Au Sahara occidental, les autorités marocaines empêchent le mariage de deux jeunes journalistes
Ahmed Ettanji et sa famille étaient vêtus de leurs plus beaux atours et achevaient les préparatifs du mariage lorsqu’ils ont reçu une visite inattendue et indésirable.
Des véhicules de police et des membres des forces marocaines ont encerclé leur maison, dans la ville de Laâyoune au Sahara occidental, étouffant les rues voisines et assiégeant la demeure.
Ce n’était pas la célébration des traditions nomades ou l’union entre deux journalistes qu’Ahmed Ettanji, 32 ans, et son épouse Nazha al-Khalidi imaginaient.
« Il y avait des dizaines de véhicules de police et des agents en tenue civile et militaire devant notre maison. Ils nous ont assignés à résidence pendant 48 heures », raconte Ahmed Ettanji à Middle East Eye.
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Ahmed Ettanji dirige Équipe Média, un groupe de journalistes et d’activistes qui rend compte de la répression des rassemblements pour l’indépendance du Sahara occidental.
Il était vêtu d’une daraa blanche traditionnelle lorsque le raid a été lancé le 21 novembre.
Avec ses parents, ses frères et sa sœur, il était sur le point de se lancer dans une tradition pratiquée lors du premier jour des mariages sahraouis, lorsque le marié va chercher sa femme.
Mais à quelques rues de là, Nazha al-Khalidi avait ses propres problèmes. Le domicile familial de la jeune femme de 28 ans a également été assiégé par les forces de sécurité pendant deux jours.
Ahmed Ettanji et Nazha al-Khalidi affirment que les autorités marocaines ne leur ont donné aucune raison pour l’assignation à résidence de 48 heures qui leur a été imposée le jour de leur mariage.
Régulièrement étouffés
MEE a formulé plusieurs demandes de commentaires aux autorités au Sahara occidental, mais celles-ci ont été ignorées.
« Les autorités ont insisté pour gâcher les préparatifs de mon mariage », affirme Nazha al-Khalidi.
Nazha al-Khalidi et Ahmed Ettanji se sont connus en rendant compte des restrictions et de la répression contre les activistes sahraouis.
Le Maroc, qui contrôle la majeure partie du Sahara occidental depuis 1975, dont Laâyoune, cherche depuis longtemps à étouffer le mouvement indépendantiste sahraoui actif sur le territoire depuis plusieurs décennies.
Jusqu’à un cessez-le-feu en 1991, les forces marocaines ont combattu les indépendantistes du Front Polisario. Mais depuis 30 ans, le Front Polisario et les activistes sahraouis font pression pour qu’un référendum sur l’indépendance soit organisé à la place.
Ces appels sont régulièrement étouffés par les forces marocaines au Sahara occidental et les Sahraouis affirment que la répression a empiré ces dernières semaines.
Le 13 novembre, les forces marocaines ont lancé une opération visant à déloger une manifestation indépendantiste sur une route reliant Guerguerat – à l’extrême sud du Sahara occidental – et la Mauritanie, ce qui a incité le Front Polisario à mettre un terme à la trêve de 1991.
Un mois plus tard, le président américain Donald Trump a publié une déclaration qui a fait l’effet d’une bombe, selon laquelle Washington reconnaît la souveraineté marocaine au Sahara occidental dans le cadre d’un accord scellant la normalisation des relations entre le Maroc et Israël.
Tout au long de cette période, les autorités marocaines ont réprimé les journalistes et les activistes dans le pays, suscitant l’indignation de groupes de défense des droits de l’homme.
La situation inquiète toujours Ahmed Ettanji, qui a vu des collègues au sein d’Équipe Média être emprisonnés, l’un d’entre eux étant même condamné à la détention à perpétuité.
« Abdallahi Lakhfawni, qui est un membre de notre équipe, a été condamné à la prison à vie, simplement pour avoir porté un appareil photo et rendu compte des violations des droits de l’homme par le régime marocain », indique Ahmed Ettanji.
Cette affaire remontant à 2010 qui a été dénoncée par Reporters sans frontières reste un terrifiant précédent pour les autres membres d’Équipe Média.
Dans l’ensemble, ces quelques semaines ont été tumultueuses et dangereuses pour les activistes sahraouis. Nazha al-Khalidi avait prédit que le mariage de deux éminents journalistes attirerait une attention indésirable.
« En réalité, nous nous attendions à cela. J’ai réussi à aller dans une autre maison, mais ils ont aussi fait une descente chez les gens là-bas », raconte-t-elle.
« J’ai vu qu’ils allaient trop loin et je leur ai demandé s’ils avaient une ordonnance judiciaire pour arrêter quelqu’un ou même m’arrêter s’ils le voulaient. Je leur ai dit qu’ils faisaient peur aux enfants et qu’ils effrayaient tout le monde alors que nous étions censés profiter de cette journée. Ils m’ont simplement poussée sans me donner aucune [autre] réponse. »
Ahmed Ettanji et Nazha al-Khalidi n’ont pas été les seules cibles de l’opération de répression contre le mariage.
Une surveillance constante
Malainin Cheikh, un chanteur de mariage connu pour avoir participé aux manifestations de 2010 au camp de protestation de Gdeim Izik, a reçu un ordre inhabituel la veille de l’événement.
« J’étais chez mes parents quand des véhicules de police sont arrivés pour me demander où j’étais. Ils ont menacé de me tuer si je participais à la cérémonie de mariage d’Ahmed et Nazha », indique-t-il à MEE.
Dans le même temps, d’autres journalistes et activistes qui se trouvaient sur les radars du Maroc ont été pris pour cible.
Sultana Khaya, une militante sahraouie qui a perdu un œil alors qu’elle réclamait l’indépendance lors d’une manifestation étudiante à Marrakech en 2007, a été interceptée au moment où elle rentrait sur le territoire en provenance des îles Canaries.
« J’ai été arrêtée à un poste de contrôle à l’entrée de Boujdour, où j’ai été déshabillée et insultée parce qu’ils ont trouvé un masque avec le drapeau de l’indépendance sahraouie dans mon sac à main », raconte-t-elle.
« Ils sont venus chez moi, ils ont défoncé ma porte et ils ont frappé ma mère à la tête, la laissant allongée sur le sol avec la tête en sang. »
La mère de Sultana Khaya, Ambairika Anwaijam, qui a 84 ans et souffre de diabète, a été transportée à l’hôpital en ambulance deux heures plus tard.
« Quand ils se sont occupés de ma mère, ils ont juste enveloppé sa tête dans un bandage. Elle n’a pas encore passé de scanner » pour que l’état de sa blessure à la tête soit évalué, affirme Sultana Khaya.
La surveillance et les arrestations sont devenues des réalités pour les journalistes et les activistes sahraouis, notamment en prévision de l’accord conclu par le Maroc avec Israël et les États-Unis.
« Nous sommes suivis quotidiennement par des agents de l’État en civil », affirme Ahmed Ettanji.
Amnesty International a découvert que le Maroc utilisait des logiciels malveillants israéliens pour espionner les journalistes et les activistes des droits de l’homme. Ahmed Ettanji pense que ces méthodes sont également employées au Sahara occidental.
« Le régime marocain déploie un système puissant et massif pour nous espionner. C’est pourquoi nous essayons de nous cacher le plus possible lorsque nous rendons compte de la situation », explique-t-il.
« Toute cette hostilité et toutes ces interventions qui nous visent spécifiquement sont le résultat de notre travail de journalistes qui rendent compte des violations des droits de l’homme au Sahara occidental. »
L’intrusion dans les mariages semble être la dernière tactique en date. Ahmed Ettanji et Nazha al-Khalidi ont finalement pu se marier, mais pas le jour qu’ils attendaient.
« Notre projet est de continuer de travailler pour rompre le blocus médiatique et nous serons encore plus forts ensemble », confie Ahmed Ettanji.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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