Le conseil de Noam Chomsky aux défenseurs de la Palestine : votez Biden, maintenez la pression
« L’activisme populaire est nécessaire pour changer les choses », selon Noam Chomsky.
Le linguiste, philosophe et professeur émérite au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) Noam Chomsky souhaite que les lobbyistes pour les droits des Palestiniens intensifient et maintiennent la pression sur les responsables politiques pour faire progresser leur cause aux États-Unis.
Il exhorte également les Américains à voter pour Joe Biden lors de la présidentielle de novembre afin d’empêcher Donald Trump de rester quatre années de plus à la Maison-Blanche.
D’après Chomsky, être inconditionnellement en faveur d’Israël est la solution de facilité pour les membres du Congrès, il appartient donc aux défenseurs des droits de l’homme et lobbyistes de faire pression sur eux afin de les amener à reconnaître les demandes de justice et d’autodétermination du peuple palestinien.
Dans une interview accordée à Middle East Eye, Noam Chomsky cite les réalisations des mouvements contre la guerre, pour le droit du travail et féministe. « Il ne s’agit pas de cadeaux tombés du ciel », explique-t-il.
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Étant donné la suspension de la campagne du candidat démocrate Bernie Sanders en avril, Noam Chomsky appelle les activistes pro-palestiniens à « maintenir la pression » au-delà de la campagne présidentielle.
Il constate que les idées de Sanders, qui a galvanisé les activistes de gauche et les défenseurs des droits des Palestiniens, gagnent en influence au sein du Parti démocrate.
L’opinion sur Israël évolue
Sanders s’est rallié à Joe Biden en avril, faisant de l’ancien vice-président le probable candidat du parti démocrate face à Donald Trump en novembre.
« Désormais, la plupart des gens qui s’identifient comme des démocrates libéraux ont davantage de sympathie pour les Palestiniens que pour Israël »
La défaite électorale du sénateur du Vermont après des victoires prometteuses lors des premiers caucus a été un coup dur pour ceux qui adhèrent à ses idées, notamment un système universel de soins, des universités publiques gratuites et une politique américaine plus équilibrée au Moyen-Orient.
« Sanders est le seul dans la sphère politique traditionnelle – assurément l’un des seuls candidats à la présidentielle – qui a une certaine compréhension et sensibilité à l’égard du problème palestinien. Pas autant que je le souhaiterais, mais bien plus que les autres », estime Noam Chomsky.
Toutefois, les activistes pro-palestiniens ont toujours une « occasion » de faire pression sur les « points faibles » des relations américano-israéliennes, a déclaré Chomsky à MEE par vidéoconférence depuis son domicile à Tucson, dans l’Arizona.
L’auteur renommé, âgé de 91 ans, indique qu’il y a deux décennies, Israël était considéré comme « le plus noble pays au monde » et que les Palestiniens étaient vus comme une « bande de terroristes ».
« Il faut se souvenir d’une chose à ce propos : l’opinion publique vis-à-vis d’Israël et de la Palestine a radicalement changé », déclare-t-il. Aujourd’hui, le débat s’ouvre au sein de la gauche traditionnelle à propos du conflit, alors que le soutien résolu à Israël se limite dorénavant principalement à la droite ultranationaliste et aux chrétiens évangéliques.
« Israël était le chouchou des libéraux de gauche. Le soutien à Israël avait pour base l’aile libérale du parti démocrate. Les intellectuels de gauche aimaient Israël. Israël était apprécié et salué comme aucun autre pays au monde à cette époque. Cela a considérablement changé. Désormais, la plupart des gens qui s’identifient comme des démocrates libéraux ont davantage de sympathie pour les Palestiniens que pour Israël. »
Noam Chomsky estime qu’amener les élus démocrates à se rallier aux opinions de leurs partisans sur le conflit aurait des implications concrètes.
« Il est possible, dans l’un des deux partis, d’amener l’humeur à refléter les opinions en pleine mutation de la base populaire et de se diriger vers des politiques très différentes vis-à-vis du Moyen-Orient », ajoute Chomsky.
Biden : « le moindre de deux maux »
Si l’opinion publique américaine se montre de plus en plus sceptique envers Israël, les politiques américaines n’ont quant à elles jamais été autant en faveur du gouvernement israélien.
Sous Trump, Washington a déménagé l’ambassade américaine à Jérusalem, réduit l’aide aux réfugiés palestiniens et, plus récemment, signalé qu’il accepterait les projets du gouvernement israélien visant à annexer de larges pans de la Cisjordanie.
« Si l’administration Trump est en place quatre années de plus, il sera très compliqué de faire quoi que ce soit. En réalité, nous pourrions ne même pas survivre »
Noam Chomsky étrille les politiques pro-Israël de Trump, notamment sa proposition pour mettre fin au conflit, laquelle a été préparée par le gendre du président américain, Jared Kushner, et annoncée en janvier. Ce projet, qualifié d’« accord du siècle », autoriserait Israël à conserver l’ensemble de ses colonies en Cisjordanie, tandis que les Palestiniens obtiendraient un État fragmenté sans forces armées ni souveraineté sur ses frontières et son espace aérien.
« L’administration Trump est bien plus à droite que tout autre gouvernement précédent – le plus réactionnaire – et [plus que] quiconque au monde concernant le problème palestinien », estime l’intellectuel. « Le fameux “accord du siècle” a été rédigé par Netanyahou, remis au p’tit gars au visage poupon, le gendre de Trump, et il l’a présenté au monde. »
Chomsky, qui a publié plus de 120 livres sur divers sujets, notamment des critiques cinglantes de la politique étrangère américaine, estime que le pire pour les Palestiniens serait un autre mandat de Trump, malgré le fervent soutien de Biden à Israël.
« Si l’administration Trump est en place quatre années de plus, il sera très compliqué de faire quoi que ce soit. En réalité, nous pourrions ne même pas survivre, mais ça, c’est une autre histoire », poursuit Chomsky.
« Mais sur des sujets tels que celui-là, vous ne pouvez pas faire pression sur l’administration Trump. Par le passé, il était possible d’influencer les administrations républicaines. Reagan, Nixon – des gens horribles, mais ils étaient en quelque sorte à moitié humains. Vous traitiez avec eux comme des êtres humains.
« Aujourd’hui, nous avons affaire à un gang de fous psychopathes. C’est en dehors du spectre de la politique parlementaire traditionnelle, quelque chose de nouveau. »
Par rapport à la Maison-Blanche de Trump, Chomsky estime qu’une administration Biden serait « sensible à la pression » des lobbyistes, surtout qu’une grande partie de la base électorale du parti démocrate est ouverte à l’idée de demander des comptes à Israël pour ses violations des droits de l’homme.
Chomsky poursuit en plaidant sans ambiguïté pour voter en faveur de Biden au mois de novembre.
« Dire que vous ne pouvez pas voter pour le moindre des deux maux, cela signifie : je vais voter pour le pire des deux maux », affirme-t-il.
Il met en garde ceux qui envisagent de voter pour un candidat tiers, estimant qu’ils devraient réfléchir aux conséquences de l’élection sur l’humanité, même si cela implique de « se boucher le nez » et de voter Biden.
Selon Chomsky, dans un duel, chaque vote qui ne va pas à l’ancien vice-président profitera à l’actuel occupant de la Maison-Blanche. « Si vous vous abstenez ou que vous votez pour un autre, au fond, vous votez Trump. Est-ce là ce que vous dicte votre conscience ? »
Viser l’aide à Israël
Plusieurs activistes pour les droits des Palestiniens qui soutenaient Sanders ont déclaré à MEE début avril que la suspension de la campagne présidentielle du sénateur ne marquerait pas la fin de leur lutte pour la justice et l’égalité.
Chomsky affirme en effet qu’il y a un terrain fertile pour l’activisme autour de la Palestine aux États-Unis, aujourd’hui plus que jamais. Il propose d’exploiter les failles juridiques de l’aide américaine à Israël.
« Les activistes doivent faire pression sur les points faibles du soutien du gouvernement américain à Israël. Il repose sur des mensonges cruciaux », déclare le linguiste.
« Pourquoi les États-Unis ne reconnaissent-ils pas qu’Israël a un programme d’armes nucléaires ? Bien sûr, tout le monde est au courant. Mais les États-Unis refusent de l’admettre. Pourquoi ? Parce que s’ils l’admettent, cela soulèvera des questions quant à la légalité de l’ensemble de l’aide américaine à Israël en vertu de la loi américaine. »
« Les activistes doivent faire pression sur les points faibles du soutien du gouvernement américain à Israël. Il repose sur des mensonges cruciaux »
La section 101 de la loi américaine sur le contrôle des exportations d’armes interdit explicitement l’aide étrangère, notamment l’aide militaire, aux pays qui acquièrent des capacités d’enrichissement nucléaire ou des matériaux nucléaires hors du contrôle de la communauté internationale.
Le programme d’armes nucléaires secret d’Israël est un secret de polichinelle dans la région, mais Washington ne l’a jamais reconnu officiellement.
Les États-Unis donnent environ 3,8 milliards de dollars d’aide militaire à Israël chaque année, des fonds essentiels pour entretenir l’armée israélienne.
Noam Chomsky appelle également à invoquer la loi Leahy qui interdit toute aide militaire aux pays qui commettent des violations des droits de l’homme.
« Ce que les activistes devraient faire, c’est faire pression pour suivre la loi américaine afin de mettre un terme à l’ensemble de l’aide à Israël. Cela semble un peu exagéré, mais ça ne l’est pas », assure l’intellectuel.
« Une large part du pays sera probablement d’accord avec cela. Ils n’aiment pas aider qui que ce soit pour leurs propres raisons… et la gauche devrait être capable de jouer là-dessus. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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