Le Liban et Israël au bord de la guerre
Pour une large majorité de Libanais, c’est un casus belli. Pour la première fois depuis la guerre libano-israélienne de 2006, Israël a mené, dimanche 25 août à l’aube, une opération militaire dans la banlieue sud de Beyrouth, le principal fief du Hezbollah.
Un drone qui volait à ras des toits s’est écrasé après des jets de pierres de la part de jeunes du quartier. Quelques minutes plus tard, un autre appareil a explosé dans le même secteur, provoquant une puissante déflagration et d’importants dégâts à l’immeuble abritant le Centre de média du Hezbollah et les locaux de la rédaction de son site internet, al-Ahednews. Deux rues plus loin, se trouve l’imposant bâtiment de la radio du parti, al-Nour.
Hassan Nasrallah affirme qu’Israël tente de « modifier les règles d’engagement », établies au lendemain de la guerre de 2006
Quelques heures plus tôt, 100 kilomètres plus à l’est, deux combattants du Hezbollah étaient tués dans des raids aériens israéliens qui ont visé la localité de Aqraba, au sud de Damas.
Dimanche en fin d’après-midi, le chef du Hezbollah prononce un discours programmé à l’avance pour commémorer le deuxième anniversaire de la victoire, à l’été 2017, sur le groupe État islamique (EI) et l’ancienne branche d’al-Qaïda en Syrie, dans le massif de l’Anti-Liban, à la frontière avec la Syrie.
« Les drones israéliens dans le viseur du Hezbollah »
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Hassan Nasrallah parvient à peine à contenir sa colère. Il qualifie de « très grave et dangereux » ce qui s’est produit dans la banlieue sud de Beyrouth et près de Damas, et affirme qu’Israël tente de « modifier les règles d’engagement », établies au lendemain de la guerre de 2006.
Ce conflit sanglant de 33 jours s’était terminé par un cuisant échec pour Israël, qui n’avait atteint aucun des objectifs qu’il s’était fixé au début des hostilités, le 12 juillet.
Les réalités politico-militaires nées de cette guerre ont instauré une sorte de dissuasion réciproque, Israël s’abstenant de mener des actions militaires offensives contre le Liban, et le Hezbollah évitant de l’attaquer à partir du pays du Cèdre.
Cette dissuasion constitue un handicap majeur pour Israël, qui s’était arrogé, pendant des décennies, le droit d’attaquer impunément les pays arabes au nom de sa sécurité nationale, au mépris des lois internationales et de la souveraineté des États.
Hassan Nasrallah est déterminé, son ton est menaçant. La riposte aux attaques israéliennes est inéluctable et elle aura lieu au Liban, non pas au Golan ou dans les fermes libanaises de Chebaa, occupés par les Israéliens.
Le chef du Hezbollah affirme que son parti ne permettra pas à Israël « quel qu’en soit le prix », de modifier les règles d’engagement. « Le temps ou Israël bombardait des cibles au Liban et nous tuait impunément est révolu », martèle-t-il.
Le leader chiite annonce que dorénavant son parti tentera d’abattre les drones israéliens qui violent quotidiennement l’espace aérien libanais.
S’adressant aux colons du nord d’Israël, il leur dit de ne pas se sentir « rassurés », et il prévient l’armée israélienne déployée le long de la frontière avec le Liban que la riposte pourrait intervenir « dans un jour, deux jours, un mois… ».
« Une nouvelle étape du conflit » avec Israël a commencé, ajoute Hassan Nasrallah, qui établit un lien entre les incidents de Damas et de Beyrouth et les raids qui prennent pour cible, depuis quelques semaines en Irak, les milices chiites proches de l’Iran. Le Hachd al-Chaabi accuse Israël de bombarder ses positions et Tel Aviv n’a ni confirmé ni démenti ces accusations.
Michel Aoun : « La riposte est notre droit »
La classe politique libanaise, toutes tendances confondues, a unanimement condamné l’incident de la banlieue sud de Beyrouth, dénonçant une violation de la souveraineté libanaise.
Mais sur le fond, les positions divergent sur l’attitude à adopter. Le Premier ministre Saad Hariri, le chef de l’ex-milice chrétienne des Forces libanaises, Samir Geagea, et d’autres hommes politiques proches des États-Unis et du camp occidental en général, plaident pour une approche diplomatique.
Des voix se sont élevées pour rappeler que la décision de la guerre et de la paix est du seul ressort de l’État et non pas d’un parti politique aussi représentatif et puissant soit-il
Selon eux, le Liban devrait porter plainte auprès du Conseil de sécurité et faire pression sur Israël sur la scène internationale. Ils voient dans une éventuelle riposte du Hezbollah une « escalade » qui pourrait provoquer un vaste conflit.
Des voix se sont élevées pour rappeler que la décision de la guerre et de la paix est du seul ressort de l’État et non pas d’un parti politique aussi représentatif et puissant soit-il.
La situation est jugée assez grave dans les grandes capitales. Le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, s’est entretenu au téléphone, lundi, avec Saad Hariri pour appeler au calme.
Des sources informées affirment que le chef de la diplomatie américaine aurait reconnu que l’incident de la banlieue sud constitue une violation par Israël des résolutions internationales, mais a assuré que les drones étaient en mission de reconnaissance et n’avaient pas l’intention de mener une opération offensive. Lorsque l’un des appareils s’est écrasé à cause d’une défaillance technique, un autre a essayé de le détruire pour qu’il ne tombe pas aux mains du Hezbollah.
Cette version a cependant été démentie, lundi soir par le Hezbollah. Après avoir démonté le drone saisi, ses experts y ont découvert une charge explosive composée de 5,5 kilogrammes de C4. Le parti en conclut, par conséquent, qu’il ne s’agissait pas d’un drone de surveillance mais bel et bien d’un appareil chargé d’une mission offensive. Des sources informées à Beyrouth penchent pour la thèse d’une tentative d’assassinat d’un haut responsable du Hezbollah qui aurait tourné au fiasco.
Quoi qu’il en soit, le président de la République, Michel Aoun, a tranché le débat au sujet de la manière de réagir à cette nouvelle violation israélienne de la souveraineté nationale.
« Ce qui s’est passé s’apparente à une déclaration de guerre qui nous permet d’avoir recours à notre droit de défendre notre souveraineté, notre indépendance et notre intégrité territoriale », a déclaré le chef de l’État, qui recevait le coordinateur spécial de l’ONU pour le Liban, Jan Kubis. « J’ai déjà répété que le Liban ne tirerait pas un seul coup de feu à la frontière, sauf en cas d’autodéfense », a ajouté M. Aoun. « Ce qui s’est passé hier nous permet d’exercer ce droit. »
Le président Aoun a en quelque sorte couvert politiquement toute riposte future du Hezbollah. Il en est de même du Conseil supérieur de la défense, qu’il a réuni en urgence mardi.
« Le Conseil a souligné le droit des Libanais à se défendre par tous les moyens contre toute agression, un droit prévu dans le Charte des Nations unies, pour empêcher qu’une telle attaque se répète contre le Liban, son peuple et son territoire. L’unité nationale est l’arme la plus forte face à l’ennemi », peut-on lire dans le communiqué publié après la réunion de la plus haute instance sécuritaire du pays.
Le président Aoun a réaffirmé, lors de la réunion, « la nécessité de défendre la souveraineté du Liban et l’intégrité de son territoire, parce qu’il s’agit d’un droit légitime ».
Saad Hariri a déclaré, quant à lui, que « cette attaque était la première de ce type depuis 2006, et la première violation qui montre qu’Israël veut changer les règles d’engagement, chose qui menace la stabilité ». Ces propos laissent penser que le Premier ministre s’est finalement rallié à l’option de la riposte militaire contre Israël, une mesure inévitable pour rétablir la dissuasion.
La Russie met en garde contre une guerre à grande échelle
Une éventuelle riposte du Hezbollah mettrait le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou dans une posture difficile à trois semaines des élections générales en Israël.
Le danger d’un dérapage vers une guerre totale n’est pas exclu. La Russie a mis en garde contre un tel scénario. Dans un communiqué publié lundi 26 août, le ministère russe des Affaires étrangères s’est dit « sérieusement préoccupé par l’escalade récurrente des tensions dans la région ».
« Les Israéliens cherchent à provoquer une double confrontation. Eux attaqueraient le Hezbollah et les Américains s’occuperaient de l’Iran. Le clash devient inévitable »
- Farès Boueiz, ancien ministre libanais des Affaires étrangères
Condamnant les attaques israéliennes, le ministère a rappelé que « la Russie a insisté, à plusieurs reprises, sur la menace que représentaient de tels actes dans l’atmosphère extrêmement explosive de la région en avertissant que cela pourrait déclencher une confrontation militaire à grande échelle aux conséquences imprévisibles ».
Interrogé par Middle East Eye, l’ancien ministre libanais des Affaires étrangères, Farès Boueiz, affirme qu’« une grande confrontation est en gestation dans la région ». « Israël ne peut plus vivre avec la menace que représente le Hezbollah avec ses 200 000 roquettes et missiles, dont beaucoup sont de haute précision », affirme cet avocat qui a dirigé la diplomatie libanaise pendant neuf ans dans les années 1990.
Cependant, Tel Aviv sait qu’une guerre contre le Hezbollah n’aura pas de résultats efficaces, car même en parvenant à détruire la moitié des capacités militaires du parti, celles-ci seront rapidement remplacées par l’aide iranienne. « Les Israéliens cherchent à provoquer une double confrontation » , relève-t-il. « Eux attaqueraient le Hezbollah et les Américains s’occuperaient de l’Iran. Le clash devient inévitable. »
Cependant, tous ne partagent pas cette vision pessimiste des développements à venir. Un ministre libanais actuel qui souhaite garder l’anonymat assure qu’« Israël est incapable d’entraîner les États-Unis dans une guerre, c’est plutôt l’inverse qui se produit habituellement ». « Le Hezbollah dosera bien sa riposte pour éviter de provoquer une vaste confrontation qui risque d’embraser toute la région. Et Israël renoncera à ses tentatives de modifier les règles d’engagement», assure-t-il.
La partie est serrée. Toute erreur d’appréciation commise par l’un des protagonistes peut entraîner la région dans un conflit aux conséquences incalculables. C’est pour éviter un tel scénario que la diplomatie des capitales concernées et intéressées par la région s’active, ouvertement et discrètement, depuis dimanche.
On saura dans quelques jours si elle aura réussi à désamorcer la crise.
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