Vous serez choqués par l’ignorance américaine du Moyen-Orient
L'escalade rapide du conflit en Irak et en Syrie, couplée à la récente offensive israélienne sur Gaza, a ramené le Moyen-Orient au premier plan des médias et de la conscience collective du pays. Ce qui va se passer par la suite dépendra largement de la direction dans laquelle les vents politiques souffleront sur l’opinion publique.
Compte tenu des intérêts hors-normes des Etats-Unis au Moyen-Orient, il serait logique de s’attendre à ce que l’Américain moyen ait une bonne compréhension des titres de la presse nationale. Les Etats-Unis y ont investi plus de ressources, vendu plus d’armes, envoyé plus de soldats, sacrifié plus de vies et mené plus de guerres que dans toute autre région du monde.
Le « mode de vie » à l’américaine est rendu abordable grâce à l’accès illimité au pétrole bon marché du Moyen-Orient, et nous y allons à grands frais (en termes humain et financier) pour que cet accès soit garanti. Les 44 bases militaires américaines dans la région, dont certaines aussi grandes que de petites villes, ne sont pas là parce que le Koweït, l'Irak, l'Iran et l'Arabie saoudite sont des destinations populaires pour les touristes américains.
L’escalade rapide des tensions dans la région exige une réponse des décideurs politiques américains. Etant donné que les Etats-Unis demeurent une proto-ploutocratie, l'élaboration des politiques dépend généralement de la « volonté politique » et de l'opinion publique, ou plutôt, des électeurs éclairés. C’est là que les difficultés commencent.
Selon l'enquête du National Geographic-Roper sur l'alphabétisation géographique, 63% des Américains sont incapables de localiser l'Irak sur une carte. Ceci est plutôt surprenant étant donné, comme vous le savez, que nous avons mené une guerre de sept ans sur place. Plus des deux tiers ne savent pas en quelle année Israël a déclaré son indépendance, et une proportion égale croit à tort que l'Iran et le Pakistan sont des pays arabes.
Bien que le Moyen-Orient soit au cœur de nos vies, les Américains méconnaissent totalement cette région, sa culture, ses peuples et ses pays.
Ce qui est alarmant est que ce niveau effarant d’ignorance collective atteint également les décideurs politiques de la nation et les responsables du maintien de l’ordre. Un éditorial du New York Times posait la question : « Pouvez-vous différencier un sunnite d'un chiite ? ». Son auteur, Jeff Stein, écrit : « La plupart des responsables américains que j’ai interviewés n’en avaient pas la moindre idée. Non seulement des responsables des services de renseignement et de la police, mais aussi des membres du Congrès tenant d’importants postes de supervision de nos agences d'espionnage. Comment peuvent-ils faire leur travail sans connaître les bases ? ».
Dans une série d'entretiens avec des dirigeants politiques américains de haut rang, Stein posait une question simple et directe : « Savez-vous quelle est la différence entre un sunnite et un chiite ? » Les réponses furent tragiquement comiques. « L’un se trouve à un endroit, l’autre à un autre endroit », répondit le parlementaire américain Terry Everett (R-AL), membre du comité des services de renseignement de la Chambre, avant de reconnaître : « Non, pour être honnête avec vous, je n’en sais rien ». Et lorsque Stein demanda au député Silvestre Reyes (D-TX), président du comité des services de renseignement du Congrès, si Al-Qaïda était sunnite ou chiite, ce dernier répondit : « En majorité, probablement chiites ». Faux !
Stein demanda également à Willie Hulon, chef de la section sécurité nationale au FBI, s’il était important pour un homme dans sa position de connaître la différence entre sunnites et chiites. « Oui, bien sûr, c’est bien de connaître la différence », répondit-il. « Il est important de savoir qui sont vos cibles ».
Stein lui posa alors la question : « L'Iran est sunnite ou chiite ? ». Hulon répondit : « L'Iran et le Hezbollah ». « Mais que sont-ils ? », insiste Stein. Hulon tente le coup, répondant : « Sunnite ». Faux !
Pour information, la question fondamentale qui sépare sunnites et chiites est relative à la succession de leur prophète Mahomet. Les sunnites pensent que les successeurs du prophète peuvent être élus, tandis que les chiites pensent qu’ils devraient avoir un lien de sang avec le prophète.
Etant donné qu’un effondrement total de l'Irak déboucherait vraisemblablement sur une guerre régionale entre sunnites et chiites ou entre Arabes et Perses, la méconnaissance américaine du Moyen-Orient devrait être une source profonde d’inquiétude pour le monde entier. L'ignorance mène à des hypothèses erronées, et donc à de désastreuses conséquences.
James Zogby écrit : « Il y a bien sûr des conséquences à ce manque de connaissance, qui sont apparues dans toute leur acuité dans la période précédant la guerre en Irak. C’était grâce à cette méconnaissance que les dirigeants politiques des Etats-Unis et leur caisse de résonance médiatique ont été en mesure de vendre au public l’illusion d’une guerre facile, la croyance que les Américains seraient accueillis en libérateurs, et la notion selon laquelle une fois le dictateur renversé, la démocratie fleurirait. »
Les néoconservateurs de Washington, tels que John McCain (R-AZ), Peter King (R-NY), Lindsey Graham (R-SC), le lobby pro-israélien, les sommités néo-athées et le bras médiatique du parti républicain, Fox News, continuent d’induire en erreur et de contribuer à l'incompréhension américaine du Moyen-Orient en manipulant les médias. Ceci se fait parfois en aidant à introduire des contre-vérités et en présentant des versions inexactes des faits qui dépeignent un « choc des civilisations » fictif.
Cet illettrisme collectif a conduit les Américains à croire, à tort, qu'il existe une solution militaire à la crise en Irak, ainsi qu’à coller l'étiquette « terroriste » sans discernement, sans comprendre les motifs et griefs des différents acteurs, et en ignorant les liens de cause à effet dans la chaîne du terrorisme.
La raison évidente pour laquelle les Américains sont si ignares sur le Moyen-Orient est que l’on enseigne très peu le sujet dans les écoles, alors même que l'argent du contribuable américain va davantage au Moyen-Orient que partout ailleurs dans le monde. L’Association des études sur le Moyen-Orient, la principale organisation d'universitaires américains spécialisés dans les études régionales, a averti que les manuels scolaires du pays soit ignoraient totalement le Moyen-Orient soit, lorsque qu’ils abordaient le sujet, tendaient à véhiculer « une image hyper simplifiée, naïve, et même déformée » de la région et de ses peuples.
Une étude commandée par le Conseil de Chicago pour les relations étrangères a constaté que la plupart des enseignants « savaient peu ou rien » sur la région et n’avaient pas le matériel élémentaire pour répondre aux questions posées par leurs étudiants.
L'échec du système éducatif hétéroclite des Etats-Unis vient s’ajouter à une classe politique qui fourvoient et à des médias qui non seulement confondent opinions et faits, mais qui n’ont pas non plus le courage de remettre en cause les véritables motivations.
Notre ignorance collective du Moyen-Orient permet ainsi aux politiciens et experts de s’en tirer en s’exprimant en termes orwelliens. Le public américain entend : « Nous devons protéger les intérêts nationaux », puis à son tour intériorise cela en : « Oh, cela ressemble à une cause patriotique ». Mais « l'intérêt national » n’est jamais nommé. Le fait est que les Etats-Unis ont seulement deux intérêts au Moyen-Orient : le pétrole et les armes. Nous sommes accros à leur pétrole, et nous exportons pour plus de 55 milliards de dollars d'armes dans la région.
Le refus de l'Amérique de comprendre une région du monde dans laquelle elle est pourtant si impliquée constitue un « retour en arrière dangereux menaçant d'élargir le fossé des connaissances qui a mis en péril les Etats-Unis dans les mondes arabe et musulman ». Tant que cet illettrisme géographique et culturel demeure, les Etats-Unis resteront engagés dans une guerre perpétuelle avec le Moyen-Orient, menés au combat par les chants ininterrompus de ceux qui veulent nous tromper dans le but de servir leurs propres motivations malhonnêtes.
- CJ Werleman est chroniqueur pour Salon et Alternet, et auteur des livres Crucifying America et God Hates You. Hate Him Back. Vous pouvez le suivre sur Twitter : cjwerleman.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Légende photo : le président américain Barack Obama saluant les employés de l’entreprise Costco dans le Maryland, le 29 janvier 2014 (AFP).
Traduction de l’anglais (original).
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