Les colons d’Israël gagnent sur le front national
Quand des élections ont été annoncées en Israël il y a six mois, beaucoup ont prédit que le parti Foyer juif, dirigé par Naftali Bennet, en ressortirait le grand vainqueur. Les sondages d’opinion prévoyaient qu’il gagnerait vingt sièges, huit de plus que ce dont il disposait dans la précédente législature, et les leaders du parti ne cachaient pas leurs espoirs de devenir le plus important parti de droite, reléguant le Likoud de Benyamin Netanyahou à la seconde place.
Lors du contage des votes, il est apparu cependant que le groupe de Bennet n’avait remporté que huit sièges, loin derrière les trente obtenus par Netanyahou.
Néanmoins, après un marchandage acharné avec le Premier ministre Benyamin Netanyahou, Bennet est parvenu à transformer cette flagrante déconvenue en une victoire. Il a été nommé ministre de l’Education ; sa plus fidèle partisane au sein du parti, Ayelet Shaked, a reçu le prestigieux et influent ministère de la Justice ; et Uri Ariel s’est emparé de l’Agriculture, un ministère qui pèse fortement sur les politiques relatives à la terre, une question particulièrement sensible en Israël.
La nomination de Naftali Bennet – qui a un jour déclaré : « J’ai tué beaucoup d’Arabes dans ma vie et cela ne me pose aucun problème » – à la tête du ministère de l’Education, qui est pourvu d’un budget astronomique et est censé servir quelque 400 000 étudiants arabes, n’a fait sourciller personne.
Peut-être parce que le Parti national-religieux, le « parti mère » du Foyer juif de Bennet, a tenu ce ministère pendant de nombreuses années, et peut-être aussi parce que le ministre, quelles que soient ses opinions, a peu d’influence sur le programme scolaire des écoles israéliennes.
La nomination d’Ayelet Shaked au ministère de la Justice a attiré beaucoup plus l’attention. Shaked se positionne en effet à l’extrême droite de ce parti d’extrême droite.
Pendant l’opération « Bordure protectrice », l’opération militaire contre Gaza menée l’été dernier, Shaked a par exemple publié un commentaire sur sa page Facebook disant qu’elle soutenait un article écrit douze ans auparavant appelant à considérer tous les Palestiniens, « y compris les personnes âgées et les femmes, dans les villes comme dans les villages » comme des ennemis. En temps de guerre, ils méritent tous la mort et « rien n’est plus justifié », pouvait-on lire dans le texte que Shaked décrit comme « étant [aussi] pertinent aujourd’hui que par le passé ».
Ayelet Shaked a été l’une des architectes d’une attaque groupée contre le système légal d’Israël, accusé d’être trop libéral et de ne pas représenter « la volonté du peuple ». Elle a demandé une limitation des pouvoirs donnés à la Cour suprême lui permettant de récuser des lois adoptées par la Knesset en raison de leur « inconstitutionnalité » et a tenté de renforcer l’influence des hommes politiques sur la nomination des juges.
En tant que députée, Shaked a été parmi les promoteurs de la « Loi sur les ONG », qui cible les organisations « anti-israéliennes » comme B’Tselem (le Centre d’information israélien pour les droits de l’homme dans les territoires occupés) ou Breaking The Silence, qui publie les témoignages de soldats sur leurs actions dans les territoires occupés. Elle est également une fervente partisane de la « Loi sur la nation », qui cherche à faire de la « judéité » de l’Etat un paramètre de toute législation en Israël.
Il est donc facile de comprendre pourquoi sa nomination a suscité l’appréhension au sein des cercles progressistes en Israël. En tant que ministre de la Justice, elle aura tout le loisir de promouvoir ou bloquer n’importe quel processus législatif, et si elle reste en poste assez longtemps, elle influencera, voire imposera, le choix du prochain procureur général ou des nouveaux juges de la Cour suprême. Donner de tels pouvoirs à une femme politique ayant un programme politique aussi clairement nationaliste et antilibéral est une cause légitime de préoccupation.
Mais cela ne s’arrête pas là. Selon l’accord passé avec le Foyer juif, le nouveau ministre de l’Agriculture, Uri Ariel, sera également responsable de la Division de la colonisation, officiellement une organisation non-gouvernementale qui loue des terres aux colons en Cisjordanie. Michael Sfard, un des principaux avocats israéliens spécialisés dans les droits de l’homme, décrit cet organe comme la « milice » du gouvernement israélien pour mener les actions qu’il ne veut ou ne peut pas accomplir lui-même dans les colonies de Cisjordanie.
La Division de la colonisation appartient à l’Organisation sioniste mondiale, et n’est donc pas soumise au contrôle du parlement ou du gouvernement israélien. Elle agit en outre comme un dispositif de transfert de vastes sommes d’argent visant à soutenir la colonisation dans les territoires occupés. En 2013, par exemple, le département de la colonisation a reçu 650 millions de shekels (160 millions de dollars), dont au moins la moitié a été dépensée en Cisjordanie.
Au cours des dernières années, des efforts ont été fournis en vue de garantir un contrôle de la Division de la colonisation. Même le procureur général a stipulé que son statut d’entité exemptée de toute surveillance publique n’était pas tenable.
Confier à Uri Ariel, un colon qui représente l’opposition de droite à Bennet au sein du parti, la responsabilité générale de cette organisation condamnera probablement ces efforts à l’échec et permettra au gouvernement de continuer à investir en Cisjordanie sans interférence extérieure.
Cerise sur le gâteau : Ariel, en sa qualité de ministre de l’Agriculture, sera aussi en charge de l’Autorité pour l’installation des bédouins, l’organe du gouvernement chargé de pousser les Bédouins à quitter leurs villages et à se réinstaller dans des centres urbains construits par Israël. Il y a un an, une campagne intense menée par les bédouins avait permis de contrecarrer un plan massif de réinstallation forcée.
Uri Ariel, qui il y a quelques mois à peine se plaignait que le sud d’Israël était « plein de bédouins », ne semble pas la personne appropriée pour guérir ces blessures.
Ce qui pourrait se révéler encore plus dramatique est la nomination du membre du Foyer juif Eli Ben Dahan au poste de vice-ministre de la Défense, responsable de l’Administration civile en Cisjordanie. L’Administration civile est en fait une unité du ministère de la Défense, même si ses décisions ont davantage à voir avec des questions politiques que militaires.
Les pouvoirs de l’Administration civile sur la situation en Cisjordanie sont immenses. Elle est compétente pour l’approbation de nouvelles colonies, l’agrandissement des colonies existantes, l’expropriation de terres, et ainsi de suite. Si Ben Dahan, qui a récemment déclaré à la radio que « les Arabes sont des animaux, pas des êtres humains », obtient effectivement la direction de l’Administration civile, Michel Sfard pense que « ce sera comme donner au plus grand pyromane du quartier un baril bourré d’explosifs ».
Michel Sfard estime qu’il est peu probable que Netanyahou laisse le Foyer juif décider quand et où de nouvelles colonies verront le jour ou même quels nouveaux quartiers seront construits dans des colonies existantes en Cisjordanie. Netanyahou a eu une expérience amère avec Uri Ariel, qui, lorsqu’il était ministre de la Construction dans le dernier gouvernement, l’avait surpris en annonçant l’approbation de nouvelles unités de logement en Cisjordanie et à Jérusalem Est – ce qui avait été une cause majeure d’embarras pour Israël vis-à-vis des Etats-Unis et de l’Europe. Mais ce n’est pas impossible, selon Sfard, que les choses aillent aussi mal que cela.
Shimon Riklin, un éditorialiste et membre du Foyer juif, affirme que son parti veut ce poste « seulement afin que les droits des juifs et des Palestiniens en Judée et Samarie soient égaux » car les juifs, selon lui, sont victimes de discrimination par l’actuelle l’Administration civile.
La nomination comme vice-ministre de la Défense d’un homme issu du Foyer juif est donc vue comme un autre moyen de normaliser la présence israélienne en Cisjordanie et de donner aux colons l’impression qu’ils vivent en Israël et non pas dans des territoires occupés et contestés.
Il est certainement utile de booster la confiance en soi du Foyer juif, et de la communauté des colons en général, en leur montrant que l’un des leurs détient un poste sensible.
Au lieu d’exploiter sa victoire impressionnante lors des élections tenues il y a deux mois, Netanyahou s’est retrouvé le dos au mur avec une majorité mince comme la lame d’un rasoir après la décision d’Avigdor Lieberman de ne pas faire partie de son gouvernement. Netanyahou n’avait alors d’autre choix que de donner à Naftali Bennet, qu’il méprise personnellement et avec lequel il diverge politiquement, tout ce qu’il demandait. Bennet a réussi à tourner cela à son avantage et a demandé un ample contrôle des dossiers relatifs aux relations avec les Palestiniens, tant à l’intérieur d’Israël qu’en Cisjordanie.
Les exigences de Naftali Bennet ne constituent peut-être qu’une manœuvre politique, ou peut-être a-t-il vraiment l’intention d’utiliser ses nouveaux pouvoirs pour concrétiser ses idées. Dans les deux cas, il s’est nettement rapproché de ce baril d’explosifs.
- Meron Rapoport est un journaliste et écrivain israélien. Il a remporté le prix de journalisme international de Naples pour son enquête sur le vol d'oliviers palestiniens. Ancien directeur du service d'informations du journal Haaretz, il est aujourd'hui journaliste indépendant.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des colons juifs marchent vers la partie palestinienne de la ville d’Hébron.
Traduction de l’anglais (original).
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