Le siège de Gaza encourage les habitants à innover
Dans la foulée de l’arrivée au pouvoir du Hamas à Gaza en 2006, Israël a imposé un blocus contre l’enclave littorale. Largement décrit comme une « punition collective », celui-ci a entraîné une grave crise humanitaire.
Depuis le début du blocus, trois offensives israéliennes, les dénommées opérations Plomb durci (2009), Pilier de défense (2012) et Bordure protectrice (2014), ont chacune accentué la crise en détruisant des milliers de maisons et en dévastant les vivres et autres fournitures de base dans la bande de Gaza.
Les conditions difficiles rencontrées à Gaza peuvent être illustrées par la lutte quotidienne des habitants pour accéder à l’électricité, qui est maintenant considérée comme un luxe, les coupures pouvant durer seize à dix-huit heures par jour. Cette réalité affecte depuis des années la vie des habitants, qui doivent planifier leurs activités quotidiennes autour des quatre à six heures restantes en anticipant les heures de disponibilité de l’électricité.
L’unique centrale électrique de Gaza, construite en 2004 pour tenter d’apaiser la situation, a été bombardée par Israël pendant la guerre de cinquante-et-un jours qui a fait rage l’été dernier ; dans le même temps, Israël limite également de manière régulière l’approvisionnement en électricité et en combustible industriel, ressources nécessaires pour alimenter la centrale.
Outre la raréfaction de l’électricité, le siège a entraîné une pénurie de ciment et de matériaux de construction qui, couplée aux destructions à grande échelle, oblige de nombreuses familles à vivre dans des refuges temporaires.
Bien que la situation à Gaza soit désastreuse, celle-ci a également poussé bon nombre de Gazaouis à inventer de nouvelles façons de vivre, d’accéder aux fournitures de base et de vaquer à leurs occupations quotidiennes.
Des fours en argile
Chaque matin, depuis la guerre de l’été dernier à Gaza, Um Ahmad Radwan et sa voisine Um Attiya portent des plateaux de pâte pétrie jusqu’à un four d’argile situé dans le quartier d’Azzanah, à l’est de Khan Younis, dans la bande de Gaza. Dans ce four d’argile, les deux femmes font cuire du pain et préparent la nourriture pour leur famille.
En sortant des miches de pain fraîchement cuit du four chaud, Um Ahmad, une mère approchant la cinquantaine, explique la situation à MEE : « Um Attiya et moi-même avons acheté ce four après la guerre et nous en sommes devenues fortement dépendantes à cause de la pénurie d’électricité et de gaz dans la bande de Gaza. »
Les deux voisines ont acheté leur four en argile à une habitante locale, Nawraz, qui fabrique des fours depuis douze ans. Si la demande concernant ce produit était minime avant la guerre, Nawraz, 48 ans, affirme que de plus en plus d’habitantes locales se contentent désormais de ses fours.
« Depuis la fin de la guerre, un plus grand nombre de Gazaouis ont demandé des fours en argile. Aujourd’hui, je vends cinq à sept fours par mois, alors qu’avant la guerre, je n’en vendais que trois tout au plus sur la même période de temps », a confié Nawraz à MEE.
Nawraz utilise des barres de fer, du ciment et de l’argile pour fabriquer ses fours qu’elle vend ensuite environ 100 shekels (environ 23 euros) chacun. Comme pour Um Ahmad, les fours en argile ont aidé les femmes de Gaza à préparer de la nourriture et à cuire du pain alors que le courant nécessaire pour faire fonctionner les cuisinières électriques et à gaz se fait de plus en plus rare.
Bien que les deux femmes se réjouissent d’avoir trouvé cette petite invention, elles sont frustrées de devoir passer de longues heures devant un four chaud tous les jours.
« Est-ce une vie ? Nous passons la majeure partie de notre journée assises ici, à côté de ce petit four, juste pour faire cuire assez de pain pour nos familles », explique Um Ahmad à MEE.
Um Attiya, qui vivait dans une maison modestement meublée à l’est de la bande de Gaza (sa maison a été complètement détruite lors de l’offensive de l’été dernier), a exprimé des sentiments similaires de détresse et de fatigue.
« Nous avons un accès très limité au gaz de cuisine et l’électricité n’est pas disponible de façon régulière. Il est de plus en plus difficile de supporter des coupures de huit heures », a déploré Um Attiya en enveloppant son pain cuit dans un tissu de couleur unie.
Du carburant à base de plastique
En plus des coupures de courant, le carburant s’est également raréfié dans la bande de Gaza, étant donné que les fournitures acheminées auparavant depuis l’Égypte par le poste frontière de Rafah et via des tunnels souterrains ont diminué.
Pour apporter une alternative à la pénurie de carburant, Ibrahim Soboh, 55 ans, et son fils Mahmoud, ont inventé une ligne de production de carburant exploitant des matériaux plastiques collectés autour d’eux, dans le camp de réfugiés d’al-Nusairat, dans le centre de Gaza.
« Nous avons dû trouver cette idée car les coupures de courant sont devenues la norme et le carburant s’est fait de plus en plus rare sur le marché local », a précisé Soboh.
Indiquant une machine à l’aspect rudimentaire composée d’un chauffe-eau couvert d’argile relié à un tonneau en plastique et à un réseau de tuyaux en zigzag, Soboh explique comment son dispositif artisanal produit du carburant du haut du toit de sa maison.
« La première fois que nous avons testé la machine, nous avons utilisé une cinquantaine de kilogrammes de plastique collecté dans des installations voisines de fabrication de plastique », a-t-il ajouté.
« Avec cela, nous avons réussi à produire 35 litres de carburant brut, que nous avons ensuite utilisé pour faire fonctionner un groupe électrogène, une moto et une camionnette », a expliqué Soboh.
Malgré son succès initial, la production de carburant de Soboh a chuté au cours des derniers mois, avec l’apparition de plusieurs nouveaux défis.
Outre la matière plastique en soi qui est de moins en moins abordable, Soboh et son fils expliquent qu’un outil pour distiller le carburant est nécessaire pour poursuivre la production.
« La fumée produite par la combustion de matière plastique se transforme en un carburant liquide, mais on ne peut pas séparer l’essence du diesel. Nous avons besoin d’une machine de séparation qui coûte environ 18 000 dollars », a indiqué Soboh à MEE.
Soboh craint également que chauffer de la matière plastique à l’aide de bois de chauffage ne mette en danger les habitants locaux en les exposant à des gaz toxiques.
« L’utilisation de bois de chauffage pour faire fondre le plastique est, en toute franchise, très risqué pour notre quartier, mais l’alternative plus sûre – un chauffe-eau électrique qui utilise une alimentation électrique à haute tension et prolongée – ne serait pas viable pour nous à Gaza », a-t-il déploré, en référence aux coupures de courant continues.
Soboh, titulaire d’un diplôme en génie électronique obtenu il y a trente ans, espère désormais que son projet puisse être parrainé par un organisme local ou international.
Des maisons en sable
Onze membres de la famille Aler vivent dans une maison de 100 mètres carrés construite en sable qui a remplacé leur maison de ciment détruite pendant l’offensive israélienne contre Gaza en 2009.
La mère de famille, Umm Hayel, a confié à MEE que malgré le caractère temporaire de sa maison en sable, elle se réjouit du fait que sa famille ne soit pas contrainte de survivre dans une tente ou un préfabriqué, comme beaucoup de Gazaouis suite aux trois récentes guerres.
« L’été, il fait frais à l’intérieur, mais les hivers sont difficiles puisque l’eau de pluie coule à travers les fissures. Je reste reconnaissante pour ce que nous avons », a-t-elle indiqué à MEE.
L’idée de construire des maisons en sable est née en 2009, lorsque l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans la bande de Gaza (UNRWA) a apporté à Emad al-Khaldi, un ingénieur local, des fonds pour concevoir et superviser la construction de quatre maisons, pour un coût total de 17 000 dollars.
Khaldi travaille actuellement sur une version améliorée des maisons en sable qui, espère-t-il, pourra être exploitée pour construire des abris pour de nombreux habitants de Gaza qui ont perdu leur maison pendant la guerre de l’été 2014.
« L’intégralité de la maison sera construite en sable, mais j’espère que nous pourrons désormais intégrer une couche d’isolation pour assurer une protection contre la pluie et l’humidité », a indiqué Khaldi à MEE.
D’après le ministère gazaoui du Logement, la guerre menée par Israël en 2014 a détruit environ 18 000 maisons à Gaza. Bien qu’un débat international ait été engagé autour des efforts de reconstruction, le processus n’a pas encore commencé.
En octobre dernier, les donateurs internationaux, qui se sont réunis à Charm el-Cheikh, station balnéaire égyptienne bordant la mer Rouge, ont promis un total de 5,4 milliards de dollars pour la reconstruction de la bande de Gaza, déchirée par la guerre.
L’Union des entrepreneurs palestiniens de Gaza a estimé que la reconstruction des maisons détruites pendant la guerre nécessite au moins 5,5 millions de tonnes de matériaux de construction bruts, dont 1,5 million de tonnes de ciment. Or selon le ministère palestinien du Logement, Israël a permis l’entrée de seulement 120 000 tonnes de ciment depuis octobre 2014.
« Je crois que nous sommes vraiment chanceux d’avoir cette maison en sable alors que d’autres sont obligés de vivre dans des abris en tôle installés dans des écoles », a confié Moshref, le mari d’Umm Hayel.
« J’espère cependant que la communauté internationale commencera à répondre à nos besoins avant que Gaza ne s’écroule complètement », a-t-il conclu.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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