Trump et les Saoudiens ont semé le chaos. L’Iran leur rend la monnaie de leur pièce
Choc et effroi.
Les mots utilisés par le Pentagone lorsqu’il jouissait du monopole du recours à la force et qu’il était sur le point d’écraser Saddam Hussein reviennent le hanter deux présidents plus tard.
L’Iran fait connaître le choc et l’effroi au président américain Donald Trump et à son secrétaire d’État Mike Pompeo. C’est Téhéran – et non Washington – qui est doué pour les démonstrations de domination rapide visant à désorienter son ennemi. Il n’y aurait pu avoir de meilleure démonstration de « choc et effroi » que celle qui a frappé deux des plus grands terminaux pétroliers d’Arabie saoudite samedi.
Drones ou missiles ?
Les Saoudiens étaient sans défense et la cible a été atteinte avec une très grande précision. Essayez, comme les États-Unis pourraient le faire, de détourner l’attention vers l’Iran, il ne fait guère de doute qu’au moins certains des drones et peut-être des missiles utilisés dans l’attaque ont survolé le Koweït, ce qui signifie qu’ils provenaient du sud de l’Irak.
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Un chasseur d’oiseaux a été témoin et a enregistré l’attaque à la frontière triangulaire du Koweït, de l’Irak et de l’Arabie saoudite
Un chasseur d’oiseaux a été témoin et a enregistré l’attaque à la frontière triangulaire du Koweït, de l’Irak et de l’Arabie saoudite. Dans trois clips différents, on entend des drones ou des missiles volant à basse altitude – qui se dirigent tous vers le sud.
Dans la vidéo qui est devenue virale sur les réseaux sociaux, le chasseur d’oiseaux mentionne quatre à cinq petits avions qui étaient suivis par ce qu’il pensait être des missiles. Il a indiqué qu’il était près de Salmi, où les trois frontières se rencontrent, au moment de l’attaque samedi matin.
Encore mieux, du point de vue de l’Iran, a été la dispute qui a suivi les attaques, entre un Premier ministre irakien furieux à juste titre et Pompeo.
Initialement, les Américains avaient publié des images satellites des réservoirs de pétrole touchés depuis le nord-ouest – preuve que les drones et les missiles provenaient d’Irak, et non de l’est, c’est-à-dire de l’Iran. Cependant, ils ont rapidement été contraints de faire marche arrière et d’affirmer que les attaques provenaient directement d’Iran.
La déclaration d’Adel Abdel-Mehdi, que ce dernier a contraint les Américains à approuver, était un mélange magistral de déni et de menace venant confirmer les informations qui circulaient. Il a nié que l’attaque avait été lancée depuis le sol irakien – en contradiction avec le briefing de renseignement qu’il venait de recevoir – et a menacé quiconque utiliserait des intermédiaires sur le sol irakien.
Cela s’adressait surtout à Pompeo.
Une nouvelle guerre du Golfe
Quelques mois auparavant, les États-Unis avaient testé une autre idée auprès Abdel-Mehdi, celle d’un bombardement américain du Hezbollah irakien, une autre milice iranienne par procuration, à l’origine d’une frappe de drone contre l’Arabie saoudite.
Abdel-Mehdi a persuadé Pompeo de renoncer à cette attaque. À la place, les États-Unis ont autorisé des drones israéliens à frapper des cibles liées aux Unités de mobilisation populaire (UMP), ou Hachd al-Chaabi, soutenues par l’Iran, depuis des bases kurdes en Syrie.
Les États-Unis, sans parler d’un président qui cherche à se faire réélire, étaient-ils prêts à une nouvelle guerre du Golfe ? Leur pays n’avait-il pas connu assez de guerres au cours de ce siècle ?
Après ces attaques, Abdel-Mehdi a fait face à d’intenses pressions internes de la part de ses alliés politiques pour désigner publiquement Israël comme l’agresseur. Il a refusé pour la même raison qui fait qu’il nie aujourd’hui d’où viennent les drones de représailles.
S’il avait désigné le principal allié de l’Amérique dans la région, il aurait déclaré qu’un état de guerre existait entre des milliers de soldats américains sur son sol et les Hachd al-Chaabi, les meilleures troupes irakiennes, qu’il tente péniblement de réintégrer au sein de ses forces nationales.
L’Amérique voulait-elle vraiment que ça arrive ? Les États-Unis, sans parler d’un président qui cherche à se faire réélire, étaient-ils prêts à une nouvelle guerre du Golfe ? Leur pays n’avait-il pas connu assez de guerres au cours de ce siècle ?
Les arguments d’Abdel-Mehdi ont fait mouche.
Se pressant de trouver des moyens de réagir de manière « proportionnée », Trump et Pompeo n’ont pas eu de réponse à l’époque et n’en ont pas maintenant.
« Verrouillées et chargées »
À ce jour, l’Iran et son réseau de milices au Yémen et en Irak ont abattu un drone américain, ont percé des trous dans des pétroliers au large des ports émiratis, saisi un pétrolier britannique, attaqué des aéroports, des pipelines et des terminaux pétroliers, et ont désormais procédé à la plus grande frappe contre les gisements pétroliers saoudiens de l’histoire du Golfe – laquelle est longue et marquée par les guerres.
L’Iran envoie un message clair à Trump : « Vous voulez le chaos ? Vous voulez déchirer les traités internationaux négociés par votre prédécesseur et nous imposer des sanctions ? Eh bien, vous aurez le chaos
Que ce soit pendant la guerre Iran-Irak, l’invasion du Koweït par Saddam et la première guerre du Golfe, ou encore pendant la seconde guerre d’Irak, l’Arabie saoudite n’a jamais eu à réduire de moitié sa production pétrolière, comme elle l’a fait cette semaine.
Ce faisant, l’Iran envoie un message clair à Trump : « Vous voulez le chaos ? Vous voulez déchirer les traités internationaux négociés par votre prédécesseur et nous imposer des sanctions ? Eh bien, vous aurez le chaos, et vous découvrirez bientôt à quel point vos alliés sont vulnérables. »
Mohammad Javad Zarif, ministre iranien des Affaires étrangères, s’est servi de tous les forums internationaux pendant des mois pour signaler les intentions de l’Iran de riposter. Il l’a dit en août à Stockholm : « Le président Trump ne peut pas être imprévisible et s’attendre à ce que les autres soient prévisibles. L’imprévisibilité conduira à une imprévisibilité mutuelle et cette imprévisibilité, c’est le chaos. »
Javad Zarif n’a pas été écouté à l’époque. Peut-être que, dorénavant, il le sera.
Un simple coup d’œil à l’équilibre des forces dans la région montre à Trump à quel point un conflit entre l’Arabie saoudite et l’Iran serait inégal.
La profondeur stratégique
Il a fallu des décennies à l’Iran pour créer ce qu’il qualifie de « profondeur stratégique » via des milices aguerries qu’il a toujours défendues, financées, armées et formées. Et il ne va pas les abandonner maintenant, même si elles sont frappées par Israël.
L’Arabie saoudite a également financé et soutenu des milices dans la région, en particulier en Syrie, mais est connue pour avoir largué ses alliés et discuté plutôt avec leurs ennemis. C’est ce qui s’est passé en Syrie et au Yémen.
L’Iran, qui a survécu à des décennies de sanctions et de guerre, a un seuil de résistance à la douleur élevé. Il a développé sa propre industrie des armes et peut se défendre.
L’Arabie saoudite a un seuil de résistance à la douleur très bas et ne peut pas se défendre. Comme Trump lui-même l’a rappelé, le royaume ne tiendrait pas deux semaines sans la protection américaine.
Le réseau régional de l’Iran est en place et pleinement opérationnel. Ses armes sont verrouillées et chargées. Il a construit une alliance stratégique avec deux des autres puissances militaires de la région – la Russie et la Turquie – qui semble capable de survivre à des tensions considérables en Syrie.
Le réseau régional de l’Arabie saoudite s’effondre. Son plus proche allié, les Émirats arabes unis (EAU), s’est clairement séparé de la coalition saoudienne réunie pour combattre les Houthis au Yémen. L’annonce par les Émirats de leur départ du Yémen a pris les Saoudiens par surprise.
Puis est survenue la lutte entre les milices rivales sur le port méridional d’Aden, impliquant des avions saoudiens et émiratis bombardant les forces yéménites par procuration de l’autre. Le plan émirati – installer des séparatistes sudistes dans le sud et laisser le nord pourrir – ne résout manifestement pas le problème de Riyad, qui perdure dans le nord.
Tensions saoudo-émiraties
Les tensions entre les Saoudiens et les Émiratis concernant le Yémen ont éclaté dans les médias contrôlés par l’État.
Lorsque six soldats émiratis sont morts récemment, il y avait de bonnes raisons de croire qu’ils avaient été tués en Libye, pas au Yémen. Les Émiratis ne pouvaient admettre que leurs forces combattaient aux côtés de Khalifa Haftar et brisaient ainsi l’embargo international.
La chaîne publique saoudienne Al Arabiya, qui est ironiquement basée à Dubaï, a refusé de se conformer à la ligne officielle émiratie et a déclaré simplement que les soldats avaient été « tués ». Ils ont refusé de les décrire comme des martyrs.
Cela a conduit à un éclat extraordinaire d’un activiste émirati proche du gouvernement de son pays, Hamed al Mazroui. Mazroui a décrit Al Arabiya comme « la pute de tous les médias, sans égale ». Il a supprimé le tweet mais a continué sa charge contre son directeur Abdulrahman al-Rashed.
Sur le terrain, les Houthis comprennent ce que les Émirats essaient de faire et le pacte faustien implicite que passent les EAU avec l’Iran – vous gardez le nord, nous aurons le sud. Les Houthis ont échangé des prisonniers avec des milices soutenues par les Émirats, alors qu’ils ont refusé un échange de prisonniers avec les forces loyales au président yéménite en exil Abd Rabbo Mansour Hadi.
Nouveaux champs de bataille
Ailleurs, l’Iran a maintenant établi des liens avec la Turquie et la Russie, malgré les agendas très différents que poursuivent les trois puissances régionales en Syrie. Non contente du chaos qu’elle a créé dans sa propre cour, l’Arabie saoudite continue de chercher de nouveaux champs de bataille et d’ouvrir de nouveaux fronts.
Le prince héritier Mohammed ben Salmane a perdu patience, comme il le dit, vis-à-vis de la Turquie à propos de sa gestion de l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en octobre dernier au sein du consulat saoudien à Istanbul.
En conséquence, il a décidé d’intensifier sa campagne contre la Turquie en pêchant dans les eaux chypriotes. Le ministre saoudien des Affaires étrangères Ibrahim Adulaziz al-Assaf a déclaré lors d’une visite à Chypre que l’Arabie saoudite soutenait les Chypriotes grecs contre l’exploration pétrolière et gazière de la Turquie en Méditerranée.
À court d’alliés
Comme on pouvait s’y attendre, les Saoudiens se retrouvent sans allié pour les protéger. Ils ne peuvent pas combattre l’Iran seuls. La stupidité et l’inexpérience sont les deux guides de son souverain de facto, le prince héritier Mohammed ben Salmane. Qui d’autre aurait pu promettre d’amener la bataille « au cœur de l’Iran » pour se retrouver à éteindre des incendies au cœur de l’Arabie saoudite ?
Il est seul, à l’exception d’un président américain réticent et irréaliste qui a encore moins de cartes à jouer que lui. Le comportement de Trump ne constitue pas un terrible retour sur investissement pour les centaines de millions de riyals que ben Salmane a dépensés en contrats d’armement américains.
Le moins que l’on puisse dire des générations précédentes de dirigeants saoudiens, c’est que, malgré tous leurs défauts, ils ont maintenu un contrôle prudent sur leur région. Ils savaient comment équilibrer les intérêts rivaux et ont accueilli la plupart d’entre eux.
Mohammed ben Salmane a fait fi de la prudence et se retrouve désormais avec peu de cartes à abattre. Le Yémen, Oman et la Jordanie lui sont hostiles. Le Qatar et la Turquie se sont ouvertement rangés du côté de l’Iran. Les Émiratis poursuivent leur propre ordre du jour.
Contrairement à l’Iran, les Saoudiens ne sont pas habitués aux difficultés et sont profondément mal adaptés à mener une guerre régionale qu’ils ont eux-mêmes promue. C’est peut-être pour cela qu’un profond silence suivra le spectacle de choc et effroi qui a eu lieu samedi.
- David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Lorsqu’il a quitté The Guardian, il était l’éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal. Au cours de ses 29 ans de carrière, il a couvert l’attentat à la bombe de Brighton, la grève des mineurs, la réaction loyaliste à la suite de l’accord anglo-irlandais en Irlande du Nord, les premiers conflits survenus lors de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie en Slovénie et en Croatie, la fin de l’Union soviétique, la Tchétchénie et les guerres qui ont émaillé son actualité. Il a suivi le déclin moral et physique de Boris Eltsine et les conditions qui ont permis l’ascension de Poutine. Après l’Irlande, il a été nommé correspondant européen pour la rubrique Europe de The Guardian, avant de rejoindre le bureau de Moscou en 1992 et d’en prendre la direction en 1994. Il a quitté la Russie en 1997 pour rejoindre le bureau Étranger, avant de devenir rédacteur en chef de la rubrique Europe puis rédacteur en chef adjoint de la rubrique Étranger. Avant de rejoindre The Guardian, David Hearst était correspondant pour la rubrique Éducation au journal The Scotsman.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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