Un cessez-le-feu en Syrie est significatif, mais basé sur des « vœux pieux »
Même si le cessez-le-feu fragile annoncé par la Russie et les États-Unis lundi peut s’avérer significatif, celui-ci fait face au défi ardu du rétablissement d’une paix durable, ont indiqué des experts à Middle East Eye.
« Bien que nous ne puissions pas vraiment dire combien de temps l’accord tiendra ou s’il pourra ouvrir la voie à une solution permanente, il s’agit là d’un développement significatif dans la mesure où deux des acteurs les plus importants en Syrie ont convenu de mettre un terme aux hostilités », a expliqué à Middle East Eye A. Kadir Yildirim, chercheur à l’Institut Baker pour les politiques publiques de l’université Rice.
« Cela pourrait présenter aux deux camps une ouverture plus que nécessaire. Qui plus est, la fin des hostilités est susceptible de permettre à l’aide humanitaire de passer et de minimiser les pertes humaines. »
Dans le court terme, la trêve pourrait donner davantage de résultats positifs sur le terrain.
« La fin des bombardements russes et la progression des forces d’Assad est un accomplissement significatif à court terme, a-t-il soutenu. Il est possible que cela permette en particulier de détourner l’attention des groupes d’opposition syriens vers les groupes tels que l’EIIL [le groupe État islamique] pour contrôler ces groupes et les empêcher de réaliser des gains supplémentaires. »
Cependant, des questions se posent sur la façon dont l’accord sera mis en œuvre et soutenu.
L’accord stipule que les groupes d’opposition ayant signé les termes de l’accord auront la garantie d’être protégés contre toute action militaire de la Russie, des États-Unis et de la Syrie. Si des groupes fidèles aux États-Unis reprennent les hostilités pendant le cessez-le-feu, il est difficile selon les experts de voir comment ces groupes pourraient être freinés.
« Dans la pratique, il serait très difficile de couper les vivres à ces groupes, parce que l’on perdrait alors l’emprise sur l’ensemble du terrain », a expliqué à MEE Camille Pecastaing, professeur d’études du Moyen-Orient à l’École d’études internationales de l’Université Johns Hopkins.
« Cela ressemble donc à une belle menace, mais cela n’a pas vraiment grand-chose à voir avec une menace. Les États-Unis perdraient tout type d’influence sur la situation s’ils faisaient cela », a-t-il argumenté.
L’accord, a précisé Pecastaing, « ne ressemble pas à ce qu’il peut contenir. Il semble être basé sur rien de plus que des vœux pieux. »
Contenir l’opposition ?
A. Kadir Yildirim affirme cependant que le cessez-le-feu pourrait aider les forces soutenues par les États-Unis à gagner en influence contre les groupes pro-russes et pro-Assad en harmonisant les organisations soutenues par les États-Unis.
« Un désaveu complet [des groupes] ne sert pas la politique américaine en Syrie. Ces groupes offrent aux États-Unis un accès relativement peu coûteux pour influencer l’évolution des choses en Syrie », a-t-il expliqué.
Récemment, certains des groupes soutenus par les États-Unis ont commencé à se battre entre eux, a expliqué Yildirim. « Ainsi, cela pourrait être considéré plus comme une opportunité d’harmoniser ces groupes avec la politique américaine que comme autre chose », a-t-il ajouté.
« On ne parle même pas de cessez-le-feu ou de trêve, mais seulement de cessation des hostilités. Suite à la rupture des négociations plus tôt ce mois-ci, à l’intensification de la présence russe en Syrie et aux violences qui ont suivi à Alep et alentours, la Russie pourrait avoir gagné une certaine influence dans le conflit », a soutenu Yildirim.
« Comme Assad et ses alliés ont commencé à réaliser des gains limités et se retrouvent face à une occasion de renverser la trajectoire du conflit, il s’agit peut-être d’un accord opportun pour les États-Unis. En fin de compte, la durabilité effective de l’accord dépendra des négociations à long terme sur le terrain. »
Avantage à la Russie et à la Syrie ?
D’autres experts, comme Camille Pecastaing, affirment que l’accord pourrait aider la Russie et le gouvernement syrien à tirer profit en particulier des élections présidentielles américaines et de la situation de « canard boiteux » du président Barack Obama.
« Permettez-moi de présenter la chose ainsi : si le cessez-le-feu dure six mois et si le régime syrien se réapprovisionne simplement pour que tout explose ensuite pendant l’été, lorsque les États-Unis seront complètement dans leur phase électorale et qu’Obama sera complètement en situation de canard boiteux, bien plus que maintenant, [le régime Syrien] pourrait avoir beaucoup plus de latitude pour faire comme bon lui semble en août ou en septembre qu’aujourd’hui en février », a argumenté Pecastaing.
Bien que le cessez-le-feu ne comprenne pas l’État islamique ou le Front al-Nosra – deux groupes désignés comme étant des organisations terroristes par les États-Unis –, la Russie, les États-Unis et le gouvernement syrien pourraient poursuivre les frappes militaires en affirmant avoir visé des cibles de l’État islamique ou du Front al-Nosra mais touché autre chose.
« Dans le pire des cas, les États-Unis paralyseraient leurs propres unités tandis que la Russie et la Syrie continueraient de lutter en théorie contre les groupes islamistes radicaux, mais viseraient en réalité ces positions américaines », a-t-il poursuivi.
« L’accord semble très suspect de par son effet stabilisateur pour la Russie et le régime syrien, qui peuvent continuer de tirer des avantages sur le terrain. »
Une résolution pour un canard boiteux
Yildirim se demande si les États-Unis n’ont pas accepté le cessez-le-feu afin de parvenir à « un accord pour la forme ».
« Honnêtement, les États-Unis ont fait pression pour ce genre d’accord au cours des quatre dernières années. Cela a vraiment été l’objectif principal de la politique américaine à travers l’ONU, mais c’est vraiment ce qu’ils essaient de forcer, et il semblerait qu’ils aient souhaité un accord pour la forme. Je ne comprends pas vraiment la logique qui sous-tend tout cela, mais Obama est en train de conclure sa présidence, et peut-être a-t-il souhaité parvenir à une sorte de résolution, même si celle-ci est temporaire », a argumenté Yildirim.
« Il se peut qu’il ait convenu d’un cessez-le-feu pour contribuer à solidifier son héritage. C’est une sorte de jeu sur les apparences pour qu’il puisse se dire "J’ai fait ce que j’ai pu, j’ai fait mon travail" et peut-être se retirer en ayant d’une certaine manière la conscience tranquille. Cela rendrait l’accord en quelque sorte "bancal", pour ainsi dire. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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