagée à reprendre les frappes si les Houthis et les forces alliées à Saleh ayant coopéré avec les Houthis recommencent à progresser au Yémen.
« Je ne peux pas dire que ces nouvelles me rendent optimiste. Je reste inquiète », a confié à Middle East Eye Sarah Jamal, une sociologue basée à Sanaa.
« L’agression interne continue dans le sud et dans d’autres villes. Pour moi, la guerre n’a pas encore cessé. Ma plus grande crainte est un conflit interne qui pourrait se poursuivre pendant des années. »
« J’ai senti que la conférence de presse relevait de la manipulation. Chaque phrase contredisait la suivante. D’après ce que j’ai compris, les frappes ne continueront pas ainsi, mais la possibilité d’une action militaire n’est pas écartée. Je ne sais pas ce que cela signifie... Vont-ils envoyer des troupes sur le terrain maintenant ? Cela reste une possibilité. »
La situation sur le terrain
Bien qu’il ait été annoncé dans le quart d’heure suivant le début de la campagne que l’opération Tempête décisive avait atteint tous ses objectifs, éliminé « toutes les menaces » de Saleh et des milices houthies et établi la « suprématie aérienne », Sanaa a été pilonnée par des frappes aériennes tardives moins d’une heure avant la fin programmée de la campagne aérienne.
Des avions de chasse ont visé un dépôt militaire au nord-est de Sanaa et ont été accueillis par des tirs anti-aériens nourris, remettant en question l’affirmation préalable de la coalition selon laquelle elle aurait détruit toutes les armes lourdes.
Dans la ville portuaire stratégique d’Aden, des rapports faisaient également état mardi soir du pilonnage des zones résidentielles avec des chars et des armes lourdes par les combattants houthis, et de bombardements en cours des navires de guerre de la coalition postés près des côtes.
La reprise des combats s’est faite quelques minutes seulement après que le porte-parole de la coalition Ahmed al-Assiri a affirmé que la coalition avait empêché les milices de prendre Aden.
Pourtant, Rodriguez a suggéré que quelques heures avant l’annonce, « il n’y avait eu aucun signe montrant que les Houthis cessaient leurs activités. » Elle a ensuite averti que dernièrement, un parachutage saoudien d’armes destinées à des combattants anti-Houthis à Aden était, en fait, tombé entre les mains des milices.
Avec la poursuite des combats, de nombreux Yéménites ont exprimé leur colère face à la décision de la coalition de mettre fin aux frappes aériennes aujourd’hui.
« Il est évident que la coalition ne s’intéressait qu’à l’Arabie saoudite et à ce qui pourrait menacer sa sécurité », a déclaré Jamal.
« Ils ne se préoccupent pas des conflits internes du Yémen : les Houthis et les forces alliées à [l’ancien président Ali Abdullah] Saleh ont progressé dans le sud pendant près de quatre semaines. »
Les forces pro-saoudiennes sur le terrain pourraient aussi être mécontentes.
Certains au sud du Yémen, où un mouvement sécessionniste existant depuis plusieurs dizaines d’années a pris de l’ampleur ces derniers mois, seront « déçus » par la fin des frappes saoudiennes, selon Nadwa al-Dawsari, une politologue yéménite spécialiste des conflits auprès du Programme on Middle East Democracy à Washington.
« Ils espéraient que l’Arabie saoudite les soutiendrait jusqu’à la fin, non seulement en arrêtant les Houthis et Saleh mais aussi en les aidant à atteindre leur objectif de sécession. »
Pourquoi maintenant ?
Alors qu’apparemment, les violences font toujours rage sur le terrain et que les objectifs futurs de la coalition sont pétris d’incertitude, de nombreux commentateurs et analystes se posent désormais une question : pourquoi maintenant ?
« Je ne suis pas sûre qu’ils [la coalition] aient défini des objectifs de départ, a concédé Charlene Rodrigues. Il ne semblait pas y avoir de plan, donc je ne peux pas déterminer ce qui a été accompli, mis à part les destructions. Jusqu’alors, les Houthis n’avaient montré aucun signe d’abandon et continuaient de se battre. »
Selon Simon Henderson, directeur du programme du Golfe au Washington Institute, « les combats semblent être dans l’impasse depuis deux semaines au moins ».
« Bien que l’issue annoncée soit décrite comme une victoire militaire, on ne sait pas vraiment comment elle cadre avec la stratégie saoudienne de rétablir le gouvernement du Président Abd Rabbo Mansour Hadi, actuellement en exil à Riyad, même si une solution politique a été évoquée dans la déclaration », a écrit Henderson sur le site web du think tank.
Nadwa al-Dawsari a également souligné que la situation demeurait fragile.
« La décision de mettre fin à l’opération Tempête décisive a surpris beaucoup de monde, a-t-elle expliqué. La tempête a commencé brusquement et a pris fin brusquement. Cette annonce manque de clarté. Il est probable qu’il y ait eu des négociations entre l’Arabie saoudite et l’Iran, mais cela reste difficile à dire. »
Les Saoudiens tout comme Abd Rabbo Mansour Hadi avaient repoussé les propositions de médiation de l’Iran un jour seulement avant l’annonce de la fin de l’opération « Tempête décisive ». Pourtant, quelques heures avant la conférence de presse de la coalition, les Iraniens sous-entendaient qu’un accord était à l’horizon.
Un cessez-le-feu au Yémen sera annoncé plus tard ce mardi, avait alors affirmé Hossein Amir Abdollahian, vice-ministre iranien des Affaires étrangères, d’après l’agence de presse Tasnim News Agency.
« Nous avons bon espoir d’obtenir, dans les prochaines heures et après bien des efforts, un arrêt des attaques militaires au Yémen », avait déclaré Amir Abdollahian mardi matin.
L’ascension de Khaled Bahah
Certains ont évoqué un accord politique, qui pourrait voir Abd Rabbo Mansour Hadi être remplacé par Khaled Bahah, son vice-Président et ancien Premier ministre. Khaled Bahah, qui a été nommé vice-Président la semaine dernière, serait moins controversé que Mansour Hadi et est considéré comme étant capable de rassembler un soutien plus large, de tous les horizons.
« La nomination de Khaled Bahah en tant que vice-Président indique qu’un accord a été conclu pour évincer Abd Rabbo Mansour Hadi de la présidence et le remplacer par quelqu’un avec des compétences avérées en matière de négociation et qui est accepté par les différents acteurs politiques au Yémen, y compris les Houthis. Khaled Bahah est cette personne », a expliqué Nadwa al-Dawsari.
Mohammed Hazm, fonctionnaire à Sanaa, a déclaré à Reuters : « Khaled Bahah est aimé de tout le monde. C’est un homme fort, à l’opposé d’Abd Rabbo Mansour Hadi, dont la faiblesse a permis aux Houthis de prendre le contrôle de la majeure partie du pays. »
Toutefois, il reste difficile de savoir si Khaled Bahah souhaitera diriger le pays en ces temps difficiles et s’il saura convaincre toutes les factions du pays de le soutenir. En janvier, les Houthis l’avaient placé de facto en résidence surveillée lorsqu’ils avaient lancé leur avancée majeure à Sanaa et dissous le Parlement avant de pousser Abd Rabbo Mansour Hadi à démissionner.
Malgré l’incertitude sur l’avenir, Sarah Jamal a toutefois affirmé que de nombreux Yéménites ont désormais bon espoir qu’une véritable solution politique soit en train de se dessiner. Elle a minimisé les discours qui définissent cette opposition comme un conflit entre l’Iran chiite, qui, considère-t-on, soutient les Houthis, et l’Arabie saoudite sunnite, qui a soutenu Abd Rabbo Mansour Hadi.
« Ce n’est pas une guerre sectaire, comme les médias du Golfe ont tenté de la décrire », a déclaré Sarah Jamal à MEE par téléphone depuis Sanaa. « C’est le résultat d’une accumulation de défaillances au cours de la période de transition. »
« Jusqu’à ce qu’on mette fin à toute forme de guerre, je pense que personne ne sera heureux. »
Traduction de l'anglais (original) par VECTranslation.
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