Le gazoduc Maghreb-Europe, première victime de la rupture entre Alger et Rabat
Les répercussions de la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc, annoncée mardi 24 août par Alger, seront d’abord économiques.
Dans ce domaine, les échanges commerciaux, relativement rachitiques – les bilans officiels font état pour 2019 d’un solde commercial très favorable à l’Algérie, à hauteur de 350 millions de dollars – se sont de surcroît progressivement rétrécis au cours des dernières années.
En effet, le montant de ces échanges commerciaux, sévèrement impacté par la crise politique larvée entre les deux pays, a été divisé par trois depuis 2014, date à laquelle les exportations algériennes avaient dépassé 1,3 milliard de dollars.
Ces échanges restent dominés par les exportations gazières algériennes, qui représentent plus de 80 % des transactions.
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Les statistiques officielles ne prennent toutefois pas en compte un commerce informel frontalier resté longtemps très florissant, même si son montant est difficile à évaluer.
Alimenté pendant de nombreuses années par la contrebande de carburants, de très nombreux produits alimentaires ainsi que des médicaments largement subventionnés par l’Algérie, ce commerce informel semble également avoir subi les conséquences de la fermeture officielle de la frontière terrestre depuis 1994.
Il est pourtant loin d’être complètement tari et semble avoir, au cours des dernières années, reçu le renfort d’un vaste trafic de stupéfiants en provenance du Maroc, un sujet régulièrement évoqué par les médias algériens.
GME versus Medgaz
Les activités de contrebande étant peu sensibles au baromètre des relations diplomatiques officielles, c’est logiquement la possibilité de fermeture du gazoduc Maghreb-Europe qui fait l’objet de toutes les spéculations.
Le gazoduc Pedro Duran Farell, appelé aussi gazoduc Maghreb-Europe (GME), relie depuis 1996 les gisements algériens, depuis Hassi R’mel (Laghouat), à Cordoue, en Espagne, en traversant le Maroc et le détroit de Gibraltar.
Long de 1 300 kilomètres, il peut transporter jusqu’à treize milliards de mètres cubes de gaz.
L’exploitation de ce gazoduc fait l’objet d’un contrat, qui doit expirer en octobre, selon lequel le Maroc reçoit des revenus financiers sous forme de droits de transit, en plus de quantités annuelles de gaz naturel.
Selon les informations recueillies par Middle East Eye, le Maroc prélèverait 7 % des quantités de gaz acheminées.
Un deuxième gazoduc, Medgaz, a été mis en service en 2011. Il transporte le gaz, sur 210 km, de la station de compression de Béni Saf (Aïn Temouchent, ouest algérien) jusqu’au terminal d’Almería (sud espagnol). Sa capacité annuelle de transport est de huit milliards de m3 et devrait passer à dix milliards en 2021.
Mais ces vastes capacités de transport de gaz sont devenues progressivement excédentaires au cours des dernières années.
Des sources du secteur des hydrocarbures indiquent à MEE que « le gaz algérien est désormais largement concurrencé par le GNL [gaz naturel liquéfié] qatari ainsi que, plus récemment, par les exportations gazières américaines boostées par l’exploitation du gaz de schiste ».
Les importations espagnoles ont ainsi régulièrement diminué et à l’été 2018, précise un expert algérien à MEE, Sonatrach a renouvelé le contrat d’approvisionnement de gaz à l’Espagne « pour une durée de dix ans, pour des quantités s’élevant seulement à dix milliards de m3 par an ».
Le gazoduc Pedro Duran Farell aurait fait les frais de ce marché très peu porteur.
Nos sources indiquent que selon les dernières données disponibles, « les exportations de gaz transitant par le GME n’ont pas dépassé trois milliards de m3 au cours de l’année 2020. Simultanément, les revenus tirés par le Maroc de l’exploitation du GME sont tombés à 51 millions de dollars l’année dernière ».
Poker menteur
C’est dans ce contexte que les deux pays ont commencé une sorte de poker menteur alimenté par leurs médias respectifs. Dès le début de l’année 2020, des voix marocaines plus ou moins autorisées ont évoqué la possible fermeture du GME.
Après plusieurs mois de tergiversations, le ministre marocain de l’Énergie Aziz Rabbah a finalement démenti énergiquement ces informations.
Le 20 septembre 2020, il affirmait dans une déclaration à la presse que les « allégations » selon lesquelles le gazoduc transportant le gaz algérien via le Maroc vers l’Europe devait être fermé au terme de son contrat en 2021 étaient « sans fondement ».
« C’est faux, l’Espagne, le Maroc et l’Algérie ont besoin de développer la coopération dans ce secteur », avait indiqué le ministre, n’excluant pas que l’accord sur le GME puisse être reconduit.
Jusqu’à une date toute récente, les choses semblaient même en bonne voie pour une prolongation de l’exploitation du GME.
Le Maroc s’était de nouveau exprimé en faveur du maintien des activités du gazoduc par une de ses voix les plus autorisées.
« La volonté du Maroc de maintenir cette voie d’exportation a été clairement affirmée de manière constante, à tous les niveaux, depuis plus de trois ans », avait ainsi déclaré, le jeudi 19 août à l’Agence marocaine de presse (MAP), la directrice générale de l’Office national des hydrocarbures et des mines, Amina Benkhadra.
Coup de grâce
C’était sans compter la détérioration des relations politiques entre les deux voisins et la volonté des autorités algériennes de prendre leurs distances à l’égard du partenaire marocain dans ce domaine qu’elles considèrent comme vital.
Dès le printemps 2021, la compagnie pétrolière algérienne Sonatrach annonçait qu’elle comptait augmenter les capacités du gazoduc Medgaz, concurrent du GME, pour transporter du gaz vers l’Espagne, à plus de 10 milliards de m3 par an, grâce à un investissement de 280 millions de dollars.
Le coup de grâce porté au GME après 25 ans de bons et loyaux services est intervenu jeudi 26 août à l’issue d’une rencontre entre le ministre algérien de l’Énergie Mohamed Arkab et l’ambassadeur de Madrid à Alger, Fernando Morán.
Le ministère algérien a annoncé « le plein engagement de son pays à assurer l’ensemble des approvisionnements en gaz de l’Espagne par un gazoduc direct reliant les deux pays ». En d’autres termes : l’Algérie se passera du gazoduc Maghreb-Europe.
Pour faire bonne mesure et ne laisser aucun doute sur l’avenir du GME, Mohamed Arkab a tenu à rappeler les capacités dont dispose l’Algérie pour répondre à la demande en gaz « de plus en plus croissante des marchés européens et plus particulièrement du marché espagnol grâce à la flexibilité en matière de capacités de liquéfaction dont le pays dispose ».
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