Le riche patrimoine archéologique des Palestiniens en danger
Gaza – A Khan Younès, on peut voir les enfants jouer dans les ruines d'un ancien château des Croisés, Barquq, nommé en hommage au sultan mamelouk mort en 1399. Il s'agit de l'un des nombreux sites archéologiques que le ministère gazaoui du Tourisme et des Antiquités s'emploie à protéger, explorer et conserver ; toutefois, le ministère manque de ressources pour y parvenir.
« Nous avons trouvé des vestiges de grande valeur, mais nous avons besoin de beaucoup d'experts et d'efforts pour nous aider à procéder aux fouilles et à sortir nos trouvailles de terre », explique le Dr Jamal Abou-Reda, chef adjoint du ministère du Tourisme.
La bande de Gaza contient de nombreux artefacts et vestiges archéologiques appartenant à différentes époques historiques : l'âge de pierre, l'âge de bronze, l'époque hellénistique (323-31 av. J.-C.), l'époque romaine (65 av. J.-C.-330 apr. J.-C.), l'époque byzantine (395-634), l'époque islamique (636-1099), l'époque mamelouke (1250-1516) et l'époque ottomane (1516-1917). Cependant, le ministère affirme qu'en raison du siège israélien en cours à Gaza, l'exploration archéologique et scientifique, tout comme le tourisme, sont lourdement touchés.
Le ministère fait partie du gouvernement de facto contre lequel Israël continuer d'imposer ses sanctions par le biais d'un blocus économique. Après la destruction par l'Egypte dirigée par Abdel Fattah al-Sissi de plusieurs tunnels à Rafah, le gouvernement de Gaza a perdu davantage des sources de revenus qui lui permettent de fonctionner efficacement et de payer ses 42 000 salariés.
« Nous recevons constamment des appels de personnes qui disent avoir trouvé des objets anciens, et nous devons les collecter et les archiver officiellement. Mais le fait est que nous n'avons pas toujours assez de carburant pour nous rendre à Rafah, enquêter sur les sites, archiver les reliques et faire le travail », explique le Dr Abou-Reda.
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Le ministère s'appuie désormais sur des travailleurs locaux dévoués qui fouillent, nettoient et classent ces reliques, dont ils estiment la date. Cependant, aucun de ces travailleurs ne dispose d'une expertise suffisante pour faire le travail avec précision.
« Personne ne se soucie de notre patrimoine »
En 2001, des archéologues palestiniens ont sorti de terre une mosaïque intacte de style byzantin datée du Ve siècle, sur le site de Tell Umm el-'Amr, à quelques kilomètres de la ville de Gaza.
Selon les archéologues, le site renferme le plus ancien monastère du Moyen-Orient, qui devrait être officiellement protégé par la Fondation du patrimoine mondial. Aujourd'hui, en faisant le tour du site, on s’aperçoit que les gardes locaux semblent être rentrés chez eux bien tôt et on se demande comment le site pourrait rester protégé.
« Personne ne se soucie du patrimoine et de l'histoire, déplore un passant. Pendant que nos dirigeants se battent pour savoir qui restera au pouvoir, nous perdons beaucoup de choses merveilleuses appartenant à notre histoire ancienne. »
D'après les historiens byzantins, Saint Hilarion (291-371 apr. J.-C.) est né à Gaza et a voyagé en Egypte, où il s'est converti au christianisme. A son retour, il a fondé le monastère de Tell Umm el-'Amr, sur une colline surplombant la Méditerranée.
Au cours de la vie de Saint Hilarion, plus de 400 autres moines sont venus se joindre à lui. Toutefois, cet ermite désirait vivre dans la solitude et a donc fait route vers Chypre pour y vivre seul avant de s'y éteindre quelque temps plus tard.
Sur l'un des sites se trouvent les restes d'une basilique byzantine inhabituellement grande, construite en forme de croix classique, avec des marches permettant de descendre vers ce que l'on pense être des fonts baptismaux. Cette zone doit encore être entièrement examinée et excavée par des experts.
Le ministère est très fier de présenter ce site, qui met en valeur les débuts de l'histoire chrétienne dans la région, comme un lieu de grande importance historique pour toutes les religions et l'histoire anciennes.
En parcourant ce lieu calme mais négligé, on peut trouver une mosaïque de style byzantin comprenant une grande inscription en grec, avec des motifs circulaires, d'une prière qui demande apparemment à Dieu de protéger tous les saints hommes qui accomplissent son œuvre sur terre. Il y a encore beaucoup d'histoire sous ce sol, mais la persistance des tensions politiques et du blocus économique imposé par Israël demeurent des obstacles qui empêchent d'honorer l'histoire ancienne de la Palestine et de dévoiler ses trésors patrimoniaux au monde entier.
La Via Maris, une ancienne route commerciale
Le Dr Abou-Reda explique que dans les temps anciens, Gaza était un carrefour vital et une route commerciale très empruntée entre l'Egypte, la Palestine, la Mésopotamie et l'Europe. La route principale qui les reliait, la Via Maris, passait à proximité du site du monastère, qui offrait une vue imprenable sur la ville de Gaza. Selon le Dr Abou-Reda, des éléments indiquent que les voyageurs circulant entre la Palestine et l'Egypte s'arrêtaient à Tell Umm el-'Amr pour s'y reposer.
Pour préserver ces sites historiques, le ministère a demandé des investissements ; toutefois, depuis que le Hamas est arrivé au pouvoir dans la bande de Gaza, le ministère ne s'est jamais vu accorder ces financements vitaux, à l'exception de l'aide de petites organisations ainsi que des Nations unies pour la rénovation du Qasr al-Basha, un château vieux de cinq cents ans.
Cependant, le professeur Naim Baroud, qui dirige le département d'histoire de l'Université islamique, a averti que le manque d'appui concernant les sites archéologiques pouvait entraîner leur disparition sur le long terme.
« Sans soutien international, nous risquons de perdre tous les sites archéologiques précieux », estime-t-il.
Le Dr Abou-Reda continue d'espérer un appui plus conséquent, en ajoutant toutefois que jusque-là, son ministère a dû se servir des matériaux disponibles localement pour rénover les sites détruits suite aux dernières attaques militaires menées par Israël contre Gaza.
« Nos travailleurs essaient de rénover les vestiges en utilisant des éléments qui n'ont rien à voir avec les édifices, comme dans le cas de l'église byzantine », a-t-il ajouté.
Ciment, beurre et chaux
Les travailleurs disent que leur seul moyen de surmonter les restrictions imposées par le siège israélien est de mélanger du ciment blanc avec du beurre et de la chaux, afin de créer une matière naturelle permettant de rénover les précieuses reliques.
Les sites archéologiques et les artefacts de Gaza ont traversé et survécu à plusieurs époques – certains de ces objets ont été emportés par des personnes intéressées par la collection d'œuvres d'art et conservés en tant que biens personnels.
Toutefois, cela ne semble pas être une préoccupation pour le ministre du Tourisme, qui affirme que la plupart des habitants locaux n'essaient pas de faire passer ces objets à l'étranger, mais préfèrent les garder en sécurité, localement, au nom de leur histoire.
La plage de Gaza est parfois couverte de ces objets : un pêcheur a par exemple découvert un moulin construit à la main, qui pouvait alimenter le Qasr al-Basha, lui-même en cours de reconstruction pour devenir un musée national.
« Certains jours, il arrive toutefois que nous n'avons pas de fonds disponibles pour transporter ces vestiges historiques », explique le Dr Abou-Reda, très soucieux de défendre, d'archiver et de protéger l'histoire ancienne de la Palestine qui s'étend sur des milliers d'années, pour les générations présentes et à venir.
Un artefact d'Apollon « vendu sur eBay »
L'année dernière, un pêcheur gazaoui a « pêché au filet » une statue en bronze grandeur nature âgée de deux mille ans représentant le dieu grec Apollon. Il l'a prise en photo, avec pour arrière-plan une couverture illustrée des Schtroumpfs, avant que la statue soit saisie par la police de Gaza et qu’elle ne disparaisse à nouveau dans des conditions mystérieuses. On soupçonne que cet artefact d'une valeur historique inestimable a été vendu sur eBay pour à peine 500 000 dollars.
A Khan Younis, Marwan Shaban dispose de son propre petit musée (fermé au public), où il protège des objets d'origine chrétienne et islamique datés de plusieurs époques anciennes, dont des reliques monastiques, des fusils primitifs, des pierres anciennes, des dagues, des lances, des épées et même un fer à repasser ancien, daté de l'époque où ces outils ont commencé à être utilisés à Gaza.
D'après le ministère, ces personnes ont accompli un excellent travail en protégeant ces reliques anciennes et nationales, bien avant la formation de l'Autorité palestinienne et avant que quiconque ne pense à conserver ces artefacts dans des musées. Le ministère a archivé tous ces objets, affirme le Dr Abou-Reda.
Shawan entend conserver environ 400 objets collectés, même s'il n'est pas capable de les dater précisément lui-même.
« C'est notre histoire et je vais veiller à ce que ces objets soient protégés quoi qu’il en coûte... même si je ne reçois pas les financements nécessaires pour les montrer au public. »
Une lutte pour s'approprier le passé
Le Dr Abou-Reda pense que la persistance des agressions d'Israël relève d’une bataille pour revendiquer une propriété historique. Selon lui, Israël continue les fouilles pour prouver qu'il est historiquement propriétaire de la Palestine et des Palestiniens, qu'ils soient chrétiens ou musulmans.
« Cela comprend des fouilles sous la mosquée al-Aqsa. »
« Les Palestiniens peuvent réécrire leur histoire et le feront pour réfuter la propagande israélienne selon laquelle la Palestine était, ou est encore, une terre sans peuple », ajoute le Dr Abou-Reda.
Pendant ce temps, il demeure que le site de Tell Umm el-'Amr, qui se compose de trois ou quatre couches historiques et a été daté entre le troisième et le septième siècle, fait face à un manque de soutien financier et de protection du patrimoine.
Shawan, qui collecte et protège des objets issus de monastères, est musulman, mais ne voit rien d'inhabituel dans son souci de protéger et de promouvoir un sanctuaire chrétien dans une zone habitée par seulement quelques milliers de chrétiens.
Il espère seulement qu'un jour, des milliers d'autres personnes viendront des quatre coins du monde pour voir et apprécier son travail acharné de découverte et de protection des trésors historiques.
« Notre histoire et notre civilisation communes sont ici, et nous voulons partager cela avec le monde entier. »
Traduction de l'anglais (original).
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