L’Iran a échoué à faire lever l’embargo sur les armes
Alors que les Iraniens se réjouissent de l'accord nucléaire qui promet de mettre fin aux sanctions économiques et financières, dans les coulisses des principales institutions de Téhéran beaucoup sont déstabilisés par les insuffisances de l'accord.
Bien que tous les détails de l'accord ne soient pas encore connus, il est clair que certaines des lignes rouges fixées par l'Iran ont été franchies. C'est particulièrement le cas dans le secteur militaire où les négociateurs iraniens - guidés par le premier des dirigeants iraniens, l'ayatollah Khamenei - avaient exclu toute inspection des sites militaires.
À ce stade, il s'avère que les sites militaires ne seront pas exempts d'une inspection par l'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Mais l'Iran a apparemment le droit d'exiger que les inspections soient demandées au cas par cas.
De plus, l'AIEA semble vouloir poursuivre ses recherches sur les activités passées en vue d'acquérir une connaissance approfondie de l'ampleur réelle des activités nucléaires de l'Iran pour ces dernières trois décennies. C'est une infraction supplémentaire par rapport aux lignes rouges préalablement fixées, car cela rendra vraisemblablement nécessaire de longues et indiscrètes entrevues avec les scientifiques et les principaux responsables du programme nucléaire iranien.
Mais le plus grand échec est le maintien de l'embargo sur les armes qui depuis des décennies interdit à l'institution militaire iranienne un accès suivi aux équipements et à la technologie modernes.
L'incapacité à obtenir la levée de l'embargo sur les armes signifie que la position de l'Iran dans la région demeurera sans réel changement dans un avenir prévisible, et la République islamique continuera à s'appuyer sur une diplomatie inventive et sur son influence idéologique pour atteindre ses objectifs en politique étrangère.
Une armée obsolète
Toute étude sérieuse atteste que les forces armées en Iran sont faibles en termes d'équipement et d'armes. Bien que le pays dépense 3 % de son PIB pour le budget de la défense (environ 12 milliards de dollars américains), une grande partie des sommes est dépensée en salaires et dans l'entretien d'organisations militaires pléthoriques.
Le budget iranien de la défense parait maigre comparé à ses deux adversaires au niveau régional, Israël et Arabie saoudite. Cette dernière dépensera presque 50 milliards de dollars pour la défense cette seule année et elle est bien placée pour se placer cinquième dans le monde d'ici 2020 en matière de dépenses pour l'armement.
Même les minuscules Émirats arabes unis (EAU) dispose d'un plus grand budget de la défense que l'Iran et, selon le cabinet IHS Jane basé à Londres, les EAU sont bien placés pour devenir le troisième importateur de matériel de défense d'ici la fin 2015.
La terrible guerre Iran-Irak des années 1980 avait épuisé les forces conventionnelles de l'Iran et, plus d'un quart de siècle plus tard, les forces iraniennes n'ont toujours pas réellement récupéré en termes de niveau d'équipement et de modernisation de leurs structures et doctrines.
Le problème de l'approvisionnement et de l'entretien est compliqué par le fait que chacune des trois armées étaient à l'origine équipées et formées par l'Occident, en particulier les États-Unis. C'est particulièrement le cas de l'armée de l'air iranienne qui continue à user d'une flotte vieillie de F4, F5 et F14 fournis par les États-Unis il y a quarante ans.
Bien que quelques équipements russes – sous la forme de MIG 29 et de SU 24 - aient été acquis en 1989 et 1990, la majeure partie de la flotte aérienne iranienne de combat est encore faite d'équipements venus des États-Unis.
Ceci a entraîné de grosses difficultés dans les travaux de maintenance, car les sanctions ont empêché l'Iran d'accéder au marché officiel des armements pour y faire l'acquisition de pièces de rechange et d'équipements pour maintenir opérationnelle sa flotte aérienne. L'Iran s'est vue forcée à développer un réseau parallèle au niveau mondial pour acquérir des pièces de rechange avec l'aide d'intermédiaires peu recommandables, souvent à des prix prohibitifs.
À un niveau stratégique, l'impossibilité d'accéder aux marchés internationaux des armements a obligé les forces armées iraniennes à mettre en place deux entreprises spécialisées, opérationnelles quoique coûteuses.
Tout d'abord, pour acquérir un niveau crédible de dissuasion, le corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) a développé un large programme de missiles balistiques. Mais bien que l'Iran dispose d'un réseau exceptionnel et diversifié de ce type d'armements, le fait demeure que même le programme de missiles le plus sophistiqué ne peut être un substitut à une armée de l'air efficace.
En second lieu, les Iraniens ont sérieusement tenté de développer une industrie nationale pour l'armement conventionnelle, présentant régulièrement productions et succès. Tandis que quelques percées ont pu avoir lieu dans ce domaine, le fait demeure que la qualité des systèmes produits par les Iraniens eux-mêmes n'a pu être vérifiée de façon indépendante.
Enfin, indépendamment des technologies rudimentaires et des armes fournies aux groupes paramilitaires pro-iraniens à travers la région, les systèmes et armes de production iranienne n'ont pas encore été testés sur le champ de bataille.
Une défense sans nucléaire
La question clé est dans quelle mesure l'accord sur le nucléaire peut potentiellement modifier le dispositif et la doctrine militaires de l'Iran et à plus grande échelle sa politique étrangère. Cela dépend non seulement du contenu de l'accord mais aussi de la façon dont il sera mis en application.
Si, par exemple, un strict embargo sur les armes est dûment maintenu pendant cinq nouvelles années, alors les dynamiques qui conditionnent la posture et les projets militaires de l'Iran resteront pour l'essentiel inchangées. Mais si nous assistons à un allégement progressif des restrictions, alors un changement de comportement pourrait se produire.
L'institution militaire, notamment le CGRI, a fait pression sur les négociateurs iraniens pour faire du retrait des sanctions liées aux armements une condition essentielle. L'échec apparent des négociateurs à obtenir ce résultat signifie que malgré les apparences, le CGRI est profondément mécontent de l'accord.
Alors que l'accord de Vienne ne change pas le statut de l'Iran comme État au seuil du nucléaire, le fait subsiste que le CGRI ne peut pas compter sur un changement radical avant au moins dix à quinze ans.
En dépit de l'absence de preuves d'une dimension militaire au programme nucléaire de l'Iran, la menace d'une évolution en ce sens était l'élément essentiel de la tactique militaire psychologique déployée par le CGRI pour imposer un équilibre stratégique avec les ennemis les plus mortels de la République islamique, notamment Israël.
Cette menace a été maintenant levée et l'incapacité de compenser ce recul par des armes conventionnelles (à cause du maintien des sanctions) signifie que le poids régional de la République islamique diminuera, au moins à court terme.
Il y aura des répercussions internes et externes. A l'intérieur, l'administration de Rohani devra oeuvrer à convaincre l'institution militaire des mérites de l'accord. A l'extérieur, les tensions peuvent monter d'un cran dans la région, le CGRI intensifiant ses activités sur d'autres terrains pour compenser son retrait stratégique.
Mahan Abedin est analyste en politique iranienne. Il est directeur du groupe d'études Dysart Consulting.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des soldats iraniens en tenue de camouflage participent à un défilé le jour de l'armée dans Téhéran le 18 avril. En pleine hausse de la tension entre l'Iran et l'Arabie saoudite, le président Iranien Hassan Rohani a déclaré que l'armée iranienne était purement défensive et ne devrait pas être considérée comme une menace au Moyen-Orient (AFP)
Traduction de l’anglais (original) par Lotfallah.
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