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Au Yémen, le retrait émirati exacerbe les tensions entre milices séparatistes et forces gouvernementales

Alors que les Émirats réduisent leurs troupes au Yémen, la province de Chabwa pourrait constituer un nouveau champ de bataille qui verrait s’affronter les milices sécessionnistes soutenues par les EAU et les forces du président Hadi affiliées aux islamistes d’al-Islah
Des soldats émiratis à l’aéroport international d’Aden en 2015 (Reuters)

Alors que les Émirats arabes unis (EAU) réduisent leurs troupes au Yémen, les séparatistes du Sud qu’ils soutiennent se massent dans la province riche en pétrole de Chabwa, exacerbant les tensions avec les combattants fidèles au président Abd Rabbo Mansour Hadi, selon des activistes locaux et des responsables de la sécurité.

Formée par le Conseil de transition du sud (CTS), un groupe séparatiste défiant le gouvernement de Hadi dans le sud du pays, une nouvelle force qui se surnomme « la Résistance du Sud » a recruté des milliers de combattants ces derniers mois.

« Ils ont commencé à recruter en avril et le rassemblement est en cours », témoigne Nasser al-Khalifi, un responsable des droits de l’homme qui documente les exactions commises par la coalition et les forces de sécurité dirigées par les Saoudiens et les Émiratis à Chabwa, auprès du correspondant de MEE au Yémen.

Cet élan ouvre la voie à une lutte de pouvoir dans la province avec les troupes fidèles à Ali Mohsen al-Ahmar, vice-président de Hadi. Allié clé de l’ancien président Ali Abdallah Saleh, al-Ahmar est un soutien du parti islamiste sunnite al-Islah, composé de membres des Frères musulmans yéménites.

Pilier du régime de Saleh avant le soulèvement populaire de 2011, al-Ahmar est considéré par les Yéménites des provinces du sud comme un symbole de l’occupation militaire par le Nord qui a suivi la guerre civile de 1994.

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À cette époque, le régime basé à Sanaa a écrasé une rébellion militaire dans ce qu’on appelait alors le Yémen du Sud et a appliqué un accord d’unification datant de 1990.

Travaillant aux côtés d’une autre milice soutenue par les Émirats arabes unis, connue sous le nom d’Élite chabwanie, les combattants de la « Résistance du Sud » cherchent à prendre le contrôle de la province aux troupes fidèles à al-Ahmar.

« L’Élite chabwanie et la Résistance du Sud sont sous les ordres de la direction du CTS », déclare à MEE Shaher al-Sulimani, lieutenant-commandant de L’Élite chabwanie dans le centre de Chabwa, confirmant ainsi le renforcement des forces.

L’objectif, ajoute-t-il, est « d’imposer un contrôle sur notre pays… [et] de le soustraire à l’emprise des Frères musulmans et des partisans d’Ali Mohsen [al-Ahmar] ».

D’après Sulimani, l’Élite chabwanie a récemment étendu ses forces dans l’est de Chabwa afin de protéger les infrastructures pétrolières.

Tensions croissantes

La guerre au Yémen a éclaté en 2015 lorsque l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont formé une alliance militaire dans le but de vaincre les rebelles houthis, alignés sur l’Iran, qui avaient chassé le gouvernement de Hadi de la capitale Sanaa et avaient par la suite pris le contrôle de vastes régions du pays.

La coalition a pu rapidement s’emparer d’Aden, la province la plus peuplée du sud du pays, mais les Houthis ont conservé le contrôle de Sanaa. La guerre est depuis devenue le pire désastre humanitaire au monde, selon l’ONU.

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Alors que Riyad et Abou Dabi assurent que leurs efforts de guerre visent à rétablir la stabilité au Yémen, des zones sous leur contrôle ont régulièrement été le théâtre de combats entre groupes armés rivaux, en particulier entre séparatistes soutenus par les EAU et des combattants fidèles au gouvernement de Hadi.

À ce jour, les Émiratis ont formé 90 000 soldats yéménites à la guerre, a déclaré à Reuters un haut responsable émirati.

Le mois dernier, les forces de l’Élite chabwanie ont affronté les troupes d’al-Islah soutenues par les Saoudiens à Ataq, capitale de la province de Chabwa.

Les tensions dans la région semblent être le prélude à une éventuelle bataille entre les milices sécessionnistes soutenues par les EAU et les forces gouvernementales affiliées à Islah, selon un analyste du conflit yéménite qui mène des recherches sur les réseaux tribaux de la région et s’est confié à MEE sous couvert d’anonymat, n’étant n’était pas autorisé à parler aux médias.

Peter Salisbury, analyste pour l’International Crisis Group au Yémen, explique : « Beaucoup de gens dans le sud ont l’impression qu’al-Islah est la menace immédiate la plus grande qui pèse sur le projet d’indépendance, en partie à cause de leur position au sein du gouvernement reconnu par la communauté internationale. »

« Certaines factions du Sud pensent que les Houthis peuvent être convaincus de rester dans leur région [au nord]. Ils n’ont pas cette impression avec al-Islah », ajoute-t-il.

« Certaines factions du Sud pensent que les Houthis peuvent être convaincus de rester dans leur région [au nord]. Ils n’ont pas cette impression avec al-Islah »

- Peter Salisbury, International Crisis Group

Avant que n’éclate la guerre en 2015, la province de Chabwa et sa voisine orientale, l’Hadramaout, étaient les principales provinces productrices de pétrole. Elles appartenaient toutes deux à ce qu’on appelait autrefois le Yémen du Sud, une république socialiste qui s’est dissoute et a rejoint le nord en 1990.

Or, aucune des deux provinces n’a bénéficié des ventes de pétrole depuis l’unification. La majeure partie de ces revenus a été reversée au gouvernement central de Saleh, l’ancien président, et aux commandants militaires qu’il a déployés pour contrôler les gisements pétroliers.

Depuis le retrait de Saleh à la suite des soulèvements inspirés par le Printemps arabe de 2011, les recettes pétrolières ont enrichi son successeur, Hadi, et le réseau de tribus et d’officiers militaires d’Ali Mohsen al-Ahmar affiliés au parti al-Islah, qui contrôlent les gisements pétroliers, selon le rapport de 2019 du groupe d’experts des Nations unies sur le Yémen.

Le porte-parole du CTS, Nizar Haitham, met en doute la volonté de Hadi et al-Islah de combattre les Houthis, les accusant d’être davantage concentrés sur « leurs intérêts économiques et politiques ».

« Non seulement le conflit politique à Chabwa détourne l’attention de la guerre contre les Houthis, mais il prouve également à la coalition arabe que le gouvernement de Hadi n’est pas un partenaire fiable en ce qui concerne l’objectif premier de la guerre : une victoire totale sur [les] Houthis », déclaré-t-il à MEE.

Priorités changeantes

Toutefois, les objectifs des EAU au Yémen pourraient également être en train de se détourner de cette lutte contre les Houthis.

Discutant du retrait des Émirats au Yémen, des responsables occidentaux anonymes ont déclaré au Wall Street Journal la semaine dernière qu’Abou Dabi « cherch[ait] désormais à concentrer ses efforts au Yémen sur la lutte contre al-Qaïda, l’État islamique et d’autres groupes extrémistes ».

Shaher al-Sulimani, le commandant de l’Élite chabwanie, envisage de prendre Chabwa et l’Hadramaout aux troupes nordistes dans le cadre de cette mission antiterroriste.

Une affiche du président Hadi à Aden, dans le sud du Yémen, le 9 août 2018 (AFP)
Une affiche du président Hadi à Aden, dans le sud du Yémen, le 9 août 2018 (AFP)

Le CTS a désigné al-Islah comme une organisation terroriste, tandis que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui se méfient des groupes islamistes, ont tous deux déclaré les Frères musulmans groupe terroriste en 2014.

Néanmoins, malgré son opposition aux Frères musulmans, Riyad soutient al-Islah au Yémen dans le cadre de sa coalition contre les Houthis.

Il y a deux raisons à cela. Premièrement, le parti islamiste constitue l’un des rares alliés de Riyad contre les Houthis au nord du Yémen. Deuxièmement, le fait de soutenir le parti contribue à faire en sorte qu’al-Islah ne forme pas d’alliance avec l’ennemi juré des Saoudiens, le Qatar.

Les responsables d’al-Islah ont affirmé avoir pris leur distance des Frères musulmans égyptiens à la fin de 2017, en amont d’une réunion avec le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et de son homologue émirati Mohammed ben Zayed al-Nahyane visant à renforcer la confiance mutuelle.

Les représentants d’al-Islah ont également rencontré ben Zayed à la fin de l’année dernière.

Régler d’anciens comptes

Néanmoins, l’approche agressive des forces pro-CTS à Chabwa survient à un moment précaire pour Riyad et Abou Dabi.

Jusqu’à présent, la coalition s’est concentrée sur le port yéménite de Hodeida, au bord de la mer Rouge.

Environ 20 000 combattants soutenus par les Émirats, dont la plupart viennent du sud du Yémen, y campent depuis des mois, dans l’attente de l’ordre d’attaquer pour s’emparer de la ville contrôlée par les Houthis ou de se retirer de la région dans le cadre de l’accord de Stockholm négocié par l’ONU pour éviter de nouvelles effusions de sang.

L’ouverture politique survenue dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord onusien aurait joué un rôle dans le retrait des forces armées émiraties, a déclaré à Reuters le haut responsable émirati anonyme.

Si l’absence de commandants des EAU sur les lignes de front autour de Hodeida conduit à un retrait de leurs forces par procuration, ces combattants pourraient venir renforcer les fronts de bataille ailleurs dans le sud, notamment à Chabwa et dans l’Hadramaout, estime Salisbury.

Il semble également que les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite cherchent à réduire le plus possible les frictions entre leurs forces par procuration.

« Si les EAU s’aperçoivent [qu’] al-Islah gagne en puissance militaire à Chabwa ou dans l’Hadramaout, les forces soutenues par les EAU tenteront d’empêcher que cela ne se produise »

- Eleonora Ardemagni, Institut italien d’études politiques internationales

Cependant, les forces sécessionnistes ne laisseront pas facilement passer l’occasion de réclamer aux troupes du Nord des terres du Sud, et les troupes d’Islah ne quitteront pas cette région riche en pétrole sans se battre, selon les récentes déclarations de l’un des principaux commandants de Hadi.

Lors d’une réunion avec les forces soutenues par les Émirats en mai, le président du CTS, Aidarous al-Zubaidi, a appelé les commandants des milices séparatistes à libérer Chabwa et l’Hadramaout.

Le commandant en chef de Hadi dans le 1er district militaire de Wadi Hadramaout, le brigadier-général Saleh Taimas, avait alors repoussé cette menace.

Sadeq al-Muqree, un porte-parole de Taimas, a déclaré à MEE que toute tentative visant à déloger ses forces du nord de Hadramaout serait « une bataille perdue d’avance ».

Eleonora Ardemagni, chercheuse associée à l’Institut italien d’études politiques internationales, dit toutefois ne pas s’attendre à ce que les forces du CTS marchent sur Hadramaout alors que les champs de bataille contre les Houthis autour de Hodeida et dans la province voisine d’al-Dali restent actifs.

Elle ajoute qu’une éventuelle accalmie dans la lutte contre les Houthis pourrait en réalité monter des combattants soutenus par les Saoudiens et les EAU les uns contre les autres.

« Si ces batailles débouchaient sur de nouvelles impasses ou si des cessez-le-feu étaient conclus au niveau local, la situation pourrait accélérer la violence des objectifs et autres forces qui s’opposent dans l’Hadramaout », note la chercheuse, avant d’ajouter : « Si les EAU s’aperçoivent [qu’] al-Islah gagne en puissance militaire à Chabwa ou dans l’Hadramaout, les forces soutenues par les EAU tenteront d’empêcher que cela ne se produise ».

Hashem Khaled a contribué à ce reportage depuis Sayun, Hadramaout.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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