Irak : le Vietnam d'Obama
« L'histoire ne se répète pas », plaisantait Mark Twain. « Mais elle rime. »
En 1968, Richard Milhous Nixon accéda au pouvoir avec la promesse qu'il mettrait fin à la guerre engagée par son prédécesseur. Deux mois après sa prise de fonctions, cependant, le nombre de soldats américains morts au combat était de 4 000 et les stratèges militaires n'en voyaient pas la fin.
En bref, la promesse du président Nixon de mettre fin à la guerre se transforma en intensification dramatique des forces militaires américaines. Moins de deux mois après sa prise de fonctions, le président Nixon lança une campagne secrète de bombardements au Cambodge, augmenta les bombardements au Sud-Vietnam et les offensives au sol furent plus nombreuses.
En 1972, plus de 50 000 soldats américains étaient morts au combat et une étude menée par le British Medical Journal, en 2008, rapportait 1,7 million de morts vietnamiens, militaires et civils, au cours des années d'offensive américaine, 1965-1974.
Après sept ans d'opérations de combat, les réactions négatives du peuple américain vis-à-vis de la guerre entraînèrent « un retrait honorable ».
En 2008, Barack Hussein Obama accéda au pouvoir avec la promesse de mettre fin à la guerre engagée par son prédécesseur en Irak. Cette guerre qui, par coïncidence, représentait sept ans d'opérations militaires, avait selon une étude académique provoqué la mort de presque 500 000 irakiens entre 2003 et 2011, les années d'offensive américaine.
Les populations autochtones ressentirent dans les deux pays les effets dévastateurs de l'occupation militaire américaine, dont le déplacement de réfugiés, les malformations congénitales et les traumatismes psychologiques et physiques, ceci longtemps après le retrait des troupes américaines.
Si le 44ème président des Etats-Unis a réalisé, du moins d'un point de vue américain, un « retrait honorable » en 2010, la fin de sa présidence sera marquée par une escalade de la force militaire américaine en Irak et son successeur sera élu avec sans doute pour mandat de mettre fin à ou de gagner la guerre d'Obama.
J'ai évidemment fait une comparaison Vietnam-Irak. Ennuyeux. Une comparaison utilisée chaque fois que les militaires américains ont mis les pieds à l'étranger. Mais étonnamment les similitudes sont à présent telles qu'il est presque impossible de ne pas être stupéfait, à moins de croire à des mondes parallèles ou à la magie. En d'autres mots, les similitudes riment vraiment.
« La seule chose que nous apprenons de l'histoire est que nous n'apprenons rien de l'histoire » a écrit Steve Chapman dans un éditorial pour le magazine Reason. Etablissant un parallèle surprenant entre les engagements américains en Irak et au Vietnam, Steve Chapman déclare : « Un gouvernement corrompu, qui a aliéné une grande partie de son peuple, se trouve dans l'incapacité de surmonter une insurrection croissante dans une guerre civile interminable et s'attend à ce qu'une superpuissance, de l'autre côté du monde, vienne à son secours ».
Le président Obama a annoncé mardi le déploiement de 500 « conseillers militaires » supplémentaires avec pour mission d'aider les forces irakiennes à reprendre la ville de Ramadi et d'empêcher que Bagdad ne tombe aux mains de l'Etat islamique (EI).
Au cas où une autre comparaison avec le Vietnam vous ait échappé, les Américains appliquent à présent à Daech la théorie des dominos des années 60 : Si Ramadi tombe, pense-t-on, Bagdad tombera également ainsi que tout le Moyen-Orient dominé par les sunnites.
En 1961, le président John Fitzgerald Kennedy était persuadé que si le Vietnam tombait entre les mains des communistes, il en serait de même de tous les pays d'Asie du sud-est de la région.
En 1961, le président Kennedy annonça qu'il enverrait 1 000 « conseillers militaires » afin que Saigon ne tombe pas entre les mains du nord communiste.
L'annonce par Obama de l'envoi de 500 « conseillers militaires » supplémentaires a été faite moins de 24 heures après qu'il ait déclaré : « Nous n'avons pas encore de stratégie définie pour combattre Daech ». Le même jour, un porte-parole du département d'Etat disait ceci : « Si la coalition dirigée par les Etats-Unis s'engageait totalement, il faudrait trois à cinq ans pour combattre Daech ».
En 2008, plus de 150 000 soldats américains étaient déployés en Irak. Il est probable que le mot « totalement » se réfère à ce niveau d'engagement et d'escalade.
Bien que personne au sein de l'administration Obama ne parle de s'engager « totalement », et étant donné qu'une décision finale de la Maison Blanche doive encore être annoncée, il apparaît qu'après des mois de discussions en coulisse, la décision d'accélérer les combats ait été prise.
Maintenant, soyons clairs, la signification de l'expression « conseiller militaire » n'est pas aussi simple qu'elle le paraît. Si les responsables américains définissent le rôle des « conseillers militaires » comme étant réduit à des formations et des consultations, leur programme est sans aucun doute beaucoup plus vaste. Ces « conseillers militaires » appartiennent généralement à des forces spéciales aguerries.
Le Kurdistan sous le contrôle des forces des Peshmergas ne représente pas pour les soldats américains la même menace que la province d'Anbar contrôlée par Daech. Il est donc probable que les « conseillers militaires » envoyés dans cette province subiront des pertes considérables, ce qui engendre un certain nombre de divergences quant à la question suivante : que se passera-t-il après qu'une douzaine de « conseillers militaires » aient été tués dans un attentat par VBIED (engin explosif improvisé placé dans un véhicule) du style Daech ?
Que se passera-t-il lorsque Daech capturera vivant un agent des forces américaines ? Et que se passera-t-il si, à Dieu ne plaise, les prisonniers américains sont exécutés et leur exécution mise en scène dans un film de propagande de Daech, à grande diffusion ?
La réponse trop facilement prévisible à tout ce qui précède sera le déploiement de troupes américaines supplémentaires. Une escalade des forces armées sans stratégie définie est exactement ce qui s'est produit lors de l'engagement des Américains au Vietnam. En 1963, Kennedy avait augmenté le nombre de « conseillers militaires » de 500 en 1961 à 11 000 en 1962. Au début de l'année 1963, trois membres de l'équipage d'un hélicoptère américain furent tués lors du transport de troupes sud-vietnamiennes dans une intervention contre le Viet Cong. A la fin de la même année, plus de 50 militaires américains avaient été tués en opérations.
Les pertes américaines furent l'un des principaux moteurs de la dérive de l'intervention au Vietnam et, en 1964, le président Lyndon Johnson proposait le même scénario que le président Obama aujourd'hui. « Nous n'abandonnerons pas Saigon et n'avons pas l'intention d'envoyer des troupes américaines au combat », disait LBJ. En d'autres termes, LBJ, comme le président Obama aujourd'hui, pensait que des « conseillers militaires » suffiraient à sauver le gouvernement corrompu du Sud-Vietnam.
Lorsque Obama dit qu'il n'y a « pas encore de stratégie définie » pour combattre Daech, il sous-entend qu'il n'y aura jamais de stratégie américaine définie pour combattre Daech en Irak. La non-stratégie actuelle consiste à armer, financer et former des tribus sunnites dans la province d'Anbar afin de combattre Daech.
Nonobstant le défi de convaincre les tribus, que nous avons déjà convaincues de combattre al-Qaïda en Irak (AQI), de combattre à présent Daech - sans oublier que nous avons, ainsi que le gouvernement central irakien abandonné lesdites tribus sunnites en 2010 - il est impossible d'éliminer Daech en Irak sans stratégie pour le combattre en Syrie.
Même si les Etats-Unis peuvent aider l'armée irakienne à reprendre la province d'Anbar et le nord de l'Irak, Daech se réintroduira dans le territoire qu'il contrôle en Syrie et attendra les Américains. Comme ce fut le cas au Vietnam, l'ennemi en Irak (Daech) n'a pas besoin de gagner ; ils doivent simplement résister.
Pour souligner ce casse-tête, l'intervention américaine en Irak a le soutien de l'Iran. En Syrie, elle devra faire face à l'opposition iranienne, celle-là même qui a alimenté le mouvement initial contre l'intervention américaine en Irak.
Vaincre Daech en Irak pourrait dépendre d'une composante militaire américaine, mais dépendra davantage de la volonté politique du peuple irakien. Les Etats-Unis ne peuvent pas faire de l'Irak le pays uni qu'il n'a jamais été. Nous ne pouvons fournir l'indispensable volonté de combattre. Nous avons essayé au Vietnam et avons échoué. Les soldats vietnamiens s'enfuyaient régulièrement de leurs postes ou rejoignaient l'autre côté. « Il serait souhaitable qu'ils soient de notre côté » faisaient fréquemment remarquer les officiers américains, comme l'écrivit Stanley Karnow dans « Vietnam : A History ».
Comme pour souligner cette remarque, Mossoul est tombée aux mains de Daech moins de quatre ans après le retrait des troupes américaines d'Irak. Saigon est tombée aux mains du nord communiste à peine deux mois après la défaite américaine. La solution ne consiste pas à occuper en permanence. En dépit des propos des faucons et des néo-conservateurs américains, l'armée américaine ne peut se permettre d'occuper toujours et partout.
Mais étant donné que la présence militaire américaine en Irak est passée de zéro à 3 000 au cours des douze derniers mois, et qu'il faut s'attendre à plus de pertes américaines, les faucons et les néo-conservateurs américains réclameront plus de bombardements et une augmentation des troupes, sans stratégie définie pour amener une paix durable en Irak. Et il est peu probable qu'ils y parviennent. Pour quelle raison ? Les Etats-Unis n'ont tiré aucun enseignement du Vietnam.
Mark Twain avait tort : l'histoire, telle qu'elle se déroule, peut se répéter et le fait souvent.
- CJ Werleman est l'auteur de Crucifying America, God Hates You. Hate Him Back, Koran Curious, et est l'invité de Foreign Object. Suivez-le sur twitter : @cjwerleman
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Les soldats américains de la 3ème Stryker Brigade Combat Team et de la 2ème division d'infanterie patrouillent Dora en Irak en 2007 (Wikicommons)
Traduction de l'anglais (original) par Green Translations, LLC.
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