Les pays sahéliens, maillons faibles de l’Afrique et porte d’entrée pour les puissances mondiales
Les jours se suivent et se ressemblent au Sahel. La récente libération des otages (deux Français, une Américaine et une Sud-Coréenne) au Burkina Faso ainsi que la mort de six personnes tuées lors d’une attaque dans une église catholique au nord du Burkina Faso en témoignent.
Six ans après l’opération Serval au nord du Mali, ni celle-ci, ni ensuite Barkhane et ni encore le G5 Sahel n’ont à ce jour réussi à vaincre le terrorisme dans la région.
Au contraire, ces prises d’otages et ces attaques récurrentes rappellent plus que jamais que les groupes terroristes sont non seulement bien implantés, mais plus encore, qu’aucun pays sahélien – ni africain – n’est aujourd’hui immunisé, ni épargné par la gangrène terroriste.
L’hérésie du G5 Sahel
Telle une métastase, elle continue de se propager vers l’est au Niger – vingt-huit soldats nigériens ont récemment trouvé la mort dans une embuscade, au Burkina Faso – mais aussi au sud, dans le golfe de Guinée, démontrant ainsi les limites de la stratégie de cette lutte antiterroriste.
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Par ailleurs, la présence croissante de militaires étrangers dans la région avec les forces françaises à leur tête, ne peut expliquer à elle seule de tels investissements financiers, matériels et humains.
Ni Serval, ni ensuite Barkhane et ni encore le G5 Sahel n’ont à ce jour réussi à vaincre le terrorisme dans la région
Au-delà de l’incapacité indiscutable de ses forces à défaire les groupes terroristes, le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), qui ignore les dynamiques nord-sud et interrégionales, affaiblit des mécanismes déjà en place tel que le processus de Nouakchott – comprenant onze États allant de la Méditerranée au golfe de Guinée – pensé et conceptualisé en 2013 par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA) afin de faire face aux crises sécuritaires de la région dans sa globalité.
Une coopération caduque
Ce faisant, il délimite non seulement la question géostratégique de la région sahélo-saharienne, mais souligne aussi l’interdépendance de tous les États concernés, du nord à l’ouest de l’Afrique.
Le G5 Sahel et ses alliés divisent donc la région géographique et politique qui s’étend du golfe de Guinée à l’Afrique du Nord en trois sous-régions différentes : le Maghreb, le Sahel et l’Afrique de l’Ouest, méprisant ainsi leurs profondes interdépendances politiques, géographiques et sécuritaires.
Résultat : la coordination et la coopération entre tous les États du processus de Nouakchott s’en trouvent affaiblies, voire caduques, alors que l’avancée inquiétante des groupes armés vers le Togo, la Côte d’Ivoire, le Bénin et d’autres pays de la région, met en évidence l’interdépendance de ces trois régions.
À cela s’ajoute la situation explosive en Libye où le maréchal Khalifa Haftar a, à travers son offensive lancée sur Tripoli le 4 avril dernier, fait durablement voler en éclats toute perspective de règlement du conflit, rendant la situation chaotique du pays encore plus vulnérable face au terrorisme.
Cette illusion de toute puissance qui habite Haftar est confortée par la position de la France pour qui le maréchal est un précieux allié.
Dans un entretien accordé au Figaro le 2 mai, Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères saluait d’ailleurs la lutte menée contre le terrorisme par l’armée nationale libyenne (ANL), en déclarant : « Je soutiens tout ce qui sert la sécurité des Français et des pays amis de la France ».
Bataille militaire sans précédent
Ce que Le Drian s’abstient toutefois de dire, c’est que plus que la lutte contre le terrorisme, Haftar est un allié de poids dont Paris a besoin dans son ambition géostratégique consistante à quadriller la globalité de la région saharo-sahélienne. Car comme le souligne l’historienne Sophie Bessis, la France ne serait pas une puissance mondiale sans sa présence et pénétration en Afrique.
En effet, depuis plusieurs années maintenant, les bases militaires étrangères essaiment un peu partout en Afrique, et plus encore à travers la bande sahélienne, allant de Djibouti à la Côte d’Ivoire, ce qui inquiète en tout point la France, de plus en plus bousculée dans son pré carré historique.
Les États-Unis, la Russie et d’autres nations se disputent le moindre hectare de cette région
Les États-Unis, la Russie et d’autres nations se disputent le moindre hectare de cette région pour installer leurs soldats, officiellement, pour lutter contre le terrorisme transfrontalier. En réalité, c’est une véritable guerre d’influence qui se joue entre les puissances occidentales mais aussi émergentes, telle l’Inde, le Brésil et la Chine.
En 2017, la Chine installait sa base militaire à Djibouti – bastion français par excellence ! – à un jet de pierre de la base du corps expéditionnaire américain du camp Lemonnier, où 4 000 hommes sont aussi présents. Ce qui n’est pas pour rassurer Paris.
Quant à la Russie, si sa présence au Sahel demeure insignifiante, son ambition de s’implanter de plus en plus en Afrique, au-delà de la bande sahélienne, dans des pays tel que le Mozambique, la Namibie ou la République démocratique du Congo (RDC) est bien réelle.
Le taureau dans l’arène
Mais rien ne résume aussi bien ce qui se trame au Sahel que ce lapsus d’Angel Losada, le représentant spécial de l’Union européenne pour le Sahel.
Lors d’une réunion consultative stratégique sur le Sahel organisée en mars 2018 à Nouakchott, sous l’égide de l’Union africaine, où la question essentielle concernait le G5 Sahel et son articulation aux différents mécanismes de coopération préexistants de la région sahélo-saharienne, Losada trébucha verbalement.
« Afin de vous expliquer ce que l’on est en train… euh… vous êtes en train d’implémenter », a-t-il déclaré. Même s’il s’en est ensuite défendu, il est difficile de ne pas voir dans ce « on » une confession involontaire sur la politique européenne au Mali et au Sahel dans sa globalité.
Le train idéologico-stratégique conduit par les puissances étrangères, la France à leur tête, poursuit donc son chemin en Afrique.
Pendant ce temps, les pays africains en général et les leaders du G5 Sahel en particulier, demeurent sur le quai.
Pire, tels des taureaux dans l’arène, ils continuent de foncer tête baissée vers la muleta agitée par le toréro franco-européen, omettant ainsi de voir et de comprendre que l’enjeu dans le long terme n’est point cette étoffe rouge sur laquelle ils se focalisent, mais qu’il se trouve ailleurs.
Bataille idéologico-stratégique
Car au-delà de la lutte contre le terrorisme et des énormes enjeux économiques, l’Afrique est en réalité devenue le centre de gravité du jeu politico-stratégique des puissances mondiales. Et les pays sahéliens, maillons faibles du continent, en sont la porte d’entrée par excellence.
Les pays du G5 Sahel se contentent d’appliquer aveuglément un programme et une stratégie pensés à Paris et Bruxelles
Alvin Toffler expliquait un jour que « si vous n’avez pas de stratégie, vous faites partie de la stratégie de quelqu’un d’autre ». De par leurs incapacités à comprendre cela, de par leur absence de vision stratégique, ces pays du G5 Sahel, qui n’ont jamais réussi auparavant à coordonner leurs actions régionales, se contentent d’appliquer aveuglément un programme et une stratégie pensés à Paris et Bruxelles, pourvu que cela puisse les maintenir au pouvoir et accessoirement, les enrichir un peu plus.
Ce faisant, ils mettent en danger non seulement l’entière région du Sahel, dans sa définition la plus large, mais aussi une grande partie du continent africain, sinon l’Afrique dans sa globalité.
Car pendant que les forces militaires du G5 Sahel (télé)guidées par Barkhane sont occupées à tenter vainement de neutraliser les terroristes qui, à l’image de l’Hydre de Lerne, se multiplient afin de se propager toujours un peu plus à travers le continent, une autre bataille bien plus importante se joue sans eux.
Celle idéologico-stratégique pour le contrôle de l’entière région du Sahel, allant de la mer Rouge aux côtes atlantiques. Un contrôle aux effets dévastateurs pour le continent africain et ses générations futures.
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