Analystes : ni le Hezbollah, ni Israël ne semblent vouloir la guerre
La journée fut témoin d’échanges de frappes mortelles entre Israël et le Hezbollah à travers une frontière qui, jusqu'à récemment, était demeurée calme des années durant.
Pourtant, malgré l’intensification de la rhétorique, les réponses militaires mesurées des deux côtés suggèrent que les tensions ont probablement atteint leur sommet – en grande partie, estiment les analystes, parce qu’aucun des belligérants ne semble vouloir répéter l’épisode de la guerre de 2006.
Depuis la guerre de 1973, la région où les frontières d’Israël, du Liban et de la Syrie se rejoignent n’a connu que très peu d’incidents. Or récemment, la guerre civile syrienne, dans laquelle le Hezbollah se bat aux côtés des forces du président syrien Bachar al-Assad, a débordé en une série d’attaques dans les régions frontalières.
Les affrontements qui ont eu lieu mercredi ont débuté par un tir de roquette du Hezbollah sur un convoi militaire israélien dans la région des fermes de Chebaa, occupée par Israël, tuant deux soldats israéliens. Une heure plus tard, des tirs de mortier à partir du Liban ont frappé une position militaire israélienne dans les contreforts du mont Hermon.
L'attaque a été considérée comme une riposte à une précédente attaque, largement attribuée à Israël, qui a eu lieu le 18 janvier. A cette occasion, un général iranien des Gardien de la révolution et six combattants du Hezbollah, dont Jihad Mughniyeh, le fils du légendaire Imad Mughniyeh, avaient péri.
La réplique aérienne et terrestre d’Israël visait ce que les responsables militaires israéliens ont présenté comme des positions opérationnelles du Hezbollah au Liban. Au cours de ces attaques, un casque bleu espagnol de la Force des Nations Unies au Liban (FINUL), composée de 10 000 membres, a été tué près de la zone des fermes de Chebaa, selon l’ambassadeur d'Espagne à l'ONU Roman Oyarzum Marchesi.
A la suite des attaques, politiciens et dirigeants des deux bords ont envahi les ondes menaçant d’entreprendre d'autres actions.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, au milieu d'une campagne électorale, a menacé les responsables de l'attaque qui a couté la vie à deux soldats israéliens qu’ils « paieraient le prix fort ».
A des milliers de kilomètres de là, lors d’une réunion avec son homologue chinois, le ministre israélien des Affaires étrangères Avigdor Lieberman déclarait qu'Israël devrait répondre à l'attaque « d'une manière très dure et disproportionnée, exactement comme la Chine ou les Etats-Unis réagiraient face à de semblables incidents ».
Tzipi Livni, co-présidente de la coalition du Camp sioniste, qui devance actuellement le Likoud de Netanyahou dans les sondages, a déclaré qu'Israël réagirait « sévèrement ».
« Le Hezbollah fait partie de l'axe islamiste extrémiste du Moyen-Orient et doit être traité par la force. [L’armée israélienne] et ses soldats savent précisément comment s’y prendre et de manière responsable », a-t-elle ajouté.
Réponse palestinienne
Pendant ce temps, dans la bande de Gaza, le Hamas et le Jihad islamique ont salué l'attaque menée par le Hezbollah, affirmant que le groupe libanais avait le droit d'exercer des représailles contre Israël.
« Les soldats de l'occupation paient dans le nord le même prix qu'ils ont payé aux frontières de la bande de Gaza en raison de la stupidité et de l'arrogance de Netanyahou », a déclaré Sami Abu-Zuhri, un porte-parole du Hamas.
Les brigades al-Quds, l’aile militante du Jihad islamique, ont décrit les actions menées par le Hezbollah comme « héroïques ».
« Nous nous félicitons de l'attaque héroïque de Chebaa, et espérons aller de victoire en victoire », a indiqué le groupe dans un bref communiqué.
Ahmed al-Mudallal, un haut responsable du Jihad islamique, a déclaré que cette attaque « pouvait servir de base à une nouvelle étape dans la lutte contre l'occupation [israélienne] et [annoncer] les prémices d'une nouvelle victoire ».
« Aujourd'hui, il existe une résistance stratégique sur laquelle les Arabes et les musulmans peuvent s’appuyer, et qui ne connaît ni humiliation, ni déshonneur », a-t-il ajouté.
Le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP), d’idéologie marxiste-léniniste, a également salué « l'opération héroïque que le Hezbollah a menée contre les patrouilles de l'armée de l'ennemi israélien au sud Liban », pouvait-on lire dans un communiqué. Le groupe a également appelé à la formation d’un « front uni » des forces palestiniennes et arabes dans la région pour lutter contre Israël.
Peu enclins à déclencher un conflit majeur
Malgré l’intensification de la rhétorique, les analystes estiment que le Hezbollah et Israël sont peu enclins à se précipiter dans un nouveau conflit.
« Nous avons vécu cette situation à Gaza l'été dernier et je ne pense pas que l'armée israélienne veuille affronter le Hezbollah », a déclaré Yossi Meckelberg, chercheur associé à la Chatham House.
« Au Liban, les retombées de la guerre de 2006 font pression sur le Hezbollah, le retenant de s’engager dans un nouvel épisode de guerre. Israël se souvient de 2006 et de ce qui s’est passé à Gaza cet été. [Les Israéliens] ne souhaitent pas particulièrement retourner se refugier dans les abris pour deux semaines ou Dieu sait combien de temps, et l'armée israélienne ne veut pas être prise dans ce bourbier ».
Toutefois, il avertit que les tensions restent élevées. « Le fait qu’aucune des parties ne souhaite l’escalade ne signifie pas que celle-ci ne se produira pas », a-t-il indiqué à Middle East Eye.
Hilal Khashan, professeur à l'université américaine de Beyrouth, a déclaré au Washington Post que le Hezbollah est « à bout de souffle » en raison de son implication en Syrie.
« Même s’il n’était pas engagé en Syrie, le Hezbollah ne chercherait pas forcément une escalade majeure avec Israël », a déclaré Khashan.
« Le bombardement israélien dans le sud n’était pas particulièrement intense. Donc, je ne pense pas que cela puisse conduire à un embrasement majeur », a-t-il ajouté.
Timing douteux
Coïncidant avec une campagne électorale israélienne animée, le timing de l’action a soulevé la question de savoir si la politique politicienne accrue de ces derniers temps pourrait amener les « faucons » de la scène politique israélienne à pousser à une escalade.
« Cette partie de l’échiquier politique tient à montrer de quoi elle est capable et j’ai bien peur qu'elle ne soit davantage aventureuse dans ce genre de situation, ce qui augmenterait le risque d'escalade », a déclaré Meckelberg. « Le Likoud n’est pas en bonne position dans les sondages d'opinion. Et Lieberman perd de la hauteur à cause de son implication dans de nombreuses autres affaires – il y a là un réel danger ».
Dimi Reider, chercheur associé au Conseil européen des relations étrangères, a indiqué à MEE qu'il était peu probable de voir Netanyahou tenter de tourner les assassinats à son compte. « Si Netanyahou a de la chance, les gens auront oublié ce sujet les élections venues », a-t-il dit.
Reider suggère que la croyance commune selon laquelle les conflits se traduisent généralement en un coup de pouce pour la droite ou les candidats sortants est infondée, et Netanyahou en est conscient.
« L’opération Plomb durci n'a pas aidé le parti Kadima à battre Netanyahou en 2009 », a-t-il dit en se référant à l'opération militaire israélienne à Gaza de 2008-2009, lancée par le leader de Kadima et futur Premier ministre Ehud Olmert.
« De même, l’opération Pilier de défense n'a pas aidé Netanyahou à obtenir le nombre de sièges espérés aux élections de 2013. Ensuite, malgré une envolée initiale de sa popularité, la dernière opération à Gaza lui a porté préjudice sur le plan politique. »
Reider a également rejeté la notion selon laquelle Netanyahou cherchait à provoquer le gouvernement syrien par ses déclarations.
« Cela semblerait totalement contraire à toute sa stratégie à l’égard de la Syrie », explique-t-il. « Israël a été jusqu'à présent le seul voisin de la Syrie à ne pas être affecté par le conflit, et c’est tout à son honneur. Nous ne nous sommes pas impliqués dans les combats et nous n’avons pas été touchés par la crise des réfugiés, même si cela est dur à dire. »
Le Liban et Israël se sont fréquemment affrontés depuis la création de l'Etat d'Israël en 1948. Israël a occupé le sud Liban entre 1982, suite à une invasion visant à détruire l'Organisation de la libération de la Palestine (OLP), et 2000, date à laquelle l’armée israélienne s’est retirée de la zone occupée en gardant toutefois le contrôle de la région des fermes de Chebaa.
Le Hezbollah et Israël se sont affrontés à nouveau en 2006, entraînant la mort de plus de 1 200 personnes.
Mohammed Omer a contribué à ce reportage depuis la ville de Gaza.
Traduction de l’anglais (original).
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