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Soudan : le président Omar el-Béchir évincé du pouvoir par l’armée

L’armée a mis fin aux trente ans de règne du président soudanais après des mois de manifestations populaires, mais les meneurs de la contestation rejettent le « coup d’État du régime »
Des Soudanais sont rassemblés devant le QG de l'armée à Khartoum (AFP)

Le président soudanais Omar el-Béchir, au pouvoir depuis trois décennies, a été destitué par l’armée, au terme d’un mouvement de contestation populaire de plusieurs mois, a annoncé ce jeudi le ministre de la Défense, Awad Ahmad Ibn Auf.

« J’annonce, en tant que ministre de la Défense, la chute du régime et le placement en détention dans un lieu sûr de son chef », a déclaré Ibn Auf à la télévision d’État. Le ministère a annoncé qu’un « conseil militaire de transition » succédait à Béchir pour une durée de deux ans.

L’armée a également décrété un cessez-le-feu sur tout le territoire, imposé un mois de couvre-feu nocturne et annoncé avoir fermé les frontières et l’espace aérien jusqu’à nouvel ordre. Dans la matinée, les renseignements soudanais (NISS) avaient annoncé la libération de tous les prisonniers politiques.

Selon le ministère de la Défense, le président déchu est actuellement détenu par l’armée.

Dans la soirée, Awad Ahmad Ibn Auf a prêté serment en tant que président du Conseil de transition militaire.

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« La révolution continue »

Les meneurs de la contestation ont quant à eux rejeté le « coup d’État du régime ».

« Déclaration importante : la révolution continue. » Telle a été la réaction concise du Comité des médecins soudanais suite à l’annonce que l’armée planifiait de prendre le contrôle du pays pour les deux prochaines années.

Des Soudanais manifestent à Khartoum ce jeudi (AFP)
Des Soudanais manifestent à Khartoum ce jeudi (AFP)

L’Association des professionnels soudanais, fer de lance de la contestation, a également annoncé qu’elle rejetait le « coup d’État » et appelé à la poursuite des manifestations jusqu’à ce que le pouvoir soit transféré à « un gouvernement civil de transition représentant les forces de la révolution. »

« Le régime a mené un coup d’État militaire en présentant encore les mêmes visages et les mêmes institutions que ceux qui ont provoqué la colère de notre grande nation. Ceux qui ont détruit le pays et tué son peuple cherchent à voler chaque goutte de sang et de sueur répandue par la nation soudanaise pour secouer son trône », a-t-elle indiqué dans un communiqué.

Les activistes avaient averti depuis le matin, dans l’attente de l’annonce de l’armée, qu’ils accepteraient seulement que le pouvoir passe à un gouvernement civil, et beaucoup ont réagi avec colère à la déclaration télévisée du ministre de la Défense.

Certains manifestants se sont moqués de l’annonce et ont insisté pour que leurs manifestations se poursuivent.

Traduction : « LOL Awad Benawf est probablement allé voir Béchir, assigné à résidence, directement après son discours et ils se sont tous les deux fait un high five et ont bien rigolé. »

Au cours des derniers jours, les manifestants ont remis en cause le rôle de l’armée à plusieurs reprises, même si sur le terrain, les soldats ont été célébrés pour avoir défendu les manifestants.

Trente ans de règne autoritaire 

Dirigeant militaire et ancien ministre de la Défense, Omar el-Béchir a mené à bien un coup d’État en 1989, se donnant ensuite le titre de président du Conseil du commandement révolutionnaire pour le salut national.

Il a ensuite dissous le gouvernement élu du pays, interdit les partis politiques et les syndicats, et introduit une série de mesures restrictives visant à renforcer son emprise sur le pouvoir, notamment l’instauration de l’État d’urgence et l’interdiction de manifester.

Au début des années 1990, le Parti du congrès national (PCN), le parti au pouvoir dirigé par Béchir, « purgeait sans relâche les bureaucraties et le système judiciaire des “laïcs” et des personnes fidèles aux autres partis politiques », a indiqué Human Rights Watch.

En octobre 1993, Omar el-Béchir s’est officiellement nommé président du Soudan, remportant une série d’élections ultérieures qu’il a pratiquement contrôlées.

Omar el-Béchir s’est hissé au pouvoir suite à un coup d’État en 1989, se désignant lui-même président quelques années plus tard (AFP/photo d’archives)
Omar el-Béchir s’est hissé au pouvoir suite à un coup d’État en 1989, se désignant lui-même président quelques années plus tard (AFP/photo d’archives)

Depuis lors, l’homme d’État a systématiquement eu recours au droit militaire et à d’autres mesures restrictives pour conserver sa mainmise sur le pouvoir face à des problèmes économiques croissants, à l’isolement international dont a fait l’objet le Soudan et aux pressions politiques tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger.

Pendant des décennies, Omar el-Béchir a été à la tête du PCN, lequel a soutenu en août 2018 sa candidature à sa réélection.

À l’époque, Béchir s’était engagé à « satisfaire toutes les demandes de [son] peuple afin de surmonter les nombreuses crises auxquelles [il est] confronté en cette période critique de l’histoire de [son] pays », s’il était réélu lors des élections prévues en 2020, tout en promettant de consolider la loi islamique dans le pays.

Cette promesse a toujours été une part essentielle de l’offre de Béchir au peuple soudanais, son plaidoyer pour un État islamique s’accompagnant d’une critique constante de la laïcité occidentale. 

Mais l’année dernière, le dirigeant de longue date du Soudan a essuyé des critiques croissantes au sein de son propre parti, des membres clés du PCN ayant rejeté sa candidature à la présidence, certains affirmant qu’il souhaitait rester au pouvoir uniquement pour éviter de se retrouver face à la Cour pénale internationale (CPI).

La Cour a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de Béchir en 2009 et 2010 pour son rôle dans le génocide au Darfour moins de dix ans plus tôt, qui a fait des centaines de milliers de morts et des millions de déplacés.

La Cour accuse Béchir de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de génocide, concernant le meurtre, la torture, le viol et d’autres attaques systémiques contre des civils dans l’ouest du Soudan.

Pendant plus de trente ans au sommet de l’État, Omar el-Béchir a régulièrement dénoncé les forces occidentales, les accusant de tenter de s’immiscer dans les affaires soudanaises et de vouloir le renverser.

« Nous ne reviendrons jamais en arrière à cause des complots en cours contre nous », a-t-il déclaré en août.

Pressions économiques

Cependant, ce sont des défis internes qui ont véritablement précipité la fin du régime de Béchir, qui a vu sa popularité décliner de manière drastique face à la crise économique que connaît le pays actuellement et à l’échec des efforts visant à y remédier.

« Sa popularité a fortement diminué et le pays est soumis à différents types de crises, en plus de l’isolement international »

- Elimam Ahmed, analyste politique 

« Sa popularité a fortement diminué et le pays est soumis à différents types de crises, en plus de l’isolement international », avait déclaré le politologue Elimam Ahmed à MEE en août dernier.

De fait, les manifestations de masse à travers le Soudan, qui ont débuté le 19 décembre dernier, avaient pour cause première la colère publique suscitée par la hausse du prix du pain.

Elles se sont ensuite muées en un appel plus large visant à ce que le président se retire et permette une transition politique incluant toutes les tranches de la société.

Le mois dernier, Omar el-Béchir a confié la direction du PCN à un nouvel adjoint, ce qui a été considéré par beaucoup comme une tentative d’endiguer les manifestations.

Le président a également instauré un régime militaire, interdit les manifestations et raflé des centaines d’activistes pro-démocratie alors que les rassemblements se poursuivaient dans tout le pays.

Pendant des mois, Béchir a insisté sur le fait que le changement politique ne pouvait se faire que par les urnes, continuant à imputer les troubles aux forces extérieures cherchant selon lui à détruire le Soudan

Répression de la dissidence

Omar el-Béchir a fait l’objet de critiques de la part de groupes de défense des droits de l’homme durant presque toute sa présidence.

Dernièrement, les autorités soudanaises ont été critiquées pour avoir arrêté arbitrairement, détenu et torturé des activistes de l’opposition, des journalistes et d’autres détracteurs présumés, pour avoir accusé d’apostasie des non-musulmans, expulsé illégalement des demandeurs d’asile et autorisé une répression violente contre les civils dans plusieurs régions du pays, entre autres.

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Mais alors que Béchir était recherché par la CPI et régulièrement condamné par des organisations de défense des droits de l’homme et des activistes au Soudan, il a conservé le soutien de plusieurs gouvernements mondiaux.

En réalité, de nombreux pays l’ont soutenu ces derniers mois, notamment au Moyen-Orient et en Afrique, où certains dirigeants ont craint de voir les protestations populaires déborder du Soudan et se propager dans leurs pays.

En décembre, quelques jours à peine avant le début des protestations au Soudan, Béchir s’est rendu à Damas pour rencontrer le président syrien Bachar al-Assad.

Les deux dirigeants ont souligné la nécessité d’élaborer « de nouveaux principes pour des relations interarabes basées sur le respect de la souveraineté des pays et la non-ingérence dans les affaires intérieures », a rapporté à l’époque l’agence de presse syrienne SANA.

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, accusé de mener sa propre répression contre la dissidence, a lui aussi soutenu Béchir, affirmant que le maintien de l’emprise du dirigeant soudanais sur le pouvoir était nécessaire pour la sécurité de l’Égypte.

« L’Égypte soutient pleinement la sécurité et la stabilité du Soudan », a déclaré Sissi à un assistant de haut rang de Béchir en visite au Caire début janvier.

Durant les premiers jours du mouvement de protestation soudanais, le Qatar, l’Arabie saoudite, la Chine et les États-Unis ont également déclaré que le maintien de Béchir au pouvoir au Soudan était dans leur intérêt.

L’érosion du soutien

Cependant, même le soutien tacite à sa présidence s’est finalement érodé cette semaine, après que des milliers de manifestants ont franchi un cordon de sécurité pour organiser un sit-in dans le bâtiment des forces armées soudanaises situé dans le centre de Khartoum.

Les participants au rassemblement, qui a duré plusieurs jours, ont appelé l’armée à intervenir pour soutenir leur mouvement.

Cette semaine, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Norvège ont également soutenu la revendication des manifestants en faveur d’une transition politique pour aider le Soudan à sortir de l’impasse.

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« Le temps est venu pour les autorités soudanaises de répondre à ces revendications populaires d’une façon sérieuse et crédible. Le peuple soudanais demande un système politique inclusif et doté d’une plus grande légitimité », ont déclaré ces pays dans un communiqué publié mercredi.

Les États-Unis ont joué un rôle de premier plan dans l’isolement du Soudan sur la scène internationale, en maintenant le pays sur sa liste noire des États commanditaires du terrorisme.

Toutefois, sous l’ancien président américain Barack Obama, Washington a cherché à assouplir les sanctions imposées au Soudan en échange d’une aide du pays dans les opérations de lutte contre le terrorisme.

Des négociations étaient en cours pour retirer le Soudan de la liste des États commanditaires du terrorisme – une étape que Béchir considérait comme cruciale pour relancer l’économie en difficulté du pays –, mais celles-ci sont au point mort depuis que les protestations de masse ont éclaté l’an dernier.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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