Décès de Saeb Erekat : qui était le « négociateur en chef » des Palestiniens ?
Le secrétaire général de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) Saeb Erekat, 65 ans, est décédé ce mardi 10 novembre des suites de son infection au coronavirus, rendue fatale par des problèmes respiratoires chroniques, à l’hôpital Hadassah de Jérusalem, où il avait été admis le 18 octobre. Il était l’une des personnalités politiques palestiniennes les plus connues des 30 dernières années.
Il fut le visage des accords d’Oslo, tentative finalement ratée de forger un accord de paix permanent avec Israël et de construire un État palestinien indépendant. Impliqué dans les premiers cycles de pourparlers avec Israël, il détenait le titre de négociateur palestinien en chef depuis le début des années 1990.
Celui qui fut aussi l’un des membres les plus loquaces de la direction palestinienne laisse derrière lui un héritage politique controversé pour avoir poursuivi l’objectif de parvenir à un État palestinien indépendant et souverain grâce à des négociations politiques qui n’ont finalement jamais abouti.
De la Palestine aux États-Unis
Né en 1955 dans la ville d’Abu Dis, près de Jérusalem, Saeb Erekat – fils d’un homme d’affaires palestinien, Mohammad Saleh Erekat, qui avait vécu aux États-Unis pendant de nombreuses années – a étudié dans la ville de Jéricho en Cisjordanie avant de terminer ses études à San Francisco, où il a obtenu dans les années 19070 une licence puis un master en science politique. Il obtiendra plus tard la nationalité américaine.
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Il a obtenu un doctorat en études de la paix à l’université de Bradford en Angleterre. C’est là, selon plusieurs médias, que sont nées ses idées politiques. Il en était notamment arrivé à la conclusion que le conflit entre Iraël et les Palestiniens ne pourrait être résolu qu’à travers des négociations.
Après ses études et son retour en Palestine, Saeb Erekat a été, entre 1982 et 1986, maître de conférences à l’université An-Najah de Naplouse, la plus grande université palestinienne.
Il a également travaillé pendant plus de dix ans, jusqu’en 1994, en tant que journaliste et rédacteur en chef du quotidien palestinien Al-Quds.
Saeb Erekat a été, à plusieurs reprises dans sa jeunesse, fait prisonnier par les forces israéliennes : la première fois à 13 ans, à la suite d’un affrontement avec des soldats israéliens. Il a ensuite été arrêté après avoir ouvert un programme amenant des étudiants de l’université de Haïfa à An-Najah en 1983, et placé en résidence surveillée à plusieurs reprises au cours des premières années de la première Intifada.
Un des fidèles de Yasser Arafat
Saeb Erekat commence sa carrière de négociateur en 1991, en tant que chef adjoint de la délégation palestinienne à la conférence de paix de Madrid, première conférence au cours de laquelle des représentants israéliens, palestiniens, jordaniens, libanais et syriens se sont retrouvés face à face et qui aurait ouvert la voie aux accords d’Oslo quelques années plus tard.
Il poursuit son travail avec la délégation les années suivantes, avant d’en être nommé chef en 1995.
En 1995, Saeb Erekat devient négociateur en chef des Palestiniens lors des négociations des accords d’Oslo qui mèneront à la création de l’Autorité palestinienne (AP). Il a, à plusieurs reprises, reproché à Israël d’avoir détruit la solution à deux États et de ne pas respecter les accords d’Oslo. « Les gouvernements israéliens successifs ont travaillé pour détruire l’accord, en particulier le gouvernement actuel dirigé par Benyamin Netanyahou, le plus à droite d’entre eux », a-t-il déclaré à l’occasion du 27e anniversaire des accords.
En 1996, il est élu au Conseil législatif palestinien en tant que représentant de Jéricho, où il vécut jusqu’à sa mort.
Il devient le Premier ministre de la gouvernance locale au sein du premier gouvernement formé par l’Autorité palestinienne sous la direction de l’ancien président palestinien Yasser Arafat.
Malgré leurs divergences sur un certain nombre de sujets politiques, Saeb Erekat était considéré comme l’un des fidèles d’Arafat lors des négociations de 2000 à Camp David et celles qui ont suivi à Taba, en Égypte, en 2001. Le sommet de Taba s’est terminé avant les élections israéliennes et n’a jamais repris sous la direction du nouveau Premier ministre, Ariel Sharon.
En raison de sa proximité avec Arafat, Saeb Erekat est réélu en 2003 au poste de ministre des Négociations au sein du cabinet d’urgence sous le gouvernement de l’ancien Premier ministre de l’AP, Ahmed Qoreï.
En 2009, Mahmoud Abbas, prédident de l’AP depuis 2004, le désigne chef de la délégation des négociateurs palestiniens. La même année, il est également élu membre du comité central du Fatah, la plus grande instance dirigeante du mouvement, et désigné par consensus à la fin de l’année 2009 comme membre du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).
Les « Palestine Papers »
En février 2011, Saeb Erekat démissionne de son poste à la tête de l’unité de soutien aux négociations de l’OLP après la publication par Al Jazeera de documents internes relatifs aux négociations israélo-palestiniennes.
Connus sous le nom de « Palestine Papers », les 1 600 documents publiés par la chaîne qatarie (mémos, emails, procès-verbaux de réunions privées, comptes-rendus d’échanges de haut niveau, cartes et présentations Powerpoint) couvrent une période allant de 1999 à 2010.
Ces documents révèlent les concessions significatives faites par l’AP lors des négociations sur des questions essentielles, notamment le sort des réfugiés et le fait que l’AP était d’accord pour que seul un petit nombre de réfugiés déplacés pendant la Nakba reviennent en Palestine.
L’AP avait aussi accepté un compromis majeur sur les terres et sur le retrait d’Israël de Jérusalem-Est occupée.
Les documents contenaient également des informations sur la manière dont les unités de la sécurité de l’Autorité palestinienne avaient coordonné avec les forces israéliennes le meurtre et l’arrestation de Palestiniens engagés dans la résistance armée contre l’occupation. Ces révélations avaient provoqué l’indignation de l’opinion publique palestinienne.
Dans un échange tendu avec Al Jazeera à la suite de ces révélations, considéré comme l’une des plus célèbres interviews de Saeb Erekat, celui-ci dément vivement avoir négligé ces questions clés, en particulier le dossier des réfugiés.
Pendant cette interview, il montre des documents réfutant, selon lui, le contenu des fichiers d’Al Jazeera, et présente les « Palestine Papers » comme un complot visant à renverser le président Abbas. Il déclare dans un communiqué : « Ce qu’il faut retenir de ces documents, c’est que les négociateurs palestiniens sont toujours venus à la table avec le plus grand sérieux et de bonne foi, alors que de l’autre côté, nous n’avons été accueillis que par le rejet. »
Saeb Erekat revient alors rapidement sur sa démission. Il démissionne à nouveau en octobre 2013, pendant les négociations avec Israël sous les auspices américains, mais Abbas refuse sa démission et lui demande de poursuivre sa mission, ce qu’il fait.
Malgré l’arrêt des négociations entre l’AP et Israël depuis 2014, Saeb Erekat reste sur sa position – les négociations sont la meilleure voie à suivre pour parvenir à une solution – et il renforce de manière constante la position de l’Autorité palestinienne, affirmant qu’il n’y aura pas d’option militaire.
Saeb Erekat a toujours accusé Israël de l’échec des négociations, pointant notamment la construction de colonies israéliennes – le prérequis de l’AP pour « reprendre » les négociations étant qu’Israël cesse la construction de colonies.
Contre l’« accord du siècle »
Dans un livre, The Palestinians and Confronting the Deal of the Century, publié par l’organisation Arab Thinking Forum à Londres, qui avait réuni plusieurs personnalités palestiniennes, Saeb Erekat suggéra comment l’« accord » de Donald Trump et la politique d’annexion des terres palestiniennes en violation du droit international pouvaient être contrecarrés par l’autosuffisance et en ne sollicitant pas le soutien des parties arabes ou internationales.
Sa vision reposait sur sept axes : parvenir à la réconciliation palestinienne, approuver l’OLP comme le seul représentant légitime du peuple palestinien, renforcer la résolution des Palestiniens sur leurs terres, élire un Conseil national palestinien représentant l’ensemble du peuple palestinien, faire des urnes la référence quelle que soit les différends, consolider le principe d’interdiction des querelles intestines et enfin compter sur la légitimité et le droit international, notamment la décision de l’ONU de reconnaître la Palestine comme un « État observateur non-membre », ce qui fut acquis en 2012.
En septembre 2020, Saeb Erekat rejeta les accords de normalisation, parrainés par Donald Trump, entre Israël et les Émirats arabes unis puis Bahreïn. Il estimait que le principal objectif de ces accords était d’établir de nouvelles alliances militaires dans la région en faveur d’Israël.
« La Palestine est victime des ambitions électorales du président Trump, dont l’équipe entreprendrait n’importe quelle action, qu’importe à quel point elle puisse être destructrice pour la paix et un ordre mondial reposant sur le droit, pour parvenir à sa réélection », a-t-il déclaré dans un tweet. « Tout comme l’accord entre les Émirats arabes unis et Israël, il ne s’agit pas là de la paix au Moyen-Orient. »
Il affirmait que les accords arabo-israéliens étaient le début d’un changement radical du système politique dans le monde arabe, ce qu’il considérait comme « un coup de poignard dans le dos des Palestiniens et de la cause palestinienne ».
Auteur réputé, Saeb Erekat a publié une série de livres entre 2008 et 2018 sur son expérience des négociations politiques, y compris des comptes rendus détaillés sur les correspondances, les négociations et les réunions qui ont eu lieu pendant le siège israélien d’Arafat entre 2002 et 2004 ,au milieu de la deuxième Intifada.
Il a contracté le nouveau coronavirus début octobre. Son état s’est rapidement dégradé, d’autant qu’il souffrait de fibrose pulmonaire depuis 2012 et avait reçu une transplantation pulmonaire aux États-Unis en 2017.
Saeb Erekat laisse dans le deuil son épouse Niemeh, ses filles jumelles, Salam et Dalal, et ses deux fils, Ali et Mohammad.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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