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Liban : même à Nabatieh, le mouvement de colère n’épargne pas le Hezbollah

La moitié du Liban continue toujours de manifester contre sa classe politique corrompue, mais le Hezbollah a rappelé à l’ordre ses partisans, qui avaient au départ largement participé au mouvement
Discours télévisé de Hassan Nasrallah, le 19 octobre, suivi par des sympathisants du Hezbollah à Baalbeck, dans l'est de la vallée de la Bekaa, au Liban (AFP)
By Thomas Abgrall in NABATIEH, Liban

Vendredi 25 octobre, il est 16 h à Nabatieh, fief chiite du Hezbollah, dans le sud du Liban, quand Hassan Nasrallah, le puissant chef du Hezbollah, prend la parole sur toutes les télévisions libanaises.

Des feux d’artifice jaillissent au-dessus des maisons, puis le silence se fait d’un coup. Turban noir et barbe grise bien fournie, le chef religieux débute, souriant, un discours plein d’autorité, un drapeau libanais en fond d’écran.

« Si le mouvement mène le pays au chaos et à la guerre civile, le peuple s’entretuera »

- Hassan Nasrallah

D’emblée, il appelle ses partisans à « ne plus descendre dans les rues ». Depuis neuf jours, un mouvement de contestation sociale inédit traverse le pays du Cèdre. Il demande la chute du gouvernement et le départ des élites confessionnelles corrompues.

Les députés du Hezbollah et d’Amal, l’autre grand parti chiite, n’ont pas été épargnés, y compris parmi la base du « parti de Dieu ». Deux jours après le début de la contestation, Hassan Nasrallah avait appelé à soutenir le gouvernement en place mais n’avait donné aucune consigne aux manifestants pour ne pas s’aliéner certains de ses électeurs, fortement affectés par des problèmes sociaux. 

Compromis avec Hariri et Aoun

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« Ce qui a commencé par un mouvement populaire ne l’est plus », affirme le leader du parti-milice chiite. Il développe ensuite une théorie du « complot » dénonçant l’implication des « ambassades étrangères », ou encore « l’ennemi israélien ».

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Il va même plus loin. « Si le mouvement mène le pays au chaos et à la guerre civile, le peuple s’entretuera. »

Le chef du Hezbollah tient à tout prix à préserver le gouvernement en place, fruit de longues tractations, qui plus est dans un contexte de récession économique. 

« Depuis octobre 2016, le Hezbollah a consolidé un compromis avec les sunnites de Saad Hariri et le président chrétien Michel Aoun, auquel il tient absolument. Il redoute l’instabilité qui pourrait résulter d’une chute du gouvernement », explique Aurélie Daher, professeur à Sciences Po et spécialiste du Hezbollah. « Ce dernier a toujours été un parti d’ordre discipliné, qui se méfie de toutes le aventures politiques imprévisibles. »

Le Hezbollah critiqué par la base chiite

À Nabatieh, ils ne sont plus qu’une grosse centaine de manifestants à se rassembler devant le Sérail (siège du gouvernement) de la ville chaque après-midi. Les premiers jours de la contestation, ils étaient des milliers dans les rues, après avoir coupé le centre-ville de Nabatieh. 

« Nous vivons dans la pauvreté avec six heures d’électricité par jour, alors que certains membres des partis paradent dans de belles voitures avec chauffeurs ou envoient leurs enfants faire des études à l’étranger »

- Hussein, 50 ans

« Un certain nombre d’électeurs du Hezbollah, qui portaient des revendications sociales depuis 2006, les ont pour la première fois exprimées publiquement, encouragés par un mouvement similaire dans tout le Liban. L’alliance électorale du Hezbollah avec l’autre parti chiite Amal a terni son image de probité », explique Chiara Calabrese, une spécialiste du Hezbollah, chercheuse à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Amal est en effet notoirement corrompu.

Présent près du Sérail, un manifestant ne dit pas autre chose. « Toute notre famille a voté pour Amal et le Hezbollah aux dernières élections législatives. Ils m’avaient dit qu’ils feraient tout pour trouver un emploi pour mon fils, mais n’ont rien fait », affirme Hussein, 50 ans. 

« Nous vivons dans la pauvreté avec six heures d’électricité par jour, alors que certains membres des partis paradent dans de belles voitures avec chauffeurs ou envoient leurs enfants faire des études à l’étranger. La direction du Hezbollah ne fait rien pour les rappeler à l’ordre. » 

Une nouvelle génération 

On retrouve aussi les mêmes griefs chez des plus jeunes chiites qui ne sont pas nécessairement des électeurs du Hezbollah. Ils se plaignent de ne pas être pris en considération. 

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« Ils n’aident que leurs militants à trouver un emploi via des wasta [piston], mais je cherche désespérément du travail, et personne ne m’a jamais donné un coup de main », râle Hussein, 21 ans, qui ne s’est pas déplacé aux élections législatives de 2018. Le jeune homme, qui fume la chicha, a effectué des études d’hôtellerie, mais « reste toute la journée à la maison ».  

« Il existe toute une nouvelle génération de chiites nés entre 1995 et 2000 qui n’ont pas connu la libération du sud du Liban par Israël, ou qui étaient trop jeunes pour voir de leurs yeux les sacrifices du Hezbollah lors de la guerre de 2006 contre Israël », explique Aurélie Daher. 

« Ils ne voient plus seulement un parti qui les protège d’Israël, mais attendent aussi de lui des services clientélistes, comme avec les autres partis confessionnels libanais. En conséquence, ils sont plus critiques. » 

Le Hezbollah sonne la fin du mouvement dans le sud

La mobilisation actuelle à Nabatieh n’est plus que l’ombre d’elle-même. Depuis quatre jours, la police municipale de la ville, sous la coupe du Hezbollah, a contraint les manifestants à dégager les voies d’accès principales.

Elle a tabassé des dizaines de manifestants dont une quinzaine ont été blessés. « Trois membres du conseil municipal ont démissionné pour protester contre ces violences, mais depuis, les gens ont peur de venir manifester », souffle un homme dans une rue à l’écart de la foule. 

« De nombreuses rumeurs sur les réseaux sociaux ont également circulé sur une planification supposée des manifestations par les Israéliens »

- Chiara Calabrese,  spécialiste du Hezbollah

« On est obligés de suivre les ordres du Hezbollah et d’Amal ici, on n’est pas libres de s’exprimer. »

« Une partie des manifestants s’est détournée du mouvement après quelques jours, estimant que dans le reste du pays, elles étaient politisées, et récupérées par d’autres partis chrétiens libanais comme les Forces Libanaises [dont les ministres sont les seuls à avoir démissionné du gouvernement] », note Chiara Calabrese.  

« De nombreuses rumeurs sur les réseaux sociaux ont également circulé sur une planification supposée des manifestations par les Israéliens », ajoute la spécialiste.

Aussitôt après le discours de Nasrallah, des dizaines d’hommes en mobylettes dévalent en trombe dans l’artère principale de Nabatieh, brandissant haut et fort le drapeau jaune de la milice chiite dans un concert de klaxons.

Séparés des motocyclettes par un cordon de soldats libanais, les manifestants ont pris soin d’étaler sur la route jouxtant le Sérail un large drapeau israélien et américain, que les voitures écrasent sur leur passage. 

« Nous manifestons contre la corruption, mais nous n’oublions pas qu’Israël est notre principal ennemi et que c’est le Hezbollah qui nous a toujours protégés », rappelle une manifestante.

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Les aînés n’oublient pas que la milice chiite a libéré le sud du Liban d’Israël en 2000 et a défendu la ville contre les chars israéliens lors de la guerre de 2006, au prix du sang.

Samir, un vendeur de vêtements de 26 ans, pourtant un irréductible des manifestations, pense désormais « rentrer à la maison ». 

« Nasrallah a dit que ce mouvement pouvait être dangereux, et nous savons que le Sayyed [titre donné à Hassan Nasrallah] ne ment jamais. » 

« À chaque fois que Hassan Nasrallah donne des consignes, elles sont toujours respectées sur le terrain. Il sait jouer de son aura auprès de sa communauté », assure Aurélie Daher.

Des dizaines de personnes continuent pourtant chaque jour de rester au Sérail, pour la plupart des militants de gauche libanaise, essayant encore d’y croire, agitant leurs drapeaux à l’emblème du Cèdre, entonnant des chansons. 

« C’était la première fois qu’il existait une révolution décentralisée dans le pays depuis 1944. Ce serait tellement triste que la mobilisation tourne au vinaigre », lâche l’un d’eux, amer. 

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