Dessiner Alexandrie pour l’empêcher de tomber dans l’oubli
Assis à la table d’un vieux café du centre-ville d’Alexandrie, Mohamed Gohar s’adonne à son activité habituelle lorsqu’il a du temps libre : le dessin. Non pas des gens, ni des paysages, mais des bâtiments historiques d’Alexandrie.
Un café turc à côté de son bloc-notes, l’architecte égyptien de 35 ans affirme que cette activité est plus qu’un passe-temps pour lui.
« Tout a commencé il y a environ six ans », confie Gohar à Middle East Eye alors qu’il achève un croquis.
Ces croquis font partie d’un projet intitulé « Description of Alexandria », à travers lequel Gohar, également chercheur en patrimoine, rend compte de l’héritage architectural de la deuxième plus grande ville d’Égypte, fondée sur les rives de la Méditerranée au IVe siècle avant J-C.
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L’architecte n’est pas seul dans cette entreprise. Projet culturel et artistique autofinancé, « Description of Alexandria » est réalisé par une équipe d’artistes, de chercheurs et d’architectes bénévoles dans le but de sensibiliser le public aux menaces induites par le développement urbain rapide et non planifié de la ville.
Les bâtiments anciens d’Alexandrie ont été démolis en masse au cours des dernières années – et beaucoup ont péri sans que l’on que cela soit documenté.
Dernièrement, en décembre 2018, un immeuble vieux de 70 ans situé dans le quartier de Chatby, dans lequel le cinéaste international égyptien Youssef Chahine a vécu, a été démoli, suscitant un tollé général.
Les membres du projet décrivent les bâtiments dont ils rendent compte et leur environnement, ainsi que leur contexte culturel, à partir des témoignages de personnes qui vivent dans le quartier ou qui y ont habité. Le contenu est ensuite mis en ligne sur le groupe Facebook et le blog du projet, ainsi que dans une newsletter imprimée.
« Dans un processus de perte constante »
Gohar explique que tout au long de son travail pour « Description of Alexandria », il a appris à ne pas s’attacher aux bâtiments. En effet, « nous sommes dans un processus de perte constante, que ce soit par la démolition ou l’abandon », affirme-t-il.
« Je me consolais en me disant que les gens sont les éléments les plus importants, eux qui ont construit, construisent et construiront de nouveaux bâtiments, de nouvelles villes et de nouveaux souvenirs. »
Gohar voit désormais à quel point ce réconfort était trompeur. « Je me suis attaché aux bâtiments, car ils ont épousé notre histoire et nos souvenirs. J’ai eu tort encore une fois puisque, semble-t-il, chaque fois que nous perdons un bâtiment, nous perdons une partie de nous-mêmes, nous nous perdons et nous perdons des gens. »
« En tant qu’architecte, j’ai vraiment été influencé par la disparition de modèles architecturaux spécifiques qui existaient dans le centre-ville d’Alexandrie et de leurs extensions construites au XIXe siècle. »
Surnommée la « fiancée de la Méditerranée », Alexandrie se trouve à environ 200 km au nord du Caire. Lieu de villégiature prisé, en particulier pour les Égyptiens, elle est réputée pour sa diversité culturelle ainsi que pour la coexistence spectaculaire d’individus et de styles architecturaux qui lui confèrent une essence unique. Grecs, Italiens, Arméniens, musulmans, chrétiens et juifs ont tous vécu ici à un moment ou à un autre.
Son histoire riche et cosmopolite est toujours visible dans les monuments et les bâtiments, principalement conçus par les Italiens qui ont émigré à Alexandrie au XVIIIe siècle, à une époque où le port était un pôle commercial majeur en Méditerranée.
L’histoire et les souvenirs sous les bulldozers
Pourtant, il n’existe pratiquement aucun document officiel qui documente tous les bâtiments historiques d’Alexandrie.
« Les bâtiments qui ont été rasés ont disparu et leur histoire et les souvenirs qui y sont liés ont disparu avec eux », explique Gohar. La démolition de tels bâtiments a généralement un impact négatif sur les citoyens d’Alexandrie qui ont grandi dans la ville et qui les voyaient comme une partie de leur histoire.
« Le Comité de préservation du patrimoine du gouvernement a créé une brochure sur les bâtiments historiques qui ne rend compte que d’environ 1 100 bâtiments. Plus de 300 d’entre eux ont ensuite été démolis. »
Suite au soulèvement de 2011 qui a renversé Hosni Moubarak, de nombreux bâtiments ont été détruits en l’absence de lois strictes et contraignantes. Quatre ans plus tard, environ 27 000 nouveaux bâtiments ont été construits sur les ruines d’anciens bâtiments.
« C’est une grande perte en matière de patrimoine, mais ce n’est pas la fin », affirme Gohar. « La ville se développe constamment. Si nous ne saisissons pas ce développement, les gens vont démolir des bâtiments comme si de rien n’était et en construire de nouveaux. »
« Je suis contre la démolition des bâtiments, mais si l’on entend le raisonnement derrière cela, on constate que les gens n’ont pas tort, en particulier en l’absence de plans de développement et d’indemnisation adéquate offerte aux propriétaires de ces bâtiments. De tels bâtiments sont généralement construits sur des terres valant aujourd’hui des millions de livres [égyptiennes]. »
Selon Gohar, le projet ambitionne de publier un livre intitulé Description of Alexandria rendant publics les croquis et les informations sur les bâtiments.
« Le financement demeure un problème » et « le projet n’a jamais reçu le soutien nécessaire du gouvernement égyptien », indique l’architecte.
Assis à la table du café, Gohar continue pourtant de dessiner, préservant avec son crayon ce qui pourrait tomber en ruine.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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