Algérie : pour la société civile et l’opposition, le report de la présidentielle sans transition est voué à l’échec
La présidentielle prévue le 4 juillet, selon la feuille de route légale, a été reportée sine die par le Conseil constitutionnel dimanche 2 juin. Les deux candidats à la candidature, d’illustres inconnus, ont vu leurs dossiers rejetés. Sans surprise.
Aucune candidat(e) de poids, ni du côté de ce qui reste du système, ni du côté de l’opposition, ne s’est aventuré à s’engager dans une élection massivement refusée par les dizaines de milliers de manifestants qui maintiennent la pression tous les vendredi et tous les mardis malgré la chaleur et le jeûne du Ramadan.
« Il revient au chef de l’État de convoquer de nouveau le corps électoral et de parachever le processus électoral jusqu’à l’élection du président de la République et la prestation de serment constitutionnel », a annoncé le Conseil constitutionnel. Une manière de proroger le mandat du président par intérim, Abdelkader Bensalah, au-delà des 90 jours (début juillet).
« L’intérim de Bensalah se trouve ainsi prolongé, pour l’instant sans précision de délai, jusqu’à ce qu’un nouveau président de la République soit élu », écrit l’éditorialiste Mustapha Hammouche.
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« Voici donc les Algériens ramenés plusieurs semaines en arrière, lorsque le chef de l’État par intérim convoquait le corps électoral en dépit de la revendication populaire nationale d’une autorité de transition et du départ préalable des membres du régime Bouteflika encore à la tête des institutions », poursuit-il sur le quotidien Liberté.
« Si l’élection est seulement retardée de deux ou trois mois, sans projet pour des réformes profondes du fonctionnement de l’État, le pays ne risque-t-il pas de se retrouver dans la même situation une nouvelle fois ? Les Algériens accepteront-ils demain ce qu’ils ont rejeté aujourd’hui ? Il est clair qu’avec les mêmes conditions, la présidentielle subira le même sort », souligne, de son côté le quotidien El Watan.
Une transition rejetée par l’armée
Pour la classe politique, le rejet de ce report de présidentielle, sans passer par la case transitoire ou par des réformes profondes, semble unanime.
« Aucun dialogue n’a été initié avec les acteurs politiques ou ceux de la société civile pour réunir les conditions d’un retour du pouvoir réel aux civils »
- Mohcine Bellabas, président du RCD
Le président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Mohcine Bellabas, cible comme responsable du statu quo le patron de l’armée, Ahmed Gaïd Salah : « L’état-major de l’armée s’est transformé en une sorte de Haut comité de transition décidant de tout et envoyant ses messages les plus importants par l’intermédiaire de son chef Gaïd Salah ».
« Malgré les promesses faites au départ pour accompagner le mouvement populaire pour rendre sa souveraineté au peuple, aucun dialogue n’a été initié avec les acteurs politiques ou ceux de la société civile pour réunir les conditions d’un retour du pouvoir réel aux civils », appuie l’opposant.
Répondre aux revendications du mouvement populaire
Ces critiques, qui ciblent autant le refus de l’armée d’entendre parler d’une quelconque période de transition que le prolongement du mandat du président de l’État intérimaire, interviennent au moment où se multiplient les appels à sortir du cadre constitutionnel pour trouver une issue à la crise politique.
Oulémas musulmans, personnalités politiques, ONG ou partis politiques insistent sur la nécessité d’aller vers une période de transition afin de réformer le système et répondre aux revendications du mouvement populaire mobilisé depuis le 22 février.
Or, pour l’armée et son porte-parole, le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, la transition est synonyme d’instabilité et de perte du contrôle de la feuille de route.
Le journal étatique El Moudjahid ne se lasse pas de le répéter : « La transition assure la pérennité de l’ancien régime, tout en favorisant la montée d’une nouvelle clientèle, grâce à la cooptation que permettent des mécanismes douteux d’une ‘’présidence collégiale’’ ou d’une ‘’personnalité consensuelle’’, vieilles recettes expérimentées sans succès au début des années 1990, avec la tragédie dont nous continuons aujourd’hui à subir les méfaits et les traumatismes ».
Les rédacteurs de cet éditorial font leur propre lecture de la feuille de route adoptée au lendemain de la suspension du processus électoral en janvier 1992 et la création du Haut comité d’État, processus qui a débouché sur le renouement formel avec une normalité institutionnelle, celle de l’élection présidentielle de 1995.
Aujourd’hui, selon les formules employées par les médias étatiques et les discours du patron de l’armée, un nouveau plan se dessine : organiser une conférence de dialogue inclusif, créer une « instance indépendante » pour superviser et organiser l’élection et aller finalement à la présidentielle, avant la fin 2019.
La constitutionnaliste Fatiha Benabbou pense qu’il serait préférable « de ne pas convoquer le corps électoral maintenant, mais de reporter cette décision à début juillet ».
« Le mois de juin pourrait être consacré, à mon avis, à des négociations pour un dialogue national par le biais d’une conférence ouverte aux personnalités politiques et à la société civile », précise-t-elle.
Le politologue et journaliste Abed Charef doute de la faisabilité d’un nouveau rendez-vous électoral. « Organiser le scrutin à la fin de l’année 2019, cela signifie que le corps électoral sera convoqué dans un délai de trois mois, au plus tard en septembre. Qu’est ce qui peut être fait en un délai aussi court, alors que le pays ne dispose pas d’institutions, que la confiance est absente, que la société n’est pas structurée, et que la représentation politique est aussi indigente que faussée ? », analyse t-il.
« Une élection équitable exige des conditions impossibles à réunir en trois mois. Il en est ainsi de la libération du champ politique, de l’accès égal de tous les partenaires aux médias, et de l’installation d’un climat apaisé nécessaire pour garantir une compétition électorale crédible. Une élection libre et équitable exige ainsi un dispositif en amont en mesure de changer la donne politique », énumère Abed Charef, listant les conditions nécessaires à une présidentielle qui pourrait avoir l’adhésion du mouvement populaire et de l’opposition.
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