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Les arrestations de militaires montrent la volonté de l’AKP de punir les gülenistes

Les arrestations de dix gendarmes turcs pour avoir enquêté sur des camions envoyés par les services de renseignement turcs en Syrie est un autre signe de la lutte actuelle du gouvernement turc contre le mouvement Gülen

À tous points de vue, il s’agissait d’un moment tout à fait humiliant pour un organisme gouvernemental.

Le 19 janvier, une colonne de camions voyageant à travers la province turque méridionale d’Adana a été arrêtée par la gendarmerie et forcée de révéler sa cargaison. Le personnel du convoi, appartenant apparemment aux services secrets turcs (MIT), a été contraint de descendre et a été menotté. Ensuite, la nouvelle a été annoncée par les médias turcs, accusant le gouvernement d’envoyer des armes aux rebelles extrémistes en Syrie.

Ce n’était pas les premiers camions à avoir été arrêtés. En fait, il semble y avoir eu une succession d’événements de ce genre. Zaman, le journal du mouvement Gülen, une confrérie soufie moderniste dont le dirigeant vit en exil aux États-Unis, a rapporté que des munitions en chemin vers la Syrie avait été saisies dans des camions le 7 novembre 2013 à Adana. Il ne s'agissait pas d'un événement isolé.

Le 1er janvier 2014, le gouverneur local aurait annulé la décision d’Özcan Şişman, un procureur local, lorsqu’il a voulu faire fouiller d’autres camions à Kirikhan. Ils étaient en chemin vers Öncüpınar, un poste-frontière donnant sur une partie de la Syrie qui aurait été encore à cette date sous le contrôle du groupe État islamique en Irak et au Levant (EI). Şişman a été contraint de démissionner. Le gouvernement a de nouveau déclaré que les camions étaient liés à l’aide humanitaire et ne devaient faire l’objet d’aucune ingérence. Ils étaient censés être en route pour aider les communautés turkmènes en Syrie. Cependant, un peu plus tard, certains porte-paroles turkmènes ont jeté un doute sur ce point.

Des représailles s’en sont suivies. La semaine dernière, les autorités turques ont annoncé que dix autres officiers et soldats impliqués dans la fouille de camion du 19 janvier 2014 avaient été arrêtés et inculpés et seraient jugés. Ces arrestations s’ajoutent aux quarante-sept arrestations précédentes dans cette affaire et suggèrent qu’un procès de masse est à prévoir. Des sources progouvernementales telles que les agences de presse Anatolie et Yeni Safak relient les arrestations à la volonté d’éliminer le mouvement Gülen et de punir ses partisans occupant des postes gouvernementaux.

Jusqu’à ce que les actes d’accusation du ministère public soient présentés au tribunal, on ne peut que tenter de deviner la nature des preuves sur lesquelles ils reposeront. Cependant, l’hostilité entre les gülenistes présents au sein du système judiciaire et le MIT est manifeste depuis quelques années. Le 7 février 2012, des procureurs soupçonnés d’être liés aux gülenistes ont tenté de faire arrêter Hakan Fidan, directeur du MIT, pour ses négociations secrètes avec les dirigeants kurdes, lesquelles ont finalement conduit au cessez-le feu avec le PKK. Du point de vue du gouvernement de l’AKP (Parti pour la justice et le développement), ce sont les gülenistes qui ont lancé les hostilités.

Lorsque les camions ont été arrêtés, cette querelle avait atteint son apogée avec les tentatives d’arrestation d’alliés majeurs du gouvernement, y compris les fils de quatre ministres, pour corruption. Ils ont été libérés et les poursuites ont été abandonnées. Le 12 mai dernier, le coup de grâce a été porté lorsque les procureurs responsables des arrestations pour corruption de décembre 2013 ont été privés de leur qualification professionnelle par l’organe judiciaire suprême de la Turquie, le Haut Conseil des juges et des procureurs (HSYK).

Le gouvernement considère évidemment les fouilles de camions en 2013-2014 dans le cadre de la tentative avortée par les gülenistes pour le déloger. Et il ne fait pas de quartier. Il y a un mois, la menace güleniste a été incluse dans un document secret officiel relatif aux dangers stratégiques auxquels fait face le pays.

En lui-même, un mouvement soufi ne semblerait pas présenter un danger stratégique évident pour la Turquie mais plutôt, peut-être, un défi politique. Toutefois, le gouvernement a récemment étendu ses accusations contre les gülenistes, laissant suggérer qu’une sorte de pacte se dessinait entre le leader du mouvement, Fethullah Gülen, et l’Iran. Il est surprenant que les autorités lancent une telle accusation : l’Iran et la Turquie ont normalement entretenu d’assez bonnes relations de travail, et une récente visite officielle à Téhéran par le Président Erdoğan s’est déroulée sans incident, en dépit des remarques sévères qu’il a faites avant de partir. Quant à M. Gülen, il n’a pas montré beaucoup de tendresse envers l’Iran dans le passé. Pour autant que l’on sache, ses opinions internationales ont tendance à être globalement conformes à celles des États-Unis.

Toutefois, selon les dernières allégations en date, les dix soldats arrêtés appartiendraient à une organisation islamiste pro-iranienne appelée Selam Tevhid en turc (Paix et Unicité/Tawhid) ou l’« armée de Jérusalem ». Ce corps de l’ombre serait une ramification du Hezbollah et serait responsable de l’assassinat de leaders turcs laïcs tels que le journaliste Uğur Mumcu dans les années 1990. Encore une fois, il est presque aussi surprenant de trouver des partisans présumés du Hezbollah parmi les militaires turcs encore majoritairement laïcs que de penser que M. Gülen est de mèche avec Téhéran. Le temps montrera si les preuves sont solides.

Certains peuvent voir une sorte de justice poétique dans ces accusations. Les gülenistes autrefois présents au sein de l’appareil judiciaire sont tenus responsables de l’ouverture des procès massifs mais peu solides des complots Ergenekon et Balyoz (Sledgehammer) pour lesquels des centaines de militaires de haut rang ont été emprisonnés pendant des années sur la base de ce qui est désormais généralement considéré comme des preuves forgées de toutes pièces. Toutefois, dans l’affaire de la fouille de camion à Adana, les hommes arrêtés semblent être pour la plupart des jeunes qui obéissaient à des ordres de leurs supérieurs. Ils sont maintenant désignés dans les médias comme membres de Selam Tevhid.

En outre, les arrestations ont renouvelé la publicité malvenue autour du fait que quelque chose est passé de Turquie en Syrie sous auspices officiels et que cela continue peut-être encore. La frontière est extrêmement poreuse. L’attitude de la Turquie envers le groupe EI n’était pas claire début 2014. Elle est désormais fermement hostile. Le 22 avril, par exemple, le Président Erdoğan a dénoncé le groupe EI comme « un grave virus qui tente de briser l’oumma [communauté islamique mondiale] ». Yasin Aktay, vice-président de l’AKP, a déclaré que toute l’aide contenue dans les camions pour la Syrie n’est pas destinée au groupe EI, mais à l’Armée syrienne libre.

Des poursuites telles que celles des dix soldats de la gendarmerie vont probablement se poursuivre – un rappel que même si la Syrie est en bonne place sur la liste des priorités des autorités turques, la lutte contre les partisans du mouvement Gülen la devance.
 

David Barchard a travaillé en Turquie en tant que journaliste, consultant et professeur d’université. Il écrit régulièrement sur la société, la politique et l’histoire turques et termine actuellement un livre sur l’Empire ottoman au XIXe siècle.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : tour d’observation turque dans le district de Nusaybin, à la frontière avec la ville de Kameshli, au nord de la Syrie (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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