Turquie : l’AKP à la pêche aux voix kurdes pour remporter le nouveau scrutin à Istanbul
Trois mois après que le président turc Recep Tayyip Erdoğan a descendu en flammes les politiciens de l’opposition parce qu’ils avaient utilisé le terme « Kurdistan » pour décrire certaines régions de Turquie, son candidat à la mairie d’Istanbul fait exactement la même chose.
Binali Yıldırım, ancien Premier ministre appartenant au Parti de la justice et du développement (AKP) d’Erdoğan, était jeudi dernier à Diyarbakır, une ville à majorité kurde de l’est de la Turquie, dans l’espoir de récupérer les voix des Kurdes.
Après avoir salué les habitants en kurde, il a commencé à évoquer le rôle kurde dans l’histoire de la Turquie.
« Kemal Atatürk [le fondateur de la Turquie moderne] a invité des représentants du Kurdistan ainsi que des représentants du Lazistan et d’autres régions de l’Anatolie à l’assemblée nationale qu’il a convoquée à Ankara », a déclaré Yıldırım.
Le candidat à la mairie ne s’est pas arrêté là. Au cours d’une apparition télévisuelle le même jour, il a affirmé son soutien aux doléances des habitants kurdes et alévis en leur rappelant que le parti au pouvoir s’était excusé pour la répression brutale de la rébellion à Dersim dans les années 1930.
Récemment, le maire communiste de cette ville a suscité la polémique en décidant d’abandonner le nom de Tunceli, donné à la ville par le gouvernement Atatürk en 1935, et de revenir au nom précédent, Dersim.
Sa décision a été vivement condamnée par Devlet Bahçeli, le leader du Parti d’action nationaliste, qui a désigné, conjointement avec Erdoğan, Yıldırım comme candidat à la mairie d’Istanbul.
Que se passe-t-il ?
Des sources proches du parti au pouvoir ont déclaré à Middle East Eye qu’une nouvelle stratégie avait été mise en place pour remporter les voix kurdes, lesquelles auraient contribué à faciliter la victoire du candidat de l’opposition Ekrem İmamoğlu à Istanbul le 31 mars.
Le Conseil électoral supérieur (YSK) a finalement annulé les résultats, invoquant des irrégularités dans les bureaux de vote, et a choisi une nouvelle date pour les élections, le 23 juin.
Dans une interview dans le journal Star, laquelle a plus tard été retirée du site internet, le vice-président de l’AKP, Azmi Ekinci, a déclaré le mois dernier que le parti au pouvoir avait perdu Istanbul en raison de la rhétorique des responsables.
« Parmi les raisons pour lesquelles nous avons perdu Istanbul figurent notre discours sur la survie de la nation et la déclaration du président [Erdoğan] qui demandait aux politiciens du HDP, qui sont liés aux terroristes, de quitter le pays et d’aller au Kurdistan irakien », estimait-il.
Ekinci a déclaré que les appels de Selahattin Demirtaş, l’ancien leader emprisonné du HDP pro-kurde, à voter pour İmamoğlu avait également influencé un grand nombre de votes kurdes à Istanbul.
Le HDP a obtenu 12 % des voix stambouliotes aux élections législatives l’année dernière.
Aujourd’hui, semble-t-il, Binali Yıldırım a l’occasion de renverser la vapeur.
« Langage chaleureux »
Deniz Zeyrek, un journaliste du journal d’opposition Sözcü, a souligné que beaucoup de choses avaient changé concernant les Kurdes depuis que l’YSK avait annulé l’élection le 6 mai. Dans un article publié jeudi dernier, il écrivait :
« Que s’est-il passé depuis ce jour ?
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Abdullah Öcalan, le leader emprisonné du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), a été autorisé à voir ses avocats [pour la première fois en huit ans].
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Le ministre de la Justice a déclaré que l’interdiction de visite concernant Öcalan avait été levée.
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Le leader du MHP, Devlet Bahçeli, a soutenu cette décision.
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Des responsables locaux des provinces orientales appartenant au parti au pouvoir sont arrivés à Istanbul pour s’attirer les votes. »
Des commentateurs proches du parti au pouvoir expliquent que l’AKP fait également campagne en visant particulièrement les Kurdes conservateurs pour dissiper les griefs provoqués par les déclarations nationalistes.
Abdulkadir Selvi, un célèbre chroniqueur du journal Hürriyet, a déclaré que l’AKP avait déployé des responsables locaux influents à Istanbul pendant le mois sacré du Ramadan pour les convaincre de voter pour Yıldırım.
« Ils ont changé de discours vis-à-vis des Kurdes. Ils utilisent un langage plus chaleureux. Cependant, le nombre de Kurdes conservateurs qui iront voter n’est pas encore très clair », écrivait-il.
Plusieurs sondages menés ces dernières semaines placent Ekrem İmamoğlu en tête de 2 à 4 points.
Des sources ont confié à MEE que les sondages de l’AKP montraient les mêmes résultats.
Initiative sans précédent, Yıldırım et İmamoğlu doivent participer à un débat électoral télévisé la semaine prochaine pour essayer de s’attirer davantage de voix.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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