Liaisons dangereuses : Israël et les chrétiens fondamentalistes
Le 14 mai, le pape François a officiellement reconnu l’Etat de Palestine à travers la signature d’un nouveau traité. Pour les Palestiniens, le 15 mai commémore la Nakba, ou catastrophe, quand près d’un million de Palestiniens ont été forcés de fuir leurs maisons et leurs villages et de vivre en exile. Le jour de la Nakba, dans le calendrier grégorien, suit la déclaration d’indépendance et l’établissement de l’Etat d’Israël en 1948.
La reconnaissance de la Palestine par le pape François a au moins deux mérites. Le plus évident et le plus important est que, ce faisant, le pape affirme le soutien de l’Eglise aux aspirations du peuple palestinien, lequel souhaite disposer de son propre Etat. Aussi important peut-être est que cette reconnaissance exprime la méfiance de l’Eglise catholique envers l’ascension des sionistes chrétiens fondamentalistes, envers leur pouvoir politique aux Etats-Unis et leur soutien fanatique à Israël. Les chrétiens fondamentalistes sionistes s’opposent catégoriquement à un Etat palestinien car celui-ci empêcherait la recréation d’un Israël biblique et mettrait un terme au rôle indispensable d’Israël dans leur vision biblique de la fin des temps.
Les chrétiens fondamentalistes sionistes ambitionnent de reconstruire l’Israël biblique, lui-même un mythe qui n’a pas reçu l’aval de la recherche historique ou archéologique. Une fois que l’insaisissable royaume de David, comprenant l’ensemble d’Israël, la Cisjordanie et Gaza, sera rétabli, Jésus Christ, le messie chrétien, retournera sur terre accompagné d’une légion d’anges et combattra les forces collectives du mal à Armageddon. On ignore où se trouve exactement Armageddon mais une fois que la bataille aura lieu, l’endroit devrait être facilement localisable. Une fois que Jésus vaincra les forces du mal, dont un groupe de méchants récemment ajouté - les Libyens – la paix, la prospérité et la bonté régneront sur terre.
Le prédicateur chrétien conservateur Pat Robertson a un jour suggéré à la télévision qu’Ariel Sharon avait été victime d’un accident vasculaire cérébral et que Yitzhak Rabin avait été assassiné parce qu’ils étaient en faveur d’une solution à deux Etats, laquelle diviserait l’ancien royaume biblique d’Israël.
Les Etats-Unis font face à une division d’une tout autre nature, caractérisée par une vaste disparité de revenus et de richesse et des inégalités entre les races qui, semble-t-il, ne seront pas résolues. Ils font face aussi au dilemme tout aussi insoluble de l’intolérance religieuse et de la bigoterie des chrétiens fondamentalistes délirants, encouragées par l’hypocrisie de politiciens opportunistes.
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Lors du discours du Premier ministre Benjamin Netanyahou devant le Congrès américain en mars dernier se trouvaient dans la salle deux hommes influents poursuivant un but commun mais fondamentalement différent, et tous deux pareillement essentiels à Netanyahou : le magnat des casinos et multimillionnaire Sheldon Adelson et l’artiste populaire vieillissant et représentant célèbre de la droite religieuse Pat Boone. Ce dernier a clairement éclipsé Adelson de par son influence sur l’électorat américain.
Pat Boone considère Netanyahou comme un ami. Pendant le discours de ce dernier, Boone portait une cravate sur laquelle figurait ostensiblement le drapeau d’Israël avec l’étoile de David. A cette occasion, Boone a déclaré à un journaliste que Netanyahou avait conscience du fait que les sionistes évangéliques chrétiens étaient « les plus fervents supporteurs d’Israël et [qu’ils] se comptent en dizaines de millions aux Etats-Unis ».
Pat Boone est devenu une icone pop au début des années 50 en couvrant, ou réenregistrant, des chansons de rhythm ‘n’ blues d’artistes noirs afin d’apaiser un public d’adolescents blancs. Cet homme de variété au talent modeste transforma l’énergie, la vitalité et la sensualité originelles de cette musique en un pop épouvantable, apathique et insipide pour une audience composée en majorité d’adolescents blancs qui n’avaient pas connaissance des versions originales.
Les chrétiens évangéliques constituent entre 30 et 50 % des électeurs dans certaines régions des Etats-Unis, principalement dans le sud et l’ouest du pays. Boone est extrêmement influent lorsqu’il s’agit d’acheminer leur soutien en faveur de candidats spécifiques, y compris lors des élections présidentielles. Son influence est également considérable en ce qui concerne le soutien à Israël.
Boone parraine actuellement une campagne menée par le rabbin orthodoxe Yechiel Eckstein, président de l’International Fellowship of Chrétiens and Jews (IFCJ). L’IFCJ a initié une campagne massive de levée de fonds aux Etats-Unis pour venir en aide, selon ses dires, aux personnes âgées vivant dans le dénuement en Israël. L’IFCJ a obtenu près de 115 millions de dollars en 2014. La nouvelle campagne menée par courrier postal grâce à des listes de distribution achetées prétend que des attaques commises depuis Gaza et des attentats à la bombe ont tué et estropié des milliers d’Israéliens. La lettre affirme que les ressources d’Israël ont été épuisées et que le gouvernement israélien ne peut plus prendre soin des personnes âgées et vulnérables.
(3 728 citoyens israéliens ont été tués dans des attaques terroristes entre 1948 et 2013, et quatre en 2014. 24 Israéliens ont été blessés dans des attaques terroristes cette même année. L’attaque israélienne contre Gaza en 2014 a fait à elle seule 2 310 morts et 10 895 blessés palestiniens.)
La lettre de levée de fonds contient également un soutien à Netanyahou.
Le salaire du rabbin Eckstein en 2012 est placé en cinquième position dans la liste des vingt-cinq plus hauts salaires du milieu associatif. Il est rémunéré 1,2 million de dollars par an, plus les à-côtés. Les indemnités payées à deux de ses filles et à l’un de ses beaux-fils s’élèvent à plus de 250 000 dollars.
Au cours des quinze dernières années, le sionisme fondamentaliste chrétien, en tant que mouvement politique, s’est développé de façon exponentielle tant en nombre qu’en sophistication politique. Les fondamentalistes chrétiens sionistes assimilent le soutien à Israël à une forme de révérence envers Dieu. La bénédiction divine de l’Amérique, pensent-ils, ne peut être séparée du soutien de l’Amérique à Israël.
Un sondage national mené par le Public Policy Polling (PPP) entre le 20 et le 22 février 2015 a révélé un chiffre étonnant : 57 % des électeurs républicains veulent modifier la constitution et faire du christianisme la religion officielle du pays. Seuls 30 % des républicains interrogés s’opposent à cette idée.
D’après les fondamentalistes chrétiens sionistes, Jésus Christ, malgré ses enseignements de pardon et de tolérance, sera curieusement impitoyable et vengeur à son retour sur terre. Selon leur croyance, suite à la bataille d’Armageddon, Jésus tuera les trois quarts des juifs de la planète pour n’avoir pas cru en sa mission divine lors de sa première apparition et pour leur complicité dans sa crucifixion. Le quart de juifs restant sera épargné parce qu’ils se convertiront au dernier moment au fondamentalisme chrétien. Les fondamentalistes seront conduits immédiatement au paradis et, une fois le carnage terminé, jouiront d’une béatitude éternelle. Les absurdités anthropomorphiques des fondamentalistes encouragent la divinité, selon leurs propres vœux, à se venger sur des juifs innocents.
Quatre des principaux candidats républicains à la présidence des Etats-Unis – le gouverneur du Wisconsin Scott Walker, le sénateur du Texas Ted Cruz, l’ancien gouverneur de l’Arkansas Mike Huckabee et le sénateur de Florida Marco Rubio – s’identifient comme des fondamentalistes chrétiens et partagent le même rejet de la création d’un Etat palestinien. Ils font également obstruction à l’idée d’une résolution pacifique du conflit israélo-palestinien.
Les fondamentalistes, en dépit de leurs croyances intéressées, ont obtenu des gains remarquables au sein de la structure du pouvoir politique des Etats-Unis. Le fait qu’ils puissent revendiquer comme étant des leurs ces républicains de premier plan pour la nomination du candidat de leur parti à la présidentielle est alarmant. Aucun d’entre eux ne croit à la solution à deux Etats pour résoudre le conflit israélo-palestinien, conformément aux élucubrations sur la fin des temps des chrétiens fondamentalistes sionistes.
- Morgan Strong est un ancien professeur d’histoire du Moyen-Orient et conseiller sur les questions relatives à cette région pour le programme « Sixty Minutes » de CBS News.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le 14 mai, le pape François a officiellement reconnu l’Etat de Palestine à travers la signature d’un nouveau traité (AFP).
Traduction de l’anglais (original).
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