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Etat islamique Inc. : la maximisation

L’organisation multi-divisionnelle du groupe EI lui permet de maximiser sa capacité à mener des opérations, à éroder les institutions et le pouvoir étatiques rivaux et à établir sa propre forme de gouvernance

Les archives d’Haji Bakr publiées par le Spiegel attestent de l’organisation multi-divisionnelle du groupe Etat islamique, une organisation qui se base sur les formes de structure et de gouvernance adoptées par les entreprises. Cette structure permet la production de violence et de chaos calculés.

L’organisation multi-divisionnelle du groupe Etat islamique (EI) lui permet de maximiser sa capacité à mener des opérations, à éroder les institutions et le pouvoir étatiques rivaux et à établir sa propre forme de gouvernance. Le groupe documente ses opérations en filmant le champ de bataille et en détaillant méticuleusement les niveaux de réussite et de contrôle. Cela lui permet de maximiser son efficacité opérationnelle et de générer un chaos organisé (management de la sauvagerie) qui crée un vide institutionnel que le groupe EI tente finalement de combler. L’idée selon laquelle la structure de l’EI épouse la forme d’une direction d’entreprise est souvent mentionnée, mais ce que cela signifie est rarement expliqué.

Mon étude cherche à établir en premier lieu si ce modèle correspond réellement au groupe EI et à découvrir pourquoi cette conception est importante pour comprendre la nature opérationnelle du groupe. Il est primordial de noter que la structure du groupe EI ne se distingue pas seulement par sa modernité, mais aussi parce qu’elle se réapproprie les systèmes et idéologies « occidentaux » pour atteindre ses objectifs.

Le modèle

« En reliant chaque division à sa propre base commerciale, j’ai donné à la direction générale un critère d’efficacité permettant d’évaluer la contribution de chaque division [...] à travers la notion de retour sur investissement. » – Alfred P. Sloan

Alfred P. Sloan a cherché à réorganiser General Motors après avoir pris les rênes de la société et vu son expansion rapide pendant et après la Première Guerre mondiale. Selon ses mots, « General Motors devait trouver un principe de coordination sans perdre les avantages de la décentralisation. » En d’autres termes, trouver un système décentralisé disposant d’une direction et d’un contrôle centralisés. A. Sloan a pu recueillir des informations sur ce qui était nécessaire en procédant à une étude organisationnelle à l’échelle de l’entreprise qui a mesuré l’efficacité et le retour sur investissement de chaque division.

Il a conclu que, bien que certaines divisions génèrent beaucoup plus de capital que d’autres, il est possible que celles générant beaucoup moins de capital possèdent en réalité un taux de rendement plus élevé et maximisent leur potentiel opérationnel. Grâce à ce format, Sloan a pu déterminer quelles étaient les divisions qui devaient être agrandies ou celles qui devaient être liquidées.

Si on examine les attaques du groupe EI en étudiant l’analyse de la seconde partie et en suivant les événements sur le terrain à mesure qu’ils surviennent, on peut constater comment la propre structure organisationnelle du groupe s’inscrit dans les principes qui régentaient l’organisation d’A. P. Sloan.

La structure de Sloan repose sur plusieurs principes :

1.      Les faits et les données constituent l’unique facteur déterminant de la prise de décision. Le groupe EI divise ses activités en plusieurs catégories : assassinats, attaques armées, attentats (mortier, grenades et lance-roquettes), incendies de maisons, libération de prisonniers, attentats-suicides à la voiture piégée, attentats-suicides à l’aide de ceintures d’explosifs, voitures piégées, attentats-suicides à la moto, etc. Ce qu’il faut en conclure, c’est que si le groupe EI a cherché à éroder la capacité à gouverner des gouvernements irakiens et syriens, il l’a fait en changeant ses modes d’attaque en fonction du niveau de la gouvernance et de l’influence qu’il avait dans une zone géographique particulière. Sa structure organisationnelle accordant le pouvoir de décision aux émirs locaux, ainsi que la collecte de données opérationnelles lui ont permis de moduler ses attaques, non seulement le type d’attaque, mais aussi son intensité et sa fréquence. Ces catégories évoluent au fil du temps en fonction de l’augmentation ou de la diminution des niveaux de gouvernance.

2.      L’entreprise devrait encourager la dissidence et les divergences d’opinion. Ce qu’on entend par là, ce ne sont pas les différences idéologiques, bien qu’on pourrait faire valoir que celles-ci existent également. A travers sa division du travail au niveau des cadres intermédiaires et supérieurs, le groupe EI a permis aux émirs locaux, aux membres du cabinet et aux dirigeants opérationnels de prendre des décisions sur le champ de bataille au fur et à mesure. Une vidéo publiée récemment par le groupe sur son attaque contre la raffinerie de Baiji a horrifié les médias internationaux pour sa représentation d’enfants utilisant des pièces d’artillerie. Il est intéressant de constater l’utilisation de plusieurs caméras (y compris des drones) qui arpentent et capturent en direct les événements du champ de bataille. Cela indique un niveau de sophistication opérationnelle beaucoup plus élevé qu’on ne le pensait et un degré élevé de structure organisationnelle multi-niveaux, adaptative et sophistiquée.

3.      Organiser un système décentralisé de pouvoir et de contrôle centralisés. Comme mentionné ci-dessus, le groupe EI divise les territoires qu’il régit en provinces, au gouvernement desquelles il nomme des émirs. C’est une structure de gouvernance distincte du cabinet ministériel du calife Ibrahim et de sa division militaire. Les données sont probablement recueillies par les autorités locales et les émirs sur le terrain et analysées par leurs supérieurs, qui prennent les décisions politiques en conséquence.

4.      Employer les personnes les plus compétentes sans laisser de place à l’amitié (népotisme). D’après les informations dont nous disposons sur l’Etat islamique, il apparaît que le PDG au sommet est Baghdadi et qu’il est la plus haute autorité. L’accent est mis sur la légitimité de son office religieux, mais les autres membres de sa famille, dont plusieurs érudits religieux, semblent n’avoir aucun rôle opérationnel dans l’organisation. Ces postes sont réservés aux membres les plus compétents, expérimentés et instruits. Il est tout à fait évident que beaucoup de ces dirigeants sont issus des forces militaires et de sécurité du Parti Baas de Saddam Hussein.

5.      Le directeur général ou le président est le maître absolu. Le calife règne en tant que source ultime d’autorité religieuse et de gouvernance. Comme l’avait formulé Alfred Sloan : « Le PDG doit opérer comme un dictateur. »

6.      Offrir du choix au client. Idéologiquement et théologiquement, le groupe EI ne tolère aucune opinion dissidente, mais selon les chercheurs du Centre international d’études sur la radicalisation et la violence politique (ICSR) du King’s College, l’organisation permet à presque tout le monde de se joindre au projet de construction d’un Etat. Des familles entières, des jeunes, des vieux et même des animaux domestiques ont voyagé en Syrie pour rejoindre le projet du groupe Etat islamique. Il offre des opportunités et recrute non seulement des combattants mais aussi des médecins, des enseignants, des ingénieurs et des ménagères.

7.      Créer une image positive de l’entreprise. Selon une étude de l’ICSR, il existe une armée de « disséminateurs » qui font l’apologie du groupe EI sur les médias sociaux. Ils répondent clairement, intelligemment et de façon parfois moqueuse lorsque leurs détracteurs ou des recrues potentielles les remettent en cause.

8.      Se développer à l’international. Depuis juin 2014, on observe un nouveau phénomène : l’annexion et l’expansion de la marque EI en Libye, au Nigéria, dans la péninsule du Sinaï, au Yémen et même dans la région pakistano-afghane. Parallèlement à ces annexions, l’adoption d’une stratégie et de tactiques similaires par ces nouveaux groupes a marqué un développement significatif.

9.      Voir au-delà du produit et du service de base fournis par l’entreprise. Le recours à des opérations non militaires pour la vente de matières premières comme le pétrole et les produits agricoles, la fiscalité, l’extorsion et le vol, a fait du groupe EI la plus riche organisation terroriste au monde. Le groupe EI est présent sur les marchés gris des armes et des matières premières. Cet afflux de capitaux fait de ses tentatives de construction d’un Etat et de gouvernance une possibilité très réelle, en dépit de la pression militaire continue de ses adversaires.

Les documents d’Haji Bakr publiés par le Spiegel étayent les informations que nous ne pouvions auparavant recueillir qu’en observant et en étudiant les documents opérationnels du groupe Etat islamique. L’infiltration silencieuse et furtive des organisations rivales et des espaces géographiques, le ciblage des responsables de la sécurité et de la conversion des « apostats » semblent avoir fait partie du plan du groupe EI depuis le début. Dans mon étude, je me concentre principalement sur l’Irak, mais ces documents nous laissent entrevoir la façon dont ces mêmes stratégies ont été mises en œuvre en Syrie et élaborées beaucoup plus tôt que la tristement célèbre opération « Abattre les murs » de 2012.

 - Abe Jimenez est chercheur au Southwest Initiative for the Study of Middle Eastern Conflicts. Ses recherches portent sur l’organisation et la structure du groupe Etat islamique, ainsi que sur les forces qui mènent à la radicalisation. Il s’intéresse également aux traumatismes de la guerre et à ses effets culturels et sociaux. Twitter : @A_Ximenez

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le drapeau Etat islamique flotte en face de la porte principale du palais de l’ancien dictateur irakien Saddam Hussein à Tikrit 5 avril (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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