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Le chemin ensanglanté de l’Égypte vers la « démocratie »

Soutenue par une cohorte de tyrans et les puissances occidentales, l'Égypte est loin de devenir le paradis promis de la démocratie, de la stabilité et de la prospérité

Le 5 juillet 2013, deux jours après un coup d'État militaire, le premier président égyptien Islamiste démocratiquement élu Mohamed Morsi, s’est vu retiré l’un de ses partisans : Mohamed Sobhy, abattu d’une balle dans la tête à bout portant en plein jour.

Les livres d'histoire se souviendront de Mohamed Sobhy. Ils se souviendront que la mare de sang entourant son visage barbu sur l'asphalte brûlant ce jour-là a été la première dans l'océan de sang versé au cours des années suivantes.

Mohamed Sobhy avait rejoint des centaines de manifestants devant le club de la garde républicaine où les partisans de Morsi le croyaient détenu illégalement. Un soldat qui montait la garde devant l'entrée du club derrière un siège de barbelés a tiré sur Sobhy à bout portant alors qu’il approchait de la barricade en tenant une affiche du président déchu.

Cinq autres manifestants ont été abattus ce jour-là.

La junte militaire a tenu Morsi dans un lieu tenu secret pendant soixante-seize jours, perpétuant l'agression de l'État et ses représailles qui ont coûté des centaines de vies.

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Trois jours plus tard, au même endroit, selon un rapport de Human Rights Watch, l'armée a dispersé une manifestation des Frères Musulmans, tuant au moins 61 manifestants. Deux agents de sécurité ont également été tués.

Plus de décès s’en sont suivis, le 27 juillet, un jour après que le dirigeant de facto de l'Égypte, puis ministre de la Défense Abdel Fattah al-Sisi ait demandé aux Égyptiens de lui donner un mandat pour « combattre le terrorisme » lors d’une manifestation de masse. La plupart des 95 victimes ce jour-là ont été tuées avec un seul tir dans la tête ou dans la poitrine.

Dans ce qu’Human Rights Watch décrit comme des crimes probables contre l'humanité, le 14 août, la police renforcée par des soldats de l'armée a dispersé les deux manifestations pro-légitimité à Rabaa Al-Adawiya et sur la place de Al-Nahda au Caire, tuant au moins 1 000 personnes. Un petit nombre de manifestants de Rabaa a répondu à la police en tirant à leur tour, tuant sept policiers.

« Sur la place de Rabaa, les forces de sécurité égyptiennes ont réalisé l’un des plus grands massacres de manifestants au monde dans l'histoire récente, en une seule journée », a déclaré Kenneth Roth, directeur exécutif de HRW. « Ce ne fut pas seulement un cas de force excessive ou de mauvaise formation. Ce fut une répression violente planifiée au plus haut niveau du gouvernement égyptien. »

Et le 18 août, 37 détenus ont été gazés à mort à l'arrière d’un étouffant camion de la police garé dans la cour de la prison d'Abou Zaabal où ils ont été laissés pendant six heures sans ventilation et sans eau, puis ont été attaqué avec des grenades lacrymogènes, sous prétexte d’empêcher une tentative d'évasion. Les jours d’après, 25 conscrits ont été tués dans le Sinaï par des extrémistes islamistes irrités par le retrait de Morsi.

Moins d'un an plus tard, un officier de police de haut rang a été condamné à dix ans d’emprisonnement, ce qui est rare, pour négligence grave dans l’affaire des camions de police, mais le même tribunal a annulé le verdict trois mois plus tard.

Aujourd'hui, il existe une guerre tous azimuts dans la région nord du Sinaï égyptien, et elle rampe lentement mais sûrement vers la capitale.

Le 29 juin, le Procureur général égyptien Hisham Barakat a été assassiné lorsqu’une voiture piégée commandée à distance a explosé près de son cortège alors qu'il quittait son domicile.

Ce fut le premier assassinat d'un haut responsable du gouvernement depuis l'assassinat en 1990 du président du Parlement Rifaat El Mahgoub, mais certainement pas la première tentative contre un personnage aussi haut placé.

Il ne fait aucun doute que l'Égypte est sur le point d'entrer dans une nouvelle phase d’insurrection contre le régime actuel, marquée par des assassinats dans le style de ceux qu’a connu Beyrouth.

Hisham Barakat a été la cible logique de l'activité militante qui se développe plus forte et plus puissante de jour en jour. Comme procureur, il a placé un vernis de légitimité sur le massacre de Raaba, car c’est lui qui a donné l'ordre de disperser la manifestation. Le ministre de l'Intérieur Mohamed Ibrahim, qui a survécu à une tentative de meurtre similaire en septembre 2013, était le bras armé dans la mise en œuvre des directives d’Hisham Barakat avec une brutalité et une résolution vengeresse.

Bien qu'il n'y ait eu aucune appropriation de la responsabilité de l'attaque sur Barakat, ce n’est pas un hasard qu’elle se soit déroulée un jour après qu’un groupe islamiste égyptien affilié à l'État islamique, qui se fait appeler Province Sinaï, ait posté une vidéo montrant les détails d'une attaque de mai pendant laquelle ils avaient abattu plusieurs juges. La vidéo était suivie d’un avertissement clair de ce qu’il restait à venir.

Le symbolisme de l'assassinat de Barakat à la veille du 30 juin, le jour de l'anniversaire des deux ans des manifestations à l'échelle nationale qui ont finalement conduit à l'élimination de Morsi, accentue son mandat controversé.

Barakat était au pouvoir lorsque les Frères musulmans ont officiellement été interdits et ont été désignés comme un groupe terroriste responsable de l’opposition au pouvoir. L’État a emprisonné des centaines de membres des Frères musulmans et d’autres encore, tous opposés à la prise de contrôle militaire.

Il a convoqué Morsi, le guide spirituel Mohamed Badie des Frères musulmans et les principaux membres du groupe à un procès que les organisations internationales des droits humains décrivent comme des tribunaux fantoches, où des centaines de peines de mort ont été prononcées malgré l’absence de preuves raisonnables et réelles contre les prévenus.

Barakat a également dirigé la poursuite de journalistes et de militants de l'opposition non-islamistes connus pour leur implication dans le soulèvement de 2011.

Aujourd'hui, un rapport d'Amnesty International affirme que quelques 40 000 détenus croupissent en prison, beaucoup d'entre eux, sans inculpation ni accès à une procédure régulière. L'espace politique est restreint à un degré qui n’avait pas été atteint, même en trente ans de dictature sous Moubarak. Une loi anti-manifestation ciblant toute personne participant à toute forme de dissidence publique, n’offre aucune garantie en cas d’incarcération, ou même contre la mort en toute impunité.

Pourtant, dans une déclaration kafkaïenne qu'il a émis à l'enterrement de Barakat, Sissi a souligné l'adhésion stoïque de son administration à la loi et qu’aucune mesure extrajudiciaire à ce jour n’a été prise, aboutissant à la conclusion naturelle que ces lois qui « avaient longtemps enchaîné les bras de la justice » devaient être modifiées afin d'assurer « une justice rapide », un euphémisme pour l'exécution immédiate des dirigeants des Frères musulmans.

Et en l'absence de législateurs, depuis que les élections législatives ont été reportées sine die, Sissi seul a le pouvoir d'adopter des lois par décret.

Le cabinet a déjà été convoqué mercredi et après une concertation de trois heures, il a approuvé une loi anti-terrorisme plus stricte pour accélérer la procédure pénale.

Le ministre des Affaires parlementaires et de la Justice Transitionnelle Ibrahim al-Heneidy aurait déclaré que la loi de procédure pénale avait été modifiée de façon à couper court aux procès des militants et des terroristes en ne leur offrant le droit qu’à un seul appel de la décision exécutoire de la Cour de Cassation.

Les appels présentés par les accusés passibles de procès en vertu de la nouvelle loi sur le terrorisme vont maintenant être examinés et réglés dans un délai maximum de trois mois, ce qui, dans un système judiciaire connu pour ses procès politisés, ne peut assurer que la mise en œuvre rapide d’une injustice flagrante.

Sous l'administration actuelle, soutenue par un voisinage de tyrans, des meurtriers de masse et la connivence des puissances occidentales, l'Égypte n’est nullement près de devenir le paradis promis de la démocratie, la sécurité, la stabilité et la prospérité économique.

« La guerre contre le terrorisme » de l'Égypte, auto-réalisatrice prophétie de Sissi, a semé les germes d'un conflit plus meurtrier. Les amendements prévus au code pénal sont une violation flagrante des règles de base de tout ordre juridique, le droit à un procès équitable et le droit de faire appel, et donnera naissance à plus de jeunes mécontents prêts à être manipulés par l'État islamique ou quelle qu’autre nouvelle menace à la paix mondiale à la mode.

Pourtant la formule de la réconciliation est claire et simple : une approche politique nuancée qui comprend la libération des milliers de détenus sans inculpation ; un terme aux disparitions forcées, le respect de la primauté du droit, une procédure établie, des procès équitables, et l'ouverture aux Frères musulmans des portes de la société.

On dirait un mirage dans un rêve, pourtant rien n’est impossible si la volonté politique existe pour avancer.

L'alternative ? Nul besoin d’aller très loin : la Syrie, l'Irak, le Yémen.

- Rania Al Malky est une chroniqueuse basée au Caire et ancienne rédactrice du Daily News Egypt (2006-2012).

Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un partisan du président déchu Mohamed Morsi issu des Frères musulmans prend en photo le signe de « Rabaa » derrière des barbelés à l'extérieur de l'académie de police où se déroule la deuxième audience de son procès pour incitation au meurtre le 8 Janvier 2014 au Caire (AFP).

Traduction de l'anglais (original) par Margaux Pastor.

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