La politique de la peur d’Israël mise à mal par le mouvement BDS
Depuis la mi-mai, les sujets sur le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions — la campagne internationale pro-palestinienne visant, entre autres, à faire pression sur Israël afin que le pays agisse dans le respect du droit international — font la une des médias. Les efforts qu’ont déployés les Palestiniens pour exclure Israël de la FIFA, l’organisme mondial de régulation du football, ont rappelé au public israélien qu’il ne suffit pas d’ignorer les Palestiniens pour les faire disparaître.
Un certain nombre d’artistes ont annoncé récemment qu’ils souhaitaient annuler leurs performances en Israël, ce qui a renforcé le sentiment chez de nombreux Israéliens que leur pays se trouvait de plus en plus isolé. Alors que l’Union nationale des étudiants britanniques a publiquement soutenu le BDS ce mois-ci, les responsables d’universités israéliennes ont pris contact avec le Président Reuven Rivlin pour mettre en garde contre la croissance du mouvement de boycott académique.
Un débat mené dans l’urgence à la Knesset (le parlement israélien), la semaine dernière, sur la question du mouvement BDS s’est vite transformé en un échange musclé entre hommes politiques désorientés et mal informés. Tous ont fini par voter à l’unanimité la nomination d’un comité spécial pour décider quelles commissions de la Knesset devront débattre prochainement du BDS.
Les effets du BDS sur l’économie israélienne
Le mouvement BDS, fondé en 2005, a longtemps été considéré par les autorités israéliennes comme une quantité négligeable ; même les plus farouches détracteurs de la politique israélienne doutaient que le BDS suffise à engendrer un changement de politique en Israël.
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Alors que le BDS prend de l’ampleur dans le monde entier et que tous les Israéliens se familiarisent avec ce mouvement, la question de savoir dans quelle mesure il affecte l’économie israélienne est plus fréquemment évoquée par ses défenseurs et ses opposants. J’ai personnellement été récemment interrogé sur le sujet par un producteur de la chaîne israélienne 10.
En 2014, le Réseau palestinien de recherche sur la politique économique (MAS) a publié une analyse relative aux effets du BDS sur l’économie israélienne. Plus tard dans l’année 2014, le Centre de recherche de la Knesset a publié un rapport sur l’impact du BDS. Les deux rapports ont rendu des conclusions diamétralement opposées.
Les militants en faveur du BDS ont souligné que ce mouvement avait connu de nombreux succès, qu’il avait pris rapidement de l’ampleur et touchait la plupart des secteurs de l’économie israélienne. En revanche, le rapport de la Knesset a conclu que le BDS n’a pas eu d’effet perceptible sur les exportations israéliennes. Mais comment un rapport interne du ministère des Finances, divulgué par la presse le 8 juin dernier, pourrait-il reconnaître l’importance des répercussions du BDS sur l’économie ? Il met toutefois en garde contre le risque d’effets dévastateurs sur l’économie israélienne d’un soutien du BDS par les gouvernements étrangers.
Le rapport d’évaluation publié le même jour par le RAND Institute indique que la résistance non violente des Palestiniens à l’occupation renforcera les effets néfastes du BDS pour Israël, privant l’économie du pays de 2 % de son PIB.
Qui a raison ?
Aucun des deux rapports n’a accès aux données qui permettraient de répondre véritablement à la question : à savoir, les informations permettant d’évaluer le montant que les entreprises israéliennes ont perdu en raison du BDS.
La société française Orange est arrivée à la conclusion qu’il n’était plus dans son intérêt de faire des affaires avec Israël. Un communiqué diffusé par le PDG d’Orange, Stéphane Richard, indiquant qu’il souhaitait mettre fin à la présence de sa société en Israël, a provoqué un véritable tollé dans ce pays. La colère ne s’est pas apaisée, même après les excuses du chef d’entreprise et la dénonciation du mouvement BDS par le ministre des Affaires étrangères et le Président français.
Chaque société prend sa propre décision, et plusieurs d’entre elles (notamment Deutsche Bahn, G4S, PGGM, Unilever, Veolia et biens d’autres encore) se sont déjà rendu compte que leur participation à l’économie israélienne ou dans les colonies israéliennes illégales était néfaste, et cherchent un moyen d’en sortir. Jusqu’à présent, pourtant, la plupart des sociétés ayant une activité en Israël préfèrent garder le silence sur l’impact du BDS.
Le BDS peut-il essuyer une défaite ?
Étant donné que les sociétés israéliennes choisissent de garder le secret, l’action du gouvernement israélien – qui nomme un ministre pour lutter contre le BDS et une équipe spéciale au sein du ministère de la Culture, pendant que Sheldon Adelson, le milliardaire américain propriétaire du quotidien Israel HaYom, organise une réunion de crise en vue de discuter du BDS – apparaît comme un coup d’épée dans l’eau.
Lors de cette réunion, Haim Saban, milliardaire pro-israélien propriétaire de l’Israeli Partner corporation (qui utilise la marque Orange), a averti qu’après les représailles prises à l’encontre d’Orange, les entreprises « réfléchiraient à deux fois avant de s’en prendre à Israël ».
Ce message, qui s’adresse aux entreprises internationales, signifie qu’elles sont les bienvenues si elles veulent investir en Israël, mais qu’elles ne seront pas autorisées à se retirer sans faire les frais d’une campagne de dénigrement. Pour les entreprises internationales, la seule réponse raisonnable à une telle menace est de garder leur distance par rapport à l’économie israélienne.
En raison de la réaction de panique en Israël, les entreprises ne peuvent en effet pas prendre leur décision en fonction de l’aspect « purement commercial ». Les politiciens israéliens ont précisé qu’acheter des produits israéliens n’était pas uniquement une décision commerciale, mais également un acte de soutien à la politique israélienne. C’est précisément l’argument qui convainc de plus en plus d’individus, d’organisations et de sociétés à travers le monde de soutenir le BDS.
Lorsqu’il s’agit de convaincre les consommateurs, les chefs d’entreprises et les investisseurs de participer à l’économie israélienne, les menaces, la propagande de l’État et la criminalisation du soutien au boycott à l’intérieur d’Israël produisent généralement l’effet inverse, contribuant à accroître le poids du BDS.
Lors du débat à la Knesset, la ministre de la Justice, Aleyet Shaked, a déclaré que la lutte contre le BDS avait connu de « nombreux succès » : certaines sociétés s’étant laissé convaincre de ne pas boycotter l’économie israélienne et certains gouvernements de ne pas lui imposer de sanctions. Quelques années auparavant, il aurait pourtant été inconcevable de décrire cela comme un « succès » de la machine extrêmement bien rôdée des relations publiques israéliennes.
En avril, des soldats israéliens ont expulsé des Palestiniens qui se baignaient dans une piscine naturelle en Cisjordanie, afin que les colons puissent profiter du lieu sans être dérangés. De tels actes d’apartheid, commis quotidiennement et ouvertement, influencent bien davantage le débat sur le BDS que les efforts déployés par Israël en matière de relations publiques.
Le BDS fonctionne
Cependant, la voie à suivre par le public israélien pour relâcher la pression du boycott est toute tracée. Le BDS ne cherche pas à nuire à l’économie israélienne et n’a pas l’intention de punir Israël pour ses violations du droit international (il y a des tribunaux internationaux pour cela). Le BDS est un mouvement qui s’appuie sur le respect des droits, et l’appel lancé par les Palestiniens pour soutenir le BDS a très clairement réclamé l’égalité des droits pour tous les citoyens israéliens, la fin de l’occupation et le droit pour les réfugiés palestiniens de rentrer sur leurs terres.
L’objectif du BDS n’est pas de détruire Israël en vue de la reconnaissance de ces droits, mais d’obliger le public israélien à réfléchir aux inégalités et à la discrimination qui existent en Israël/Palestine.
Si les Israéliens comprennent que la communauté internationale n’est pas prête à accepter sans mot dire la politique et les attaques militaires de leur gouvernement, et si cette prise en compte entraîne un changement politique vers la démocratie et l’égalité, le mouvement BDS aura atteint ses objectifs.
- Shir Hever est un étudiant de troisième cycle à l’université libre de Berlin et chercheur en économie à l’Alternative Information Centre.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : une action du BDS visant la chaîne de magasins sud-africaine Woolworths, le 24 octobre 2014 (AFP).
Traduction de l’anglais (original).
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