LIVE BLOG : La présidentielle française vue d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient - update 7th May 2017
Turquie : « Si Marine Le Pen était élue, cela susciterait une vraie inquiétude ici »
par Cerise Sudry-Le Dû à Istanbul, Turquie
« Les élections françaises ? Ah oui, vous devez choisir entre un homme et une femme, c’est bien ça ? ». L’incertitude de cet avocat des droits de l’homme résume à elle seule la méconnaissance des élections françaises en Turquie. Car c’est peu dire que dans ce pays déchiré et à l’agenda politique ultra-chargé, l’échéance électorale française a peu passionné.
Une semaine plus tôt, le 16 avril, le pays votait par référendum pour l’élargissement des pouvoirs du président Recep Tayyip Erdoğan. La campagne a entièrement absorbé la presse turque. « La couverture médiatique des élections françaises a été assez dérisoire, confirme Jean-François Pérouse, directeur de l’Institut français d’études anatoliennes (IEFA), basé à Istanbul. Et au lendemain du premier tour, il y a d’ailleurs eu très peu d’articles faisant référence aux résultats. »
De fait, le seul moment où les candidats français se sont créé une place de choix dans les médias turcs, c’était en mars, quand le ministre turc des Affaires étrangères a été interdit de meeting en Allemagne et aux Pays-Bas. Mais pas en France. Là, presque tous les candidats, d’Emmanuel Macron à Marine Le Pen, ont dénoncé l’attitude de la France.
Et alors qu’Erdoğan avait dénoncé le « nazisme et le fascisme » des Allemands ou des Néerlandais, il s'était en revanche félicité de l'attitude du gouvernement français. Sans toutefois faire référence aux élections prochaines. En réalité, durant toute la campagne française, il n'a jamais montré de préférence pour un candidat.
Pour les droits de l’homme, « aucun candidat ne fait une grande différence »
Si la Turquie s’est peu intéressée aux résultats, c’est aussi parce que l’actualité a été chargée, notamment pour les défenseurs des droits de l’homme. « Chaque jour, des journalistes, des universitaires ou des avocats sont arrêtés. En France, vous avez l’État de droit, la démocratie. Ici, la situation est terrible, nous n’avons plus rien de tout ça », souffle une journaliste du collectif Journos in Turkey, qui se bat pour la liberté de la presse.
De fait, avec 149 médias fermés depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016 et plus d’une centaine de journalistes derrière les barreaux, la Turquie est passée au 155e rang du classement mondial de la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières.
Si, en France, Marine Le Pen est souvent comparée à Erdoğan pour son autoritarisme, « elle n’est pas très appréciée en Turquie. Elle est notamment considérée comme islamophobe, explique à MEE Jean-François Pérouse. Si elle était élue, cela susciterait une vraie inquiétude ici ».
« On la considère comme une raciste ici. Et elle ne veut pas de la Turquie dans l’Union européenne »
Certains sont moins nuancés. « On la considère comme une raciste ici, indique la membre de Journos in Turkey. Et elle ne veut pas de la Turquie dans l’Union européenne ». Même si, nuance Jean-François Pérouse, « ses positions en faveur de la Russie peuvent rassurer ».
Pour autant, si Emmanuel Macron récolte les faveurs de nombreux défenseurs des droits de l’homme, peu espèrent un changement radical dans les relations France-Turquie. « Aucun des deux candidats ne ferait une grande différence pour nous », pointe Eren Keskin, vice-présidente de l’IHD (Turkish Human Rights Association). « Même si Emmanuel Macron sera, je pense, plus attentif aux droits de l’homme. »
La militante espère en tout cas qu’une fois élu, « le nouveau président puisse rappeler à la Turquie les obligations qu’elle a prises en signant des conventions internationales ou qu’il pousse pour rétablir la société démocratique ici ».
« Mais s’ils avaient pu tirer un bénéfice de la Turquie avant l’élection, bien sûr qu’ils auraient utilisé ce levier, analyse de son côté la journaliste de Journos in Turkey. Après, je doute que notre pays soit dans la liste de leur priorité », observe la jeune femme, avant d’ajouter : « Mais de toute façon, la situation ne pourra pas être pire ici ».