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« Le chemin est encore long » : Alger, le jour après Bouteflika

Les Algériens se réjouissent de la démission du président Bouteflika mais restent lucides : de nombreux pièges guettent l’avènement de la démocratie dont ils rêvent
Sur sa pancarte, Abdelouhab (à droite) revendique une deuxième République (MEE/Kenza Merzoug)
By Kenza Merzoug in ALGER, Algérie

Au lendemain de l’annonce de la démission du président Abdelaziz Bouteflika, un groupe de manifestants occupe les marches de la Grande Poste. Des policiers tentent de les disperser dans l’après-midi.

Abdelouhab, 61 ans, obtempère difficilement. Il habite Bordj Bou Arreridj (est), il a parcouru 240 kilomètres pour venir exprimer sa joie dans la capitale. L’homme se dit confiant quant à l’avenir du pays : « Il ne peut qu’être radieux maintenant que le peuple s’est réveillé ! ».

Comme Abdelouhab, de nombreux Algériens renouent avec l’espoir de changement. « Je suis très positif pour la première fois depuis vingt ans », se réjouit Zakri, 54 ans, venu célébrer cette première victoire avec son ami. « J’avais totalement perdu espoir », confie l’enseignant de français, « mais les Algériens m’ont montré ce dont ils sont capables. C’est un peuple merveilleux ! ».  

« S’il y a tentative d’ingérence étrangère ou de confiscation de pouvoir par qui que ce soit, comme l’armée, le peuple ne se laissera pas faire »

- Soufiane, 24 ans, étudiant

Un attroupement se forme autour d’eux. Les passants lisent la dizaine de revendications inscrites sur la pancarte rose qui recouvre le costume cravate gris d’Abdelouhab.

L’une d’entre elles : « Vive la deuxième République ! ». Les deux hommes élèvent la voix pour se faire entendre, malgré la présence de la police. « Nous avons franchi une première étape », scande Abdelouhab, « mais le chemin est encore long ».

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À quelques mètres, dans un café, Soufiane, 24 ans, enfoncé dans un fauteuil en cuir, partage une gaufre au chocolat avec une amie, tout en commentant l’actualité de la semaine : « On a vu qu’on pouvait être unis pour une cause et obtenir de vrais résultats ».  

Le jeune étudiant se dit à la fois confiant et inquiet. « À 70 % confiant, car durant ces sept dernières semaines, j’ai découvert un visage de l’Algérie que je n’avais pas vu auparavant. À 30 % inquiet car je crains des interventions extérieures ». « Car on ne sait pas qui tire les ficelles et qui gère le pays », souligne le jeune homme.

Installée à la table d’à côté, Kahina, 38 ans, se joint à la conversation. « Même une bonne nouvelle est accueillie avec une inquiétude, car on attend la mauvaise nouvelle qui se cache derrière ». « C’est exactement ça », acquiesce Soufiane en parlant des rumeurs lues sur les réseaux sociaux au sujet d’une possible influence des États-Unis sur l’armée.

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Mais il s’empresse de relativiser : « On a brisé le mur de la peur. S’il y a tentative d’ingérence étrangère ou de confiscation de pouvoir par qui que ce soit, comme l’armée, le peuple ne se laissera pas faire. Il veille ». Kahina le rejoint : « L’armée sait qu’elle est observée par le monde. Elle sait qu’un seul faux pas peut amener à une intervention extérieure et on sait qu’elle est protectrice de son territoire ».

Adossé à la vitrine du café, Karim, 29 ans fume une cigarette en plissant les yeux. « Je pense que l’avenir sera forcément meilleur car on a touché le fond ». Mais il se méfie des islamistes. « Ils arrivent avec de beaux discours et les Algériens adhèrent. » Le jeune se dit tout de même rassuré par les commentaires sur les réseaux sociaux : « Le niveau monte ! ». 

Square Port Saïd, aux abords de la Casbah, La Baignoire, espace de partage entre entreprenariat et art, accueille, chaque semaine depuis le début du mouvement, des cours sur la Constitution. 

Des espaces de dialogue et de liberté

Assise autour de la grande table disposée dans l’entrée, Sarah, 32 ans, noircit à toute vitesse les pages blanches de son cahier au fur et à mesure de la séance, tout comme ses voisins. La jeune femme, elle-même juriste, salue cette initiative : « On sent qu’il y a des espaces de dialogue et de liberté qui s’ouvrent à nous ». Mais Sarah redoute un retour en arrière. « Tout cela peut soudainement s’évaporer. On peut très vite replonger dans l’ambiance d’avant ». 

La juriste fait allusion aux vingt ans d’anesthésie politique et de paralysie des forces sociales que le pays vient de traverser. « Je crains que rien ne se passe » avoue-t-elle. D’où l’importance pour la jeune femme de rester mobilisée.

Elle s’apprête, à son tour, à donner un cours de droit constitutionnel durant le week-end à des étudiants de Boumerdès. « Ce sont des actions auxquelles je crois. Le fait de discuter, d’échanger permettra de sortir de l’isolement et de construire notre avenir ». 

Après deux heures de cours, les étudiants en droit constitutionnel d’un soir quittent la salle, fatigués mais enthousiastes. Anis, 25 ans, a l’intention de retourner marcher le vendredi 5 avril. « Nous sommes sortis six vendredis parce que nous ne voulions plus de Bouteflika. Il est parti. Pourquoi sortir maintenant ? ». 

« Je suis grippé depuis trois semaines, ça bouffe nos vendredis mais on continuera ! »

- Anis, 25 ans, étudiant

Le jeune homme et ses amis ont longuement débattu de leurs nouvelles revendications : « Il y en a tellement encore ! On ne sait pas par où commencer ».

Mais ils sont certains de leur désir de voir des technocrates mener des réformes de fond pour aller vers une vraie démocratie. « Je suis grippé depuis trois semaines, mon entourage aussi est fatigué, ça bouffe nos vendredis mais on continuera ! ». Où puise-t-il cette énergie ? « On s’est tus pendant des années, il faut qu’on se rattrape ! ». 

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