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Il est temps de partir : le problème de Mahmoud Abbas et de son autorité

Le problème de Mahmoud Abbas dépasse sa propre personne, il réside dans une culture et une classe politiques qui bénéficient d’un système de corruption politique depuis plus de vingt ans

C'était un moment que beaucoup attendaient. Le 2 janvier 2015, le représentant palestinien aux Nations unies, Riyad Mansour, a officiellement demandé l'adhésion de la Palestine à la Cour pénale internationale (CPI).

« Nous voulons que justice soit rendue pour toutes les victimes de l’occupant israélien », a-t-il déclaré.

Aucune explication sur la raison pour laquelle l'adhésion de la Palestine au statut de Rome (qui régit le fonctionnement de la CPI) a été retardée, empêchant que justice soit faite pour des milliers de victimes dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem, dès lors que cette adhésion aurait pu être accordée beaucoup plus tôt.

En effet, en 2012, le statut de la Palestine à l'ONU a été rehaussé, passant du statut d’entité observatrice à celui d’« Etat observateur ». Cette avancée était toutefois purement symbolique, s'agissant d'une tentative de donner un nouveau souffle à la solution à deux Etats, morte depuis longtemps. Elle a eu cependant un avantage concret : l'adhésion tant convoitée à la CPI. Israël pourrait enfin être tenu pour responsable de ses crimes de guerre, et un zeste de justice serait enfin possible.

Un changement de stratégie ?

Pourtant, pendant deux ans, l'Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas a retardé l'échéance. Non seulement Mahmoud Abbas a hésité et continué de jouer la mascarade battue et rebattue du processus de paix, mais il a semblé également vouloir s'assurer que l'unité palestinienne, bien qu’achevée sur le plan politique, reste inutile et inefficace.

Mais ne dit-on pas « mieux vaut tard que jamais » ?

L'agence France Presse a décrit la manœuvre de Mahmoud Abbas comme un « changement de stratégie [...] vis-à-vis du processus de négociation mené par les Etats-Unis ». En effet, les Etats-Unis ont semblé irrités par cette démarche, qu'ils considèrent « contre-productive ». Il faut un peu d'imagination pour voir ce que pourrait être une alternative « productive », étant donné que le parti pris des Etats-Unis et leur soutien inconditionnel d'Israël ont encouragé le gouvernement de droite de Benjamin Netanyahou à perpétrer les crimes de guerre les plus hideux.

Pourtant, il n’est pas question ici du massacre de près de 2 200 Palestiniens, pour la plupart des civils, au cours des 51 jours de guerre israélienne contre Gaza l'été dernier. Ni du massacre de plus de 400 enfants pendant cette même période, ou du siège de la bande de Gaza, ou de l'occupation et des colonies illégales en Cisjordanie et à Jérusalem.

Mahmoud Abbas a certainement eu de nombreuses occasions, par le passé, de mettre en garde Israël, d’unifier son peuple, de tirer profit de sa position avec l'Egypte pour au moins alléger le siège de Gaza, d’élaborer une stratégie focalisée sur la libération nationale (et non pas sur la construction d'un Etat inexistant), de mettre fin au vol des ressources palestiniennes par l'Autorité palestinienne elle-même, d’établir un système basé sur la transparence, et ainsi de suite. Au lieu de cela, il a gardé sa foi en Washington et joué le jeu de l'attentisme prôné par le secrétaire d'Etat John Kerry, qui est centré sur un seul principe : supplier Netanyahou de changer sa façon d'agir et d’interrompre la construction des colonies – ce qui ne s'est jamais produit.

Selon une analyse classique, la manœuvre de Mahmoud Abbas à la CPI était la conséquence  directe de l'échec – attendu – d'une proposition de résolution soumise au Conseil de sécurité de l'ONU quelques jours plus tôt. Les Etats-Unis, principal tuteur politique d'Israël, allaient sans surprise opposer leur veto à cette résolution qui aurait imposé à Israël une date limite pour mettre fin à son occupation des territoires palestiniens. Les Etats-Unis ont utilisé leur droit de veto et seuls huit Etats membres ont voté pour. Un jour plus tard, Abbas a signé, entre autres, la demande d'adhésion à la CPI ; le lendemain, la demande était officiellement soumise.

Mais il ne s'agissait pas d'un « changement de stratégie ».

L'exercice d'équilibriste de Mahmoud Abbas

La stratégie politique actuelle de l'Autorité palestinienne reflète les qualités uniques du personnage de Mahmoud Abbas et témoigne de son aptitude impressionnante à trouver le juste équilibre politique, voué in fine à assurer sa propre survie à la tête du pouvoir.

Comme la survie politique de Mahmoud Abbas dépend en grande partie du consentement d'Israël et du soutien des Etats-Unis, il est difficile d'imaginer un scénario dans lequel Netanyahou et ses généraux comparaîtraient devant la CPI pour crimes de guerre.

Il est inconcevable que Mahmoud Abbas ait décidé finalement de s'affranchir du rôle limité de membre actif du club des « modérés » arabes géré par les Etats-Unis.

Cela voudrait dire que Mahmoud Abbas serait prêt à prendre tous les risques possibles pour le bien de son peuple, ce qui constituerait un revirement majeur par rapport à tout ce que ce dirigeant arabe « pragmatique », « modéré » et corrompu comme il le faut a toujours représenté.

Mais alors à quel jeu joue Mahmoud Abbas ?

Depuis la fin des années 1970, Mahmoud Abbas est en quête d'une paix insaisissable avec Israël, ce qui a finalement entraîné la signature des accords d'Oslo en septembre 1993. C'est lui-même qui a signé les accords au nom de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP).

Outre leurs effets catastrophiques pour les Palestiniens et le fait qu'aucun de leurs délais n'ait jamais été respecté, y compris celui sur le statut final, censé se concrétiser en mai 1999, ces accords ont donné naissance à une culture étrange de « révolutionnaires devenus millionnaires » agissant dans les limites des territoires palestiniens sous occupation militaire.

Année après année, l'Autorité palestinienne corrompue a conservé ses privilèges et Israël a renforcé son occupation. Ce troc monumental semblait satisfaire les intérêts d'Israël, de certains Palestiniens triés sur le volet et, bien sûr, des Etats-Unis, qui finançaient tout ce stratagème avec leurs alliés.

Dix ans de tragédie

L'ancien dirigeant Yasser Arafat n'était clairement pas fait pour le travail qu'on attendait de lui. Flexible par moments, il gardait toujours des limites politiques qu'il refusait de franchir. En 2003, Abbas le « modéré » a été imposé à Arafat par Israël et les Etats-Unis au poste de Premier ministre, un poste qui a été inventé dans le seul but de contenir la mainmise d'Arafat. Après une brève lutte pour le pouvoir, Abbas a démissionné. Peu de temps après, Arafat est mort d'un probable empoisonnement et Abbas est revenu au pouvoir, cette fois incontesté.

Le mandat de Mahmoud Abbas, qui a commencé le 15 janvier 2004, aurait dû prendre fin au début de l'année 2009. Ce dernier a toutefois décidé de prolonger son mandat d'une année supplémentaire, puis d'une autre. Il dirige, depuis, une nation fragmentée et occupée, avec l'aide d'Israël et sans la moindre légitimité, mise à part celle qui lui est conférée par lui-même et par ses partisans.

Cela fait plus d’une décennie que Mahmoud Abbas est à la tête du peuple palestinien. Autant d'années de tragédies, d'échecs politiques, de crise économique, de division et de corruption sans précédent.

Certes, le dirigeant de 80 ans a survécu, en partie parce qu'Israël le considère comme le Palestinien le plus malléable (même après avoir lui-même qualifié la guerre à Gaza de génocide, il ne mettra pas fin à la coordination avec Israël en matière de sécurité). Les Américains ont également souhaité le conserver à son poste, à défaut d'un dirigeant alternatif susceptible de donner la priorité aux intérêts américano-israéliens plutôt qu’à ceux de son propre peuple.

Mais il a également survécu parce qu'il a utilisé les milliards de dollars injectés par les donateurs internationaux pour mettre en place un système de protection sociale et donner naissance à une classe de nouveaux riches palestiniens, dont la fortune a été construite grâce à l'occupation, et non pas malgré elle. Alors que les nouveaux riches savourent une fortune imméritée, le sort de millions de Palestiniens dépend des chèques de la charité internationale, plutôt que d’une économie productive.

Israël, qui n'a pas le fardeau de s'occuper du bien-être des Palestiniens sous occupation, comme l’exigent la convention de Genève et d'autres protocoles internationaux, s'est retrouvé avec des fonds abondants lui permettant d’étendre ses colonies illégales.

D'une certaine manière, tout a parfaitement fonctionné pour les parties concernées, sauf pour le peuple palestinien.

La quête de « victoire »

Abbas n'a jamais réellement été le dirigeant de son peuple car la priorité nationale des Palestiniens n’a pas constitué la motivation principale de son action. Au mieux, il en a été le gestionnaire politique, dont la stratégie consistait à rechercher des équilibres politiques et à pourvoir aux intérêts des plus puissants et des plus influents.

Le fardeau de Mahmoud Abbas est devenu définitivement trop lourd à porter à l’expiration de la date limite du 29 avril 2014 fixée par John Kerry pour parvenir à un accord sur le statut final, et suite à la nouvelle guerre massive menée par Israël contre la bande de Gaza, qui a engendré une formidable colère en Cisjordanie, proche du soulèvement.

Pour faire diversion et réfuter la victoire revendiquée par la résistance à Gaza, Abbas s'est mis en quête de sa propre « victoire », dont il se targuerait alors à son retour à Ramallah, accueilli par la fanfare et les célébrations massives de ses partisans. A l’occasion de chacune de ces victoires symboliques, les Palestiniens se sont vu gratifiés de nouveaux chants à la gloire de « l’héroïque » Mahmoud Abbas, tandis que ses porte-paroles parcouraient le monde dans une tentative désespérée de justifier la pertinence de l'Autorité palestinienne et de son président.

Après moult retards et marchandages, Abbas a été contraint par la force des choses à s'en remettre à la CPI, non pas pour traiter Israël en criminel mais pour gagner en influence politique et rappeler à Israël, aux Etats-Unis et aux autres qu’il faudrait toujours compter avec lui.

Cette manœuvre à la CPI n'a pas grand-chose à voir avec les crimes de guerre perpétrés à Gaza, elle est plutôt liée à la perte progressive d'importance de Mahmoud Abbas auprès de ses alliés, mais aussi auprès de son propre peuple.

Toutefois, le problème de Mahmoud Abbas dépasse sa propre personne. Le mal réside au sein même d'une culture et d'une classe politiques qui soutiennent et bénéficient d’un système de corruption politique depuis plus de vingt ans.

Même lorsque le « président Abbas » sera écarté, que ce soit pour son âge avancé ou pour tout autre raison, le malaise persistera, et ce jusqu'à ce que les Palestiniens contestent la culture même que Mahmoud Abbas a minutieusement construite avec l'argent des Etats-Unis et le consentement d’Israël.

Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur pour divers médias internationaux, conseiller dans le domaine des médias, et fondateur de PalestineChronicle.com. Il complète actuellement ses études de doctorat à l'université d'Exeter. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages. Son dernier livre, My Father Was a Freedom Fighter: Gaza’s Untold Story (Pluto Press, London), est disponible en version française (Résistant en Palestine. Une histoire vraie de Gaza, Demi-Lune éditions).

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Légende photo : Mahmoud Abbas s'exprime lors de la cérémonie d'ouverture de l'exposition « Jerusalem in Memory », à Ramallah (Cisjordanie), le 4 janvier.

Traduction de l'anglais (original).

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