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Haut-Karabakh : le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pourrait déclencher une escalade au Moyen-Orient

L’évolution du conflit pourrait affecter les calculs des puissances régionales, et l’Iran se trouve dans une position particulièrement vulnérable
Image tirée d’une vidéo filmée le 28 septembre qui montrerait une frappe de l’artillerie azérie en direction de séparatistes arméniens dans le Haut-Karabakh (ministère de la Défense azéri/AFP)

Le soi-disant « conflit gelé » entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie à propos de la région contestée du Haut-Karabakh a dégénéré une fois de plus. Par le passé, les puissances ayant une influence à Bakou et Erevan – la Russie en particulier – étaient intervenues pour mettre fin au conflit armé. 

Mais cette fois, la situation semble différente, en grande partie parce que la Turquie s’est ouvertement rangée du côté de l’Azerbaïdjan. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a résolument pris parti pour Bakou, tandis que le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu a assuré qu’Ankara apporterait une aide militaire à Bakou le cas échéant.

Il a également prévenu que si le conflit atteignait le Nakhitchevan, une république autonome d’Azerbaïdjan qui borde la Turquie, Ankara pourrait être contraint d’intervenir.

Soutien turc

Selon les autorités arméniennes, la Turquie fournit déjà des armes à Bakou, notamment des drones, ainsi que des experts militaires. De nombreuses informations laissent entendre que la Turquie a envoyé des mercenaires de Syrie en soutien aux forces azéries, bien que Bakou ait démenti ces rumeurs. 

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Si les allégations d’aide directe de la Turquie s’avèrent exactes, la pression exercée sur la Russie pour qu’elle aide l’Arménie pourrait s’accroître, car cette dernière a un accord en matière de sécurité avec Moscou. En cas d’intervention russe, l’Occident pourrait difficilement rester en retrait. En outre, toute intervention directe de la Turquie engendrant des pertes élevées côté arménien pourrait constituer un sérieux dilemme pour l’Occident et pourrait accroître les tensions. 

Quel serait l’impact d’un rôle militaire actif de la Turquie dans le conflit sur ses relations avec ses alliés de l’OTAN ? Et si l’Iran était impliqué ? Cela justifierait-il une frappe militaire américaine contre la République islamique ?

En résumé, cette fois le conflit pourrait potentiellement muer en conflit régional voire international. Cependant, de tous les acteurs internationaux et régionaux derrière les belligérants, l’Iran est dans une situation particulièrement sensible, et ce pour un certain nombre de raisons.

Premièrement, il y a la proximité géographique. Contrairement à la Turquie, qui n’est pas strictement frontalière de l’Azerbaïdjan, l’Iran a de longues frontières avec ce pays ainsi qu’avec l’Arménie, notamment le Haut-Karabakh. Son territoire est vulnérable aux attaques délibérées ou accidentelles de la part des deux côtés. 

Des éléments à Bakou et Ankara aimeraient aussi provoquer des problèmes entre l’Iran et l’Azerbaïdjan en envoyant un drone ou un missile en territoire iranien, par provocation. Il y a déjà des informations faisant état de drones et de missiles atterrissant en territoire iranien.

En outre, si le conflit se prolongeait et provoquait un problème de réfugiés, l’Iran serait sérieusement affecté. En 1989, la République islamique s’était retrouvée face à un large afflux de réfugiés azéris et avait dû établir des camps pour les accueillir lorsque le conflit avait dégénéré aux derniers jours de l’Union soviétique. 

Conflit territorial

Autre facteur entrant en ligne de compte : le conflit ethnique et territorial. Jusqu’en 1828, la plupart des territoires qui constituent l’Azerbaïdjan et l’Arménie appartenaient à l’Iran, mais ont été perdus au profit de la Russie à l’issue de deux longues guerres. Après la séparation, l’Azerbaïdjan a néanmoins entretenu d’étroits liens, notamment culturels, avec l’Iran. 

Dans les années 1940, l’Union soviétique, désireuse d’intégrer l’Azerbaïdjan iranien, a élaboré le mythe d’un Azerbaïdjan divisé par les impérialistes perses qui pourrait être réunifié. Après l’effondrement soviétique, la nouvelle république indépendante d’Azerbaïdjan a adopté ce mythe. 

Au début des années 1990, l’Iran et la Turquie ont commencé à rivaliser en influence vis-à-vis de la République d’Azerbaïdjan, tandis qu’Israël a noué d’étroites relations avec Bakou afin de garder un œil sur l’Iran (ce que l’Arabie saoudite a fait plus tard également).

Image tirée d’une vidéo filmée le 28 septembre qui montrerait des troupes azéries menant des opérations de combat au Haut-Karabakh (ministère de la Défense azéri/AFP)
Image tirée d’une vidéo filmée le 28 septembre qui montrerait des troupes azéries menant des opérations de combat au Haut-Karabakh (ministère de la Défense azéri/AFP)

Pendant ce temps, dans un contexte compliqué avec l’Iran, les États-Unis et l’Europe ont offert un rôle primordial à la Turquie. Malgré les plaintes occasionnelles relatives au bilan de Bakou en matière de droits de l’homme, Ankara a entretenu d’étroites relations avec les autorités azerbaïdjanaises par intérêt pour les ressources énergétiques du pays. 

Il est clair que l’Iran est dans une situation sans issue si le conflit échappe à tout contrôle. Une victoire claire de l’Azerbaïdjan sur l’Arménie avec l’aide de la Turquie pourrait encourager Bakou et Ankara à poursuivre plus vigoureusement l’idée d’unir la République avec l’Azerbaïdjan iranien.

La Turquie dispose d’une présence militaire dans la République autonome du Nakhitchevan, qui est située à 150 kilomètres à peine de Tabriz, la capitale de la province orientale de l’Azerbaïdjan iranien. Si le conflit s’étend à cette région, le risque d’une querelle turco-iranienne n’est pas à exclure. 

Mais l’Iran n’a pas les moyens d’une confrontation militaire avec l’Azerbaïdjan ou la Turquie. Compte tenu de sa nombreuse population azérie, un conflit avec Bakou pourrait dégénérer en guerre civile. Sous la pression, comme elle l’est, des États-Unis, d’Israël et de la plupart des États arabes du Golfe, la République islamique peut difficilement s’offrir de s’opposer à la Turquie. Même une réaction défensive de la part de Téhéran pourrait aboutir à une attaque américaine contre l’Iran. 

Rester neutre

En raison de sa situation internationale et régionale précaire, depuis les années 1990, l’Iran poursuit une politique passive et a tenté d’apaiser l’Azerbaïdjan. Il a offert sa coopération à Bakou et a soutenu l’intégrité territoriale azérie. Téhéran a également cultivé des relations avec Erevan et s’est proposé comme intermédiaire dans la querelle concernant le Karabakh, proposition rejetée par la Turquie, la Russie et l’Occident. 

L’Iran n’a pas les moyens d’une confrontation militaire avec l’Azerbaïdjan ou la Turquie. Compte tenu de sa nombreuse population azérie, un conflit avec Bakou pourrait dégénérer en guerre civile

À cause de ce facteur iranien, le Caucase est lié aux problèmes du Moyen-Orient. Israël et l’Arabie saoudite ont essayé d’exercer des pressions sur l’Iran via l’Azerbaïdjan. Des volontaires azéris ont combattu dans la guerre syrienne et des Syriens viendraient désormais en aide à l’Azerbaïdjan. Ainsi, l’évolution du conflit pourrait affecter les calculs des puissances moyen-orientales.

Un conflit étendu poserait des problèmes politiques pour des acteurs majeurs. Que ferait l’Occident si la Russie aidait militairement l’Arménie ? Le conflit pourrait-il engendrer une altercation militaire entre les Turcs et les Russes ? Quel serait l’impact d’un rôle militaire actif de la Turquie dans le conflit sur ses relations avec ses alliés de l’OTAN ? Et si l’Iran était impliqué ? Cela justifierait-il une frappe militaire américaine contre la République islamique ?

La leçon de cette dernière montée des tensions dans le Caucase est qu’on ne peut pas laisser pourrir les conflits. Aucun ne reste définitivement gelé.

- Shireen T. Hunter est une chercheuse affiliée au Centre pour la compréhension entre musulmans et chrétiens de l’Université de Georgetown. Le Moyen-Orient (en particulier la région du golfe Persique), la Méditerranée, la Russie, l’Asie centrale et le Caucase (du Nord et du Sud) font partie de ses domaines d’expertise. Shireen T. Hunter a étudié à l’Université de Téhéran (licence et doctorat en droit international sans thèse), à la London School of Economics (maîtrise en relations internationales) et à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève. Elle a publié dix-neuf ouvrages.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Shireen T Hunter is an affiliate fellow at the Georgetown University Center for Muslim-Christian Understanding. Dr Hunter’s areas of expertise include the Middle East (especially the Gulf region), the Mediterranean, Russia, Central Asia, and the Caucasus (North and South). Dr Hunter was educated at Tehran University (BA and all-but-thesis for a doctorate in international law), the London School of Economics (MSc in international relations), and the Graduate Institute of International Affairs and Development Studies, in Geneva. She has published 19 books.
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