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Israël : peu de choses à attendre de la Cour suprême

Pendant des années, les libéraux israéliens ont cru que la Cour suprême pourrait sauver Israël de lui-même. Après une nouvelle décision confirmant une loi anti-boycott, ils perdent foi en celle-ci

Meretz, le parti israélien de gauche, a publié mercredi un communiqué sortant de l'ordinaire suite à une décision de la Cour suprême qui a confirmé une loi permettant aux entreprises de formuler une demande en dommages et intérêts à l'encontre de ceux qui appellent au boycott politique.

L'originalité ? Pas son contenu : les membres du Meretz appellent ouvertement au boycott des produits fabriqués dans les colonies israéliennes. Mais depuis des dizaines d'années, les critiques de la Cour suprême israélienne provenaient de la droite. Désormais, la gauche libérale se joint à ces critiques.

Voici le texte du communiqué : « Le Meretz s'oppose à un boycott de l'Etat d'Israël, qu'il soit économique, culturel ou académique. Cependant, la Cour suprême a tort en ne distinguant pas le boycott de l'Etat de décisions individuelles d'achat prises par les particuliers dans le cadre d'une manifestation non-violente visant à faire changer les choses. »

La loi anti-boycott d'Israël a été promulguée en 2011 sur l'initiative du député de droite Ze'ev Elkin, membre du Likoud et vivant dans une colonie en Cisjordanie. La loi était censée freiner la menace du mouvement international BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions) en intimidant les individus et les organisations israéliens qui l'avaient rejoint et – pire encore – qui avaient fourni des informations « à charge » sur les activités israéliennes allant des crimes de guerre présumés à Gaza au vin produit sur les terres palestiniennes confisquées illégalement en Cisjordanie.

En substance, la loi permet aux Israéliens d'intenter des actions contre les individus ou les organisations qui appellent au boycott à leur encontre sans avoir à prouver un quelconque lien direct entre l'appel au boycott et les pertes financières qui en résulteraient.

Des organisations de défense des droits de l'homme ont demandé à la Cour suprême d'abroger la loi, affirmant qu'elle viole la liberté d'expression inscrite dans la Constitution israélienne. Ces dernières années, ces appels ont été couramment utilisés par les libéraux israéliens qui considèrent la Cour suprême comme un bastion de défense des droits de l'homme en Israël.

Recourir à la Cour suprême pour combler les lacunes du système démocratique israélien a donné de bons résultats, en particulier en ce qui concerne les droits des femmes, des homosexuels et même les droits des Israélo-Palestiniens en Israël.

Toutefois, les résultats sont mitigés en ce qui concerne les droits des Palestiniens dans les territoires occupés. Bien que dans certains cas, la Cour suprême ait bloqué la confiscation de terres palestiniennes privées pour construire de nouvelles colonies ou ait contraint l'armée à ouvrir des enquêtes à l'encontre de soldats soupçonnés dans des cas d’homicides extrajudiciaires, sur la plupart des questions cruciales, elle a confirmé la politique du gouvernement.

La Cour suprême n'a pas réussi à empêcher les « assassinats ciblés », alors que ceux-ci pourraient équivaloir à des exécutions sans procès. A de nombreuses reprises, elle a approuvé la démolition de maisons appartenant à des Palestiniens soupçonnés d'« activité terroriste ». Elle a également ignoré l'avis consultatif de la Cour internationale de justice défavorable à la construction du mur de séparation sur des terres palestiniennes, changeant toutefois son tracé dans certains cas de moindre importance.

Pourtant, la plupart des libéraux israéliens ont choisi d'ignorer l'ambiguïté des décisions de la Cour suprême sur ces enjeux. Tandis que les gouvernements successifs d'Israël ont basculé vers la droite, passant toujours plus de lois anti-démocratiques, les libéraux ont compté toujours davantage sur la Cour suprême. Comme si la Cour suprême avait pour mission de sauver Israël de lui-même, de préserver les « vraies » valeurs libérales et sionistes sur lesquelles Israël est censé avoir été fondé.

Ce processus a connu des retours de bâton. La Cour suprême est devenue une cible facile pour les hommes politiques et les organisations de droite. Ils affirmaient que si la droite avait remporté le vote populaire, la gauche restait au pouvoir grâce à son contrôle sur la Cour suprême. La Cour suprême a été accusée de « dénaturer » la volonté du peuple en étant « une section du Meretz ».

Ces attaques constantes ont exercé des pressions sur la Cour suprême, qui a été invitée à ne pas « dépasser ses limites » et à modérer son ingérence dans le travail du gouvernement et du parlement israéliens. Grâce au chaos politique, davantage de juges conservateurs et de droite ont été nommés à la Cour suprême. Une loi spéciale a été adoptée pour garantir l'élection du conservateur Asher Grunis à la présidence de la Cour. La décision relative à la loi anti-boycott était son cadeau d'adieu avant de quitter ses fonctions.

Les effets de cette pression sont apparus dans la décision de mercredi relative à la loi anti-boycott. La Cour a certes décidé d'annuler la clause permettant aux plaignants d'obtenir une indemnisation sans preuve de dommages, mais a confirmé toutes les autres dispositions de la loi. Un des juges est allé jusqu'à qualifier le boycott de « terreur politique », tandis qu'un autre juge a écrit qu’« il n'y a rien de mal » à ce que la Knesset prête main forte dans la lutte contre « ceux qui conspirent pour nous anéantir ». En bref, l'appel au boycott est comparé à une bombe nucléaire iranienne.

Noam Sheizaf, un journaliste du site web « 972 », a remarqué à juste titre que, désormais, il est légal d'appeler au boycott du fromage en raison de son prix élevé (un large boycott du fromage blanc avait conduit à des mouvements de protestations sociales en 2011), mais qu’il est interdit d'appeler à son boycott en raison du fait qu’il est fabriqué dans l'une des colonies.

Michael Sfard, l'un des principaux avocats des droits de l'homme en Israël, a déclaré que cette décision était particulièrement préoccupante. Il est regrettable mais compréhensible que la Cour suprême défende les politiques du gouvernement sur des questions sensibles de sécurité nationale tels que les assassinats ciblés ou le mur de séparation, selon Sfard. Mais la loi sur le boycott n'avait rien à voir avec la sécurité nationale. Il s'agissait de liberté politique et du droit de tenter d'influencer la politique du gouvernement par des moyens pacifiques.

Comme pour prouver qu'elle avait « corrigé » ses habitudes, la Cour suprême a confirmé le même jour une autre procédure extrêmement problématique. Elle a autorisé le gouvernement à faire respecter la célèbre loi sur les propriétés des absents à Jérusalem-Est. Cela signifie que, en théorie, un Palestinien de Cisjordanie qui détient des biens à Jérusalem-Est pourrait voir sa propriété saisie par le gouvernement israélien, sans même une compensation financière.

Depuis la guerre de 1967, tous les procureurs généraux ont conseillé au gouvernement de ne pas faire usage à Jérusalem-Est, territoire occupé et annexé, de la Loi sur les propriétés des absents adoptée en 1950 pour confisquer les biens des réfugiés palestiniens. Ils ont affirmé que ce serait totalement injuste. Désormais, la Cour suprême légalise ce processus, même si elle pose d'importantes restrictions quant à son utilisation.

Ce changement évident de la Cour suprême pourrait avoir des répercussions importantes. Comme le montre le communiqué publié par le Meretz, il pourrait convaincre les libéraux israéliens qu'ils ne peuvent plus remettre leur sort entre les mains de cette institution et qu'ils doivent trouver de nouveaux moyens pour lutter contre les politiques de la droite, hors du cadre juridique.

Ce genre de décisions peut également avoir des répercussions sur le plan international. Le prestige de sa Cour suprême a permis à Israël d'appuyer sa prétention au titre de « seule démocratie du Moyen-Orient ». Maintenant, si la même Cour suprême ne parvient pas à défendre les libertés politiques au sein de l'Etat souverain qu'est Israël et si elle semble s'incliner sous la pression de la droite, cette réputation relativement intacte pourrait être endommagée. Israël pourrait découvrir qu'aucune loi sur le boycott n’est en mesure de compenser ces dommages.

- Meron Rapoport est un journaliste et écrivain israélien. Il a remporté le prix de journalisme international de Naples pour son enquête sur le vol d'oliviers palestiniens. Ancien directeur du service d'informations du journal Haaretz, il est aujourd'hui journaliste indépendant.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des manifestants palestiniens devant une colonie israélienne dans le village de Bil'in, Cisjordanie, le 27 février 2015 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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