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Les conflits sectaires alimentent le commerce des armes au Moyen-Orient

Les frappes aériennes saoudiennes au Yémen contre les rebelles houthis, soutenus par l'Iran, ont fait monter les enjeux et pourraient entraîner la région dans une guerre sectaire

Cela a peut-être pris l'Occident au dépourvu, mais les frappes aériennes éclair lancées au Yémen par l'Arabie saoudite et ses alliés contre l'insurrection houthie soutenue par l'Iran étaient prévisibles depuis longtemps. Les Saoudiens étaient bien armés et bien préparés. Très bien armés, d'ailleurs.

Les attaques sont survenues à peine une semaine après la publication par la société spécialisée dans les questions de défense IHS Jane's d’une étude montrant que l'Arabie saoudite est devenue en 2014 le plus grand pays importateur d'armes et de systèmes de défense de la planète.

Maintenant, une des régions les plus militarisées au monde se retrouve soudain à vaciller au bord d'une guerre majeure.

Jusqu'à l'attaque qui a eu lieu jeudi dernier, les Etats du Conseil de coopération du Golfe (CCG) étaient restés en retrait tandis que les Houthis, soutenus par l'Iran, chassaient de la capitale Sanaa le président Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenu par l'Arabie saoudite. Après la fuite de ce dernier vers la ville portuaire méridionale d'Aden, c'est la progression rapide des Houthis vers le sud qui a finalement contraint Hadi à s'enfuir du pays et a fini par forcer la main de l'Arabie saoudite.

Désormais, alors que des rapports indiquent que l'Arabie saoudite rassemble 150 000 soldats au sol à sa frontière sud avec le Yémen et que le ministre iranien des Affaires étrangères parle d'une « situation très dangereuse », ce qui ressemblait jusqu'alors à une guerre par procuration menace de dégénérer en un conflit régional plus large.

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Si cela se produit, il y aura assez d'armes pour tout le monde.

Au cours de la dernière année seulement, les Saoudiens ont dépensé 6,4 milliards de dollars en armes de haute technologie. Leur allié clé émirati s’est adjugé 2,2 milliards de dollars d'armements. La liste des achats effectués au cours des cinq dernières années est impressionnante : des avions de combat F15, des hélicoptères de combat Apache, des véhicules blindés de transport de troupes (APC) Piranha, des missiles air-air IRIS-T à guidage infrarouge, des obusiers automoteurs Caesar à canon de 155 mm, des véhicules aériens sans pilote (UAV), des systèmes de détection aéroportés (AEW), des missiles de défense balistiques, des corvettes, des bâtiments de débarquement aérien ou encore des missiles antichars. La liste est longue. Il y a tout ce qu'il faut, et plus encore, pour mener une guerre des plus modernes.

Pour ne pas être en reste, les Iraniens sont engagés dans des pourparlers avec les Russes pour acheter leurs modèles dernier cri de systèmes de défense anti-aériens par missiles. Les Russes, dont une vente similaire en 2010 qui avait permis de contourner les sanctions avait suscité des débats, semblent désormais prêts, si ce n'est impatients, à l'idée de signer cet accord, notamment parce que leur économie subit les effets des sanctions occidentales imposées en raison de leurs manœuvres en Ukraine.

Sergei Chemezov, directeur général de Rostec, géant de l'armement détenu par l'Etat, a été cité par l'agence de presse TASS la semaine dernière, avant le début des attaques : « Nous avons proposé [les missiles], et ils réfléchissent. Aucune décision n'a encore été prise. »

Et d’ajouter : « Je ne le cache pas, et tout le monde le comprend : plus il y a de conflits, plus ils nous achètent d'armes. Les volumes continuent d'augmenter en dépit des sanctions. »

Les Iraniens auront bien remarqué que les frappes aériennes au Yémen visaient des sites de missiles autour de la capitale Sanaa et, dans le sud, la base aérienne d'al-Anad et les installations militaires de la ville de Taiz. Ils analyseront l'efficacité des frappes et leurs observations pourront les aider à prendre une décision concernant l’offre des Russes. Toutefois, même si la transaction est menée à terme, les Iraniens seront toujours loin derrière dans la course aux armements dans la région.

Michael Stephens, directeur du Royal United Services Institute (RUSI) au Qatar, fait valoir que les Etats du Golfe ont un avantage considérable sur les Iraniens en termes d'armement. « Ils ont le volume, la qualité, la capacité technique et de maintenance, ce dont l'Iran ne dispose tout simplement pas », a-t-il affirmé.

Mais l'Iran s'est montré exceptionnellement habile au niveau de ce que Stephens appelle la « capacité de déploiement à l'étranger », c'est-à-dire la capacité de mener des guerres asymétriques prolongées dans la cour des autres.

Cela dit, après deux ans de succès qui ont vu l’Iran appuyer le régime d'Assad à travers son substitut, le Hezbollah, et grandement contribuer à repousser l'Etat islamique de la périphérie de Bagdad, le pays chiite n'appréciera pas de voir l'Arabie saoudite sunnite faire une démonstration de force militaire d'une ampleur jamais approchée auparavant.

Alex Vatanka, chercheur à la fondation Jamestown située à Washington DC, a indiqué à Middle East Eye au sujet du conflit sectaire qui se développe que « l'Iran est coupable du sectarisme, mais [qu’] il y a un autre terme dans l'équation, à savoir les Saoudiens et, de plus en plus, les Emiratis et les Qataris. Les Occidentaux ne peuvent pas prendre l'initiative ici. L'initiative doit venir du monde islamique et je ne vois personne émerger. [Concernant la lutte contre le] sectarisme, il y a beaucoup de rhétorique, mais pas de leadership ».

Ce vide a permis aux deux camps de saisir leurs armes dans les guerres par procuration qui ont éclaté en Syrie, en Irak et maintenant au Yémen.

Vatanka ajoute qu'il entend souvent des commentaires, en provenance du Moyen-Orient, selon lesquels ce sont les Occidentaux qui alimentent le sectarisme afin de vendre des armes. « Je n'adhère pas à cette théorie du complot », s'est-il empressé d'ajouter. « Le sectarisme vient de l'intérieur. »

Alors que le conflit sectaire s'étend, les Saoudiens espèrent clairement une victoire rapide contre les Houthis. Cependant, les insurgés se sont révélés être des combattants tenaces, et même s'ils sont chassés de Sanaa et du sud du Yémen, comme ce sera probablement le cas, ils seront capables de continuer une guérilla dans la région montagneuse du nord du pays pendant quelque temps, jusqu'à ce qu'une puissance militaire écrasante ait gain de cause.

Savoir si l'Iran laissera cela se produire ou non est une tout autre question.

Contrairement aux événements à Bahreïn, où les forces du CCG dirigées par l'Arabie saoudite sont intervenues en 2011 pour aider à réprimer un mouvement pour la démocratie en grande partie chiite, et où les Iraniens ne sont pas intervenus, l'écrasement de l'insurrection houthie ferait monter considérablement les enjeux. Il est difficile d'imaginer que l'Iran laissera cela se produire sans répondre de quelque manière que ce soit.

Ce qui aura été jusque-là une guerre par procuration entre deux puissances régionales pourrait alors devenir un nouveau conflit régional majeur mené selon des principes sectaires, avec des conséquences extrêmement sanglantes.

Seule l'industrie de l'armement à travers le monde ressortirait gagnante d’un tel scénario.
 

- Bill Law est un journaliste lauréat du prix Sony. Il a rejoint la BBC en 1995 et produit depuis 2002 un grand nombre de reportages sur le Moyen-Orient. Il s'est rendu à de nombreuses reprises au royaume d'Arabie saoudite. En 2003, il a été l'un des premiers journalistes à couvrir les débuts de l'insurrection qui a englouti l'Irak. Son documentaire, « The Gulf: Armed & Dangerous », diffusé fin 2010, a anticipé les révolutions qui ont pris la forme du Printemps arabe. Il a ensuite couvert les soulèvements en Egypte, en Libye et à Bahreïn. Il a également produit des reportages sur l’Afghanistan et le Pakistan. Avant de quitter la BBC en avril 2014, Bill Law y officiait en tant qu'analyste spécialiste du Golfe. Aujourd'hui journaliste freelance, il se concentre sur le Golfe.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Légende photo : les Houthis chiites utilisent des canons anti-aériens alors que les frappes de la coalition dirigée par l'Arabie saoudite touchent des cibles houthies dans le cadre de l'opération « Decisive Storm » à Sanaa (Yémen), le 30 mars (AA).

Traduction de l’anglais (original).

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