Le choc Obama-Netanyahou : réponses à cinq questions
New York – Ce n’est pas un secret que le président américain Barack Obama et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou ne s’entendent guère. En novembre 2011 déjà, Obama avait été surpris en train de critiquer Netanyahou dans un enregistrement audio, se plaignant d’avoir « à faire à lui tous les jours ».
Les tensions étaient palpables en octobre, quand un haut fonctionnaire de l’administration Obama traitait Netanyahou de « dégonflé ». Par le passé, les responsables des deux côtés essayaient d’aplanir les différences politiques sur des sujets tels que le programme nucléaire iranien ou la construction de colonies israéliennes en terres palestiniennes.
Aujourd’hui, les tentatives de combler les fissures sont moindres. Ceci est apparu au grand jour récemment, lorsque Netanyahou a annoncé sa décision de prononcer un discours devant le Congrès américain le 3 mars et d’exprimer ses préoccupations sur la proposition d’Obama de lever les sanctions contre l’Iran en exchange de garanties qu’il ne construira pas d’armes nucléaires.
Obama a indiqué pour sa part qu’il ne rencontrera pas le leader israélien lors de sa visite à Washington, arguant qu’il ne souhaite pas influencer les élections israéliennes du 17 mars. Le président américain a promis d’opposer son veto à tout effort mené par les Républicains au Congrès pour imposer de nouvelles sanctions contre l’Iran, disant qu’une telle manœuvre risquerait de compromettre un accord avec Téhéran.
Après plus de dix-huit mois de négociations de haut vol, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Chine, la France, l’Allemagne et la Russie se sont mis d’accord avec l’Iran pour essayer de parvenir à un accord politique d’ici le 24 mars, avant un accord complet à la date limite fixée au 30 juin.
Middle East Eye (MEE) a interrogé plusieurs analystes sur les relations entre Obama et Netanyahou et l’accord iranien.
Quelle est l’ampleur de la discorde entre Obama et Netanyahou ?
« Il est difficile d’évoquer un moment où les dirigeants d’Israël et des Etats-Unis ont été en aussi mauvais termes d’un point de vue personnel », a répondu Christian Emery, professeur à l’université de Plymouth. « Il y a une profonde colère à la Maison Blanche sur le fait que Netanyahou pense pouvoir outrepasser le président et influencer la politique étrangère américaine. »
Il n’est pas rare que des chefs d’Etats étrangers prennent la parole lors de séances conjointes du Congrès : les dirigeants de l’Ukraine, Petro Poroshenko, et de la Corée du Sud, Park Geun Hye, ont eu cet honneur au cours des deux dernières années. Mais le pupitre n’est habituellement pas utilisé pour attaquer la politique d’un président américain en exercice.
Netanyahou a été invité par le porte-parole républicain de la Chambre des représentants des Etats-Unis, John Boehner, qui n’en a pas informé la Maison Blanche ou les membres démocrates du Congrès. Un tel acte est « très inhabituel », voire sans précédent, a indiqué James Fallows de la revue The Atlantic.
Pour Josh Ruebner, un leader politique de la Campagne américaine pour la fin de l’occupation israélienne, les relations entre Obama et Netanyahou sont mauvaises depuis longtemps et il n’y a pas de signes d’amélioration. « Cela ne choquera personne de dire que ce n’est pas la fin d’une histoire d’amour entre les deux leaders », a-t-il déclaré à MEE.
Une réconciliation est-elle probable ?
La plupart des analystes estiment que la relation Obama-Netanyahou est au point mort, et que la véritable question est de savoir qui quittera son poste le premier. Obama libère la Maison Blanche en janvier 2017, et Netanyahou pourrait perdre son poste de Premier ministre lors des prochaines élections prévues le mois prochain, ou au contraire remporter un quatrième mandat. Les sondages indiquent que les deux options sont probables.
« Tout le monde est en état d’attente jusqu’au 17 mars », a indiqué à MEE Neri Zilber, analyste au Washington Institute for Near East Policy. « Le timing du discours de Netanyahou au Congrès est basé sur le cycle électoral israélien. Il cède aux caprices de la droite de son électorat, qui n’aime pas l’administration américaine. Cela lui donne une grande visibilité, une plateforme digne d’un Premier ministre. »
Pour Ruebner, Netanyahou a fait des Républicains des associés durables. « Cela montre une plus grande symbiose entre le Parti républicain et Israël, car ce dernier est en train de devenir une question de droite, des conservateurs, au sein du corps politique américain », a-t-il ajouté.
Que dira Netanyahou au Congrès ?
Netanyahou considère un Iran doté de l’arme nucléaire comme étant une menace existentielle pour Israël, et a comparé la République islamique à l’Allemagne nazie belliqueuse de 1938. Il poussera les Etats-Unis et les autres puissances à ne pas négocier un accord sur le nucléaire iranien susceptible de constituer un danger pour Israël, explique-t-il.
Les analystes sont divisés sur la question de savoir si Netanyahou craint d’être trahi par Obama et cherche à torpiller les discussions avec l’Iran, ou bien s’il souhaite seulement faire pression sur la Maison Blanche afin qu’elle maintienne une position ferme pour que l’accord final sur le nucléaire soit plus draconien.
Selon Ruebner, Netanyahou veut « saborder les négociations » en obtenant « un soutien politique en faveur d’un nouveau cycle de sanctions contre l’Iran, quelques semaines avant la date limite ». Zilber n’est pas d’accord. Netanyahou « veut que l’administration Obama adopte une position plus intransigeante et qu’elle menace de renforcer les sanctions » si les négociations s’effondrent, dit-il.
Le dirigeant israélien a peut-être était surpris par certaines réactions furieuses à la nouvelle de son discours au Congrès, tant de la part des amis démocrates d’Israël aux Etats-Unis que de politiciens chez lui, en Israël, ajoute Ruebner.
« Suite à ces réactions négatives, je ne suis pas certain qu’il vienne », a-t-il ajouté.
« Netanyahou a commis une erreur fatale en demandant à ses amis démocrates de choisir entre le soutenir et humilier le président démocrate », explique Emery. « La politique étrangère peut en effet représenter une question partisane, mais les dirigeants étrangers, même les alliés proches, qui tentent d’exploiter ces questions à des fins partisanes vont décidément trop loin. »
Va-t-il saborder les négociations avec l’Iran ?
La date limite des discussions entre les six grandes puissances mondiales et l’Iran a été plusieurs fois repoussée en raison de la lenteur des progrès accomplis. La dernière rencontre, le mois denier à Genève, n’a pas beaucoup fait avancer les choses. L’accord ne doit pas seulement satisfaire les négociateurs, il doit également être acceptable pour les partisans d’une ligne ferme tant à Téhéran qu’à Washington. De nouvelles sanctions du Congrès au stade actuel pousseraient l’Iran à se retirer des négociations, a déclaré Obama, rendant ainsi plus probable la possibilité d’une guerre.
En agitant le spectre d’un autre conflit au Moyen Orient impliquant les Etats-Unis à un public américain las de la guerre, Obama a modifié « les politiques sous-jacentes du problème », indique Trita Parsi, président du Conseil national Iran-Etats-Unis.
« Le débat sur les sanctions contre l’Iran n’a plus tant à voir avec l’Iran qu’avec une guerre contre l’Iran. Poursuivre dans la voie diplomatique avec l’Iran est la meilleure façon d’éviter à la fois un Iran nucléaire et un bombardement de l’Iran. Toute mesure sapant les efforts diplomatiques, telles de nouvelles sanctions, augmente automatiquement le risque de guerre », pense-t-il.
Emery, un chercheur en relations internationales basé au Royaume-Uni, estime que la voie diplomatique avec Téhéran a des chances d’aboutir.
« Ce qui véritablement irrite Obama est qu’il pense réellement que sa stratégie diplomatique avec l’Iran empêchera celui-ci de développer des armes nucléaires », explique-t-il à MEE. « Si le Congrès et Israël parviennent à torpiller un accord, Obama pense qu’en dernière instance la sécurité d’Israël sera davantage menacée. »
Cela aura-t-il un impact sur le processus de paix israélo-palestinien ?
Les négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens sous l’égide des Etats-Unis se sont effondrées l’année dernière, et les perspectives de nouvelles négociations sont peu réjouissantes. Les Palestiniens ont cherché à « internationaliser » leur quête d’Etat par le biais de l’ONU et de la Cour pénale Internationale (CPI), un tribunal qui juge les crimes de guerre.
Selon Zilber, les tensions entre Obama et Netanyahou ne remettront pas en cause le soutien de longue date de Washington à Israël, comme l’illustrent les efforts déployés par les Etats-Unis pour faire obstacle aux Palestiniens à l’ONU et à la CPI.
« La position des Etats-Unis a été plutôt cohérente vis-à-vis de l’utilité de l’action des Palestiniens sur la scène internationale », a-t-il précisé à MEE. « Les Palestiniens eux-mêmes admettent qu’il s’agit simplement d’une tactique visant à faire pression sur Israël, et savent qu’en fin de compte il devront négocier avec les Israéliens. »
Ruebner est du même avis, jugeant que le rapport tendu entre les deux leaders n’est que de façade. Malgré les tensions au plus haut niveau de l’Etat, l’aide militaire et la protection diplomatique des Etats-Unis sont à des sommets jamais atteints. « Même s’il n’y a pas d’affinités personnelles, cela n’empêche pas les Etats-Unis d’être encore plus profondément complices de l’oppression israélienne des Palestiniens, » conclut-il.
Légende photo : Obama a déclaré qu’il ne rencontrera pas Netanyahou lorsque celui-ci se rendra aux Etats-Unis pour s’adresser au Congrès (AFP).
Traduction de l’anglais (original).
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