Le meurtre de Ziad Abu Ein et la politique de coordination sécuritaire entre l’Autorité Palestinienne et Israël
Le ministre palestinien Ziad Abu Ein est mort en martyr aux mains de l’occupant israélien. Mahmoud Abbas doit honorer la mémoire des martyrs par des actes, pas seulement par des mots.
En cette matinée du jeudi 11 décembre, peu avant 10 h, les journalistes commencent à s’introduire, l’un après l’autre, au sein de la « Muqataa », le palais présidentiel de Ramallah, pour les « funérailles d’Etat » du ministre palestinien Ziad Abu Ein. La garde présidentielle est occupée à répéter sa marche et un tapis rouge est déroulé avec soin et précision. Bientôt, les premiers membres de la famille et des officiels commencent à prendre place. Dehors, dans la rue, le bruit monte. Des chants nationalistes commencent à résonner et, de temps à autres, des volées de tirs d’armes automatiques se font entendre. Fait remarquable, voire exceptionnel ces dernières années, ces salves retentissantes ne sont pas tirées par l’armée israélienne.
Pour les Palestiniens, il ne fait aucun doute que Ziad Abu Ein a été assassiné par l’occupation. Les récits des témoins oculaires, étayés par des preuves photographiques, indiquent qu’Abu Ein a été attaqué par les forces israéliennes alors qu’il participait à une cérémonie de plantation d’oliviers dans le village de Turmasiyya, au nord de Ramallah, pour marquer la journée internationale des droits de l’homme. Quelques témoins rapportent qu’Abu Ein a été étranglé, d’autres soutiennent qu’il a été frappé au niveau de la poitrine avec la crosse d’un fusil ou le casque d’un soldat.
Selon le ministre des Affaires civiles de l’Autorité palestinienne (AP), Hussein al-Sheikh, l’autopsie post-mortem effectuée dans la soirée du mercredi révèle qu’Abu Ein est mort « après avoir été battu par les troupes de l’occupation et en raison de l’usage excessif de gaz lacrymogène ». Ces résultats ont, sans surprise, été rejetés par Israël.
Ce qui est parfaitement clair, c’est que Ziad Abu Ein a été inhumé jeudi en martyr, mort pour la cause palestinienne.
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Dans les heures qui ont suivi son décès, Jibril Rajoub, membre de l’AP, a déclaré que la décision de mettre fin à la « coordination sécuritaire » avec Israël avait été prise. Cependant, Khalida Jarrar, membre du Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP), aurait souligné que même s’il y avait un accord général sur l’arrêt de la coordination sécuritaire, y compris de la part de Mahmoud Abbas, la décision officielle ne serait pas prise avant vendredi.
En dépit de ces déclarations contradictoires, et en l’absence de communiqué officiel sur le sujet de la part d’Abbas, les événements survenus lors des obsèques de jeudi portent à croire que, d’une certaine manière, les choses semblent déjà en train de changer. Le cortège funèbre comptait en effet des membres des brigades de la résistance armée palestinienne, les visages masqués. Ce sont ces groupes dont les tirs pouvaient se faire entendre depuis l’intérieur de la Muqataa durant la cérémonie officielle alors qu’ils étaient réunis près du cimetière. Cette démonstration de force publique n’aurait pas eu lieu s’il n’y avait pas eu au préalable une sorte de décision officielle l’autorisant ou, du moins, ne l’interdisant pas.
Tirer des coups de feu lors de funérailles était une pratique courante pendant la seconde Intifada, avant d’être interrompue par l’Autorité palestinienne. Mis à part quelques cas isolés dans les camps de réfugiés, cette pratique a disparu ces dernières années. Plus significatif encore, le centre de Ramallah n’avait pas vu depuis très longtemps des membres de la résistance portant visiblement des armes et les utilisant. Certains activistes sur les réseaux sociaux ont confirmé que c’était la première fois depuis dix ans que des combattants armés étaient vus dans le centre ville.
Cette année, les politiques de coordination sécuritaire entre l’Autorité palestinienne et Israël se sont manifestées par l’ordre donné aux forces de l’AP d’empêcher des manifestants palestiniens non-violents de s’approcher des colonies et des checkpoints israéliens. Dès lors, les tirs des brigades de la résistance dans le ciel de Ramallah laissent penser à un changement dans l’approche de l’Autorité palestinienne sur le terrain. Toutefois, il est probable qu’il ne s’agisse à ce stade que d’une démarche temporaire visant à apaiser la colère populaire plutôt qu’une déclaration claire de changement de politique.
Outre l’entrave de la résistance populaire, les politiques de coordination sécuritaire ont, plus tôt cette année, permis aux forces israéliennes de se positionner juste à l’extérieur du commissariat central de Ramallah, déversant une pluie de balles sur de jeunes Palestiniens, et tuant finalement l’un d’entre eux sous le regard des policier de l’AP observant la scène depuis les fenêtres du commissariat. On le comprend aisément, ces politiques sont depuis leur mise en place catégoriquement rejetées par la rue palestinienne. Pour le peuple palestinien, qui se trouve déjà soumis à une occupation militaire brutale sur fond de projet de colonisation de plus grande envergure, la coordination entre les autorités palestiniennes et israéliennes sur des questions de « sécurité » est une autre pilule impossible à avaler.
L’assassinat d’un responsable de l’AP, de surcroît célèbre militant, est un énième acte effroyable de cette occupation. Un exemple visible des agressions que subissent régulièrement tous ces Palestiniens qui ne sont ni « leaders » ni « officiels ». Des dizaines d’entre eux, principalement des jeunes, ont été tués par l’appareil « sécuritaire » officiel israélien au cœur de la Cisjordanie et à Jérusalem-Est cette année, tandis que d’autres ont été assassinés par les colons. Plus choquant encore est la tuerie de cet été dans la bande de Gaza, où en seulement cinquante jours plus de 2 100 Palestiniens ont trouvé la mort sous le feu israélien.
L’idée qu’un organisme officiel palestinien puisse accepter de participer à la « coordination sécuritaire » avec l’Etat qui tue inlassablement des Palestiniens et colonise massivement leur terre semble complètement ahurissante. Ce système a été créé par le jeu de la politique mondiale. L’existence du gouvernement palestinien actuel dépend du soutien financier international, qui se fait au détriment des droits des Palestiniens et est conditionné à certaines exigences, telles que la « coordination sécuritaire » et la poursuite du processus d’Oslo, où ce type d’accords entre Israël et l’AP trouve son origine.
La réunion de l’AP censée se conclure par l’annonce officielle de l’arrêt de la coordination sécuritaire qui était programmée pour vendredi soir a été « reportée. » Les dernières rumeurs parlent d’une « reprogrammation » pour dimanche. A l’heure actuelle, Saeb Erekat et Hanan Ashrawi, deux figures emblématiques de la direction palestinienne, ont également déclaré que la coordination sécuritaire serait interrompue. Mais Abbas, qui a déclaré cet été que ces politiques étaient « sacrées », garde le silence.
Le président palestinien semble soumis à une pression considérable de la part des personnes qui lui sont proches afin qu’il avance dans cette voie. En même temps, Israël et la communauté internationale sont sans doute « en dialogue » avec lui pour s’assurer qu’il maintient le statu quo. Dans la rue, et en dépit des diverses déclarations, les gens ne croient pas qu’Abbas prendra pareille décision et s’y tiendra. Le peuple palestinien sait maintenant que les « promesses » sans fin de l’Autorité palestinienne ne valent rien.
Ziad Abu Ein est mort en martyr et c’est ainsi que les Palestiniens se souviendront de lui. Toutefois, ce n’est pas en son nom seul que la coordination sécuritaire doit être immédiatement interrompue. La Palestine a perdu des milliers de martyrs morts pour la cause, tandis que des milliers de « martyrs vivants » demeurent enfermés dans les geôles de l’occupation. Plus de la moitié de la totalité du peuple palestinien vit aujourd’hui en exil forcé, dépouillés de leur droit de vivre dans leur véritable foyer. Les droits collectifs et individuels des Palestiniens doivent être au cœur des décisions politiques internes, et Abbas doit honorer la mémoire des martyrs avec des actions, pas seulement avec des mots.
- Rich Wiles est un artiste photographe, auteur et cinéaste primé qui vit en Palestine depuis plus de dix ans. Son dernier livre s’intitule Generation Palestine : Voices from the Boycott, Divestment and Sanctions Movement (Pluto, 2013). Son site : www.richwiles.com
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Le président palestinien Mahmoud Abbas et son premier ministre Rami Hamdallah assistent aux funérailles du ministre Ziad Abu Ein à Ramallah, Cisjordanie, le 11 décembre 2014 (AA)
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