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Netflix et Israël : une relation spéciale

Comme d’autres plateformes de divertissement, Netflix s’est laissé engloutir par l’industrie de la hasbara israélienne
Le logo du géant du streaming en ligne Netflix sur une tablette (AFP)

En 2016, l’ambassade israélienne aux États-Unis a tweeté au sujet de l’expansion mondiale de Netflix : « Pour les plus ou moins cinq jours par an où la météo n’est pas terrible… @Netflix, maintenant en Israël ! »

Quelle chance, en effet, qu’Israël ait réussi à s’ériger sur des terres volées bénéficiant d’une météo aussi clémente. Et en parlant de chance, Netflix s’est avéré une véritable aubaine pour Israël, bien plus de cinq jours par an. Comme d’autres plateformes de divertissement, Netflix s’est laissé engloutir par l’industrie de la hasbara israélienne.

Glorification du Mossad

La dernière production Netflix pro-israélienne à orner les écrans des abonnés est la série en six parties The Spy, mettant en vedette Sacha Baron Cohen qui incarne le célèbre agent du Mossad Eli Cohen, exécuté à Damas en 1965. 

Comme on pouvait s’y attendre, la série humanise Cohen, le dépeignant comme un humble, aimant et dévoué patriote usant d’un noble subterfuge au nom d’innocents Israéliens attaqués par la Syrie. Il n’est jamais mentionné le rôle prééminent d’Israël en tant qu’agresseur-provocateur, alors que son passé de tueries de masse au service de desseins régionaux prédateurs disparaît – comme d’habitude – sous le mantra de l’« autodéfense ».

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Le but de la propagande israélienne est d’inverser la relation agresseur-victime

Mais The Spy n’est qu’un début. Faites une recherche avec « Israël » sur Netflix et vous serez bombardé de toutes sortes de résultats, de Mossad : des agents israéliens parlent à Fauda, une série sur « un agent israélien [qui] interrompt sa retraite pour traquer un combattant palestinien qu’il pensait avoir tué ». Dans la bande-annonce, nous apprenons que « Abu Ahmed a le sang de 116 Israéliens sur ses mains » et qu’« aucun autre terroriste n’a tué autant d’hommes, de femmes, d’enfants, de personnes âgées, de soldats ».

Peu importent les épisodes, eux bien réels, où l’armée israélienne a eu du sang sur les mains, comme en 2014, lorsque l’offensive israélienne sur la bande de Gaza a tué 2 251 Palestiniens, dont 299 femmes et 551 enfants.

Le but de la propagande israélienne est d’inverser la relation agresseur-victime, de sorte que la terreur institutionnalisée des Palestiniens par Israël s’apparente en quelque sorte à des représailles, tandis que ceux qui font les frais de plus de sept décennies d’agressions israéliennes sont représentés dans le rôle des agresseurs.

La morale de l’histoire

La liste de Netflix ne s’arrête pas là. Elle comprend également deux films intitulés L’Ange du Mossad et L’Espion tombé du ciel, sortis respectivement en 2018 et 2019, à propos du même personnage : l’Égyptien Ashraf Marwan, gendre du défunt président Gamal Abdel Nasser.

Dans leur livre Spies Against Armageddon: Inside Israel’s Secret Wars, Dan Raviv et Yossi Melman notent que Marwan était le coordinateur d’un complot libo-égypto-palestinien visant en 1973 à abattre un avion de ligne israélien de la compagnie El Al en Italie, en réaction à l’attentat contre un avion de ligne libyen qui avait tué 105 personnes à bord.

Marwan a personnellement livré les missiles nécessaires aux Palestiniens dépêchés à Rome, mais « le complot a échoué… Ce que les conspirateurs libyens, égyptiens et palestiniens n’ont jamais su, c’est le secret de Marwan : c’était un agent rémunéré par le Mossad, l’un des meilleurs qu’Israël ait jamais eus. »

La morale de l’histoire pour les Arabes est peut-être qu’espionner pour le compte d’Israël est un bon moyen de connaître la célébrité à titre posthume sur Netflix. Cette anecdote particulière devrait également anéantir efficacement les revendications d’Israël selon lesquelles il a le bien-être et la sécurité de ses citoyens à cœur.

Sacha Baron Cohen et Gideon Raff assistent à une projection de The Spy à Los Angeles, le 5 septembre (AFP)
Sacha Baron Cohen et Gideon Raff assistent à une projection de The Spy à Los Angeles, le 5 septembre (AFP)

Ensuite, il y a When Heroes Fly, la série de 2018 sur quatre vétérans de l’armée israélienne traumatisés par la guerre de 2006 contre le Liban : ce n’est pas parce qu’Israël a commis la grande majorité des meurtres et autres dégâts que ses soldats doivent être privés de leur rôle de victime.

Un article de Haaretz nous assure que « le nouveau thriller israélien de Netflix, When Heroes Fly, est presque aussi divertissant que Fauda » et que la série est « assez captivante pour satisfaire n’importe qui ressentant un manque en forme de Fauda dans sa vie ». Certainement, il est difficile de penser à quelque chose de plus amusant que la guerre et les traumatismes.

Enfin, il y a le film de Netflix Opération Brothers, sur les efforts du Mossad dans les années 1980 pour évacuer les juifs éthiopiens via le Soudan vers la « Terre promise ». (Bien sûr, la terre en question allait se révéler moins prometteuse pour beaucoup, comme peuvent probablement en témoigner les Éthiopiens à qui on a administré de force des médicaments contraceptifs ou qui ont été abattus par la police israélienne.)

Le film est réalisé par Gideon Raff, lequel a également créé The Spy et Hatufim, qui a inspiré la série raciste préférée de tout le monde, Homeland – à laquelle Raff a également contribué. En voilà un qui a su trouver sa voie !

Spectacle indécent

Apparemment, il n’y a rien d’incongru à ce que les Israéliens se lamentent sur les morts et les déplacements qui ont eu lieu en Éthiopie – et l’impératif moral de sauver les victimes – alors que toute l’entreprise israélienne est construite sur, eh bien, la mort et le déplacement.

La Nakba en 1948 a vu des centaines de villages palestiniens détruits, 15 000 Palestiniens assassinés et 750 000 autres forcés de fuir leurs maisons. Ce modèle de nettoyage ethnique n’a fait que se poursuivre depuis, ponctué par des épisodes de massacre.

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Dans ce qui ne peut être décrit que comme un spectacle d’une totale indécence, Opération Brothers comprend des répliques comme celle-ci venant d’une agent israélienne blonde : « Nous sommes tous des réfugiés, n’est-ce pas ? » 

Le film se termine par ce rappel : « il y a actuellement plus de 65 millions de réfugiés déplacés dans le monde » ; au diable le fait que, grâce à Israël, bien plus de sept millions soient palestiniens.

Et tandis qu’un agent dans le film allègue qu’il y a « un autre génocide sanglant » qui se passe en Éthiopie, mais que « personne n’en a rien à foutre parce que c’est en Afrique », la quête génocidaire d’Israël pour effacer l’identité palestinienne ne fait évidemment pas l’objet d’une préoccupation similaire.

Il s’avère que ma propre recherche Netflix pour « Palestine » – idem pour « Liban » et « Syrie » – donne en grande partie le même éventail de thrillers d’espionnage israéliens et d’autres choses « fun ». Quand j’ai essayé de chercher « Nakba », le meilleur résultat a été Bad Boys II, avec Martin Lawrence et Will Smith ; un peu plus bas figurait Opération Brothers.

Disparition

J’ai récemment contacté Netflix pour obtenir une réponse aux critiques selon lesquelles la plateforme sert de lieu de propagande israélienne, et j’ai reçu la déclaration suivante d’un porte-parole : « Nous sommes dans le divertissement, pas les médias ou la politique.

« Nous comprenons que tous les spectateurs n’aimeront pas toute la programmation que nous offrons. C’est pourquoi nous avons une gamme variée de contenu de partout dans le monde – parce que nous croyons que les grandes histoires viennent de n’importe où. Tous les programmes proposés sur Netflix affichent des évaluations et des informations servant aux abonnés à prendre leurs propres décisions sur ce qui est bon pour eux-mêmes et leurs familles. »

Ce n’est pas parce qu’il y a du « contenu arabe » sur Netflix qu’il fait quoi que ce soit pour humaniser ou contextualiser la lutte palestinienne

Mon attention a également été dirigée vers des exemples de la « diversité du contenu arabe sur le service et qui est en cours de développement », le premier étant Comedians of the World, un spectacle mettant en vedette 47 comédiens du monde entier – quatre d’entre eux au Moyen-Orient.

Cependant, les comédiens du Moyen-Orient sont bien loin de ceux de The Spy – qui, comme tous les « divertissements » centrés sur Israël, est intrinsèquement politique – et ce n’est pas parce qu’il y a du « contenu arabe » sur Netflix qu’il fait quoi que ce soit pour humaniser ou contextualiser la lutte palestinienne.

La relation spéciale de Netflix avec Israël est peut-être lucrative pour les personnes impliquées, mais en aidant à augmenter la cote d’Israël dans une démonstration de brutalité qui a déjà duré sept décennies de trop, la multinationale américaine est pleinement complice de la disparition palestinienne provoquée par Israël.

- Belen Fernandez est l’auteure de Exile: Rejecting America and Finding the World et de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work. Elle collabore à la rédaction du magazine Jacobin.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Belen Fernandez is the author of Exile: Rejecting America and Finding the World and The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work. She is a contributing editor at Jacobin magazine.
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