Les combattants kurdes de Syrie tentés par le camp loyaliste
La situation actuelle ressemble à s’y méprendre au contexte de la fin de l’année 2018. Donald Trump annonçait déjà le retrait des troupes américaines et les Turcs annonçaient leur offensive contre la menace « terroriste » représentée par les Unités de protection du peuple (YPG) kurdes, considérées comme la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
En Syrie, les YPG sont surtout considérées comme la tête des Forces démocratiques syriennes (FDS), qui bénéficiaient jusqu’ici du soutien de Washington et qui contrôlent le nord-est syrien.
Les annonces d’un retrait américain et d’une offensive turque sont donc suivies d’effet, mais la question de leur ampleur se pose
Cette fois, l’offensive a bien lieu : ce mercredi, l’armée turque a franchi la frontière à proximité de Tell Abyad, soit deux jours après l’évacuation par les Américains de leurs deux postes d’observation à proximité de la frontière turque (Tell Abyad et Ras al-Aïn).
Cette fois, les annonces d’un retrait américain et d’une offensive turque sont donc suivies d’effet, mais la question de leur ampleur se pose.
Côté américain, le retrait des postes d’observation destiné à permettre l’offensive turque n’annonce pas nécessairement un retrait total. Côté turc, l’hypothèse d’une offensive limitée est à privilégier.
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Vers la mise en place d’une zone tampon sous contrôle turc ?
Les autorités turques menacent d’intervenir militairement pour mettre en place leur « zone de sécurité » depuis de longs mois.
Comme les Israéliens avec le Hezbollah au Liban et comme les Saoudiens avec les Houthis au Yémen, les Turcs se sentent menacés par la présence à proximité de leur frontière d’un groupe armé assimilé à une organisation « terroriste » (le PKK).
Pour y remédier, Ankara presse ses partenaires (au premier rang desquels les Américains) dans le sens de la mise en place d’une zone tampon destinée à éloigner cette « menace » kurde et à accueillir les réfugiés.
En somme, la Turquie ne veut plus « subir » les événements en Syrie ni sur le plan sécuritaire, ni sur le plan humanitaire.
En revanche, Ankara s’accommode parfaitement de la présence d’organisations islamistes armées – dont une partie jouit du soutien turc – qui sévissent notamment dans la région d’Idleb.
Pour la Turquie, les organisations islamistes armées ne constituent pas un réel danger. D’ailleurs, Abou Mohammad al-Joulani, chef de l’organisation Hayat Tahrir al-Cham, a déjà manifesté son soutien à l’idée d’une offensive turque au nord-est du pays.
L’attitude américaine à moyen terme constitue l’une des inconnues de ce dossier. Pour des raisons assurément électoralistes, Donald Trump veut se désengager de la région – et éviter des pertes humaines que l’on risque de lui opposer lors de la prochaine élection –, mais il n’est toujours pas question d’un retrait total.
Il faudra probablement compter avec le maintien d’une présence résiduelle (50 à 100 hommes) des forces spéciales américaines. Celles-ci pourraient servir de garde-fou contre les éventuels excès d’Ankara.
Malgré l’apparence d’un « feu vert » américain, les relations entre Washington et Ankara sont assez ambiguës. Le moins que l’on puisse dire est que les deux pays se font modérément confiance. Rappelons, par exemple, que cette offensive turque intervient deux mois après un accord sur l’établissement de cette zone de sécurité. Celui-ci aura fait long feu.
Un victoire pour la Russie et le camp loyaliste
Le véritable « feu vert », quoique plus discret, ne vient pas de Washington, mais de Moscou. Le nord de la Syrie est l’objet d’un « marchandage » permanent entre la Turquie et la Russie.
L’offensive turque à Afrin – au grand dam des populations kurdes – a eu lieu avec l’accord de la Russie (du fait du rapprochement russo-turc et de l’agacement de la Russie face à l’alliance américano-kurde) à la suite d’une avancée loyaliste, notamment à Alep.
Là encore, cette offensive turque au nord-est du pays a lieu précisément après l’offensive loyaliste au nord-ouest, dans la région d’Idleb.
Autrement dit, la Russie « offre » à son partenaire turc des offensives contre les milices kurdes quand elle obtient des reconquêtes loyalistes qui ne sont pas entravées par la Turquie.
La Russie approuve, discrètement, cette offensive pour deux raisons.
D’abord, parce que la Russie veut se débarrasser de la présence américaine et parce que les Forces démocratiques syriennes constituent un obstacle à la reconquête par Damas de l’ensemble du territoire.
Pour les Russes, la mise en place d’un corridor turc à la frontière est autrement moins gênante que l’existence d’une vaste zone autonome au nord-est, sous protection américaine.
Au début de l’année, Vladimir Poutine est allé jusqu’à inviter les Turcs à s’appuyer sur un accord turco-syrien de 1998 (accord d’Adana). Cet accord oblige Damas à lutter contre le PKK et permet à la Turquie d’intervenir au nom d’un droit de légitime défense.
Pour Moscou, l’offensive n’est acceptable que si elle légitime le pouvoir syrien et que si la profondeur de la zone tampon est acceptable
Pour Moscou, l’offensive n’est acceptable que si elle légitime le pouvoir syrien (y compris dans le cadre de l’invocation d’un accord passé) et que si la profondeur de la zone tampon est acceptable : plutôt cinq kilomètres (comme le stipule une annexe de l’accord) que la trentaine brandie par Ankara.
Ensuite, c’est aussi l’occasion pour la Russie de « domestiquer » une bonne fois pour toutes les combattants kurdes. Au début du conflit syrien, Moscou entretenait d’exécrables relations avec Ankara et des relations très cordiales avec les YPG.
Pour satisfaire ses partenaires kurdes, le gouvernement russe allait jusqu’à évoquer la possibilité d’un futur État fédéral en Syrie. Aujourd’hui, malgré la détérioration des relations, Moscou n’a pas rompu avec les YPG.
Si on ajoute au danger turc l’hostilité d’une grande partie des populations arabes des régions contrôlées par les FDS, la fragilité des combattants kurdes est telle que Damas et Moscou apparaissent comme les ultimes recours crédibles.
Là encore, la configuration n’est pas inédite. Au début de l’année, devant la menace d’une offensive turque, les YPG ont très vite accepté de se mettre sous la protection de Damas et de Moscou dans la région de Manbij.
Ankara et les combattants kurdes partagent ainsi la même flexibilité s’agissant de leurs relations avec Washington et Moscou. Pour la Russie, cette offensive peut être l’occasion de pousser les combattants kurdes – ou du moins, une partie de ces combattants dans un premier temps – à rejoindre clairement le camp loyaliste.
L’argument de la menace islamiste armée : une impasse
Afin de séduire l’opinion « occidentale » et de s’assurer de soutiens « occidentaux » susceptibles de pallier la trahison américaine et de contrebalancer l’influence loyaliste (Damas et Moscou), les combattants kurdes des YPG sont tentés de mettre l’accent sur le danger djihadiste et de brandir l’éventualité d’une renaissance du groupe État islamique (EI).
Certes, l’élimination totale du danger n’est pas pour demain. Daech n’a pas complètement disparu et sa survie réticulaire (via des réseaux virtuels ou réels) ne peut être écartée.
L’hypothèse d’une résurgence territoriale de Daech dans les régions qu’il contrôlait il y a quelques années ne semble en rien crédible
De même, le risque d’attentats – visant des civils ou des forces loyalistes – doit être pris en compte. La ville de Deraa, berceau du soulèvement syrien, en a récemment pâti.
Cependant, l’hypothèse d’une résurgence territoriale de Daech dans les régions qu’il contrôlait il y a quelques années ne semble en rien crédible.
Si toutes les armées régulières de la région se coordonnent contre cette menace – ce qui implique une bonne volonté turque qui n’a pas toujours été au rendez-vous contre les mouvements islamistes armés –, un « État islamique » peut très difficilement réémerger.
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