American Psycho : ces psys qui ont aidé à torturer
Tout examen historique des États-Unis dans les dix ans suivant les attentats du 11 septembre est l’examen d’un pays qui a totalement perdu la raison. Des guerres ont été lancées contre ceux qui n’avaient pas attaqué les États-Unis et les relations se sont renforcées avec ceux qui étaient complices de ces attentats.
Tel un ivrogne dans une ruelle sombre essayant de rassembler les chats errants, l’administration Bush a fait plus pour limiter la liberté de ses citoyens que celle de ceux qu’elle considérait comme une menace existentielle. Les États-Unis ont agi avant de penser. Ils ont largué 227 kg de bombes sur des villages afghans et des quartiers irakiens, et ils ont terrorisé les enfants du Yémen jusqu’aux régions frontalières du Pakistan avec le bourdonnement incessant du drone Predator.
Peu de temps après le début de la campagne de bombardements contre al-Qaïda en Afghanistan, les évaluations des services de renseignement estimaient que le groupe terroriste de Ben Laden comptait environ 200 membres. Aujourd’hui, les miliciens de l’organisation État islamique (EI) se chiffrent en dizaines de milliers. En d’autres termes, notre terreur a créé plus de terroristes.
Dans notre poursuite de fantômes, nous avons dépouillé de leurs droits ceux que nous avons kidnappés et torturés. Nous sommes devenus des psychopathes, et maintenant un nouveau rapport montre que l’administration Bush a coopté ceux dont le travail est de diagnostiquer ces troubles psychopathiques : des membres de l’American Psychological Association (APA).
« Notre mission est de promouvoir le développement, la communication et l’application des connaissances en psychologie au profit de la société et d’améliorer la vie des gens. » Telle est la mission énoncée sur le site de l’APA.
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Toutefois, « améliorer la vie des gens » ne correspond pas exactement à ce qu’a fait l’APA pendant la présidence de George W. Bush.
Vendredi, James Risen, journaliste d’investigation au New York Times, a dévoilé un rapport de 542 pages qui éclaire sur la façon dont les membres de l’American Psychological Association ont agi de concert avec la CIA pour émousser et contrer les dissensions sur l’utilisation de la torture, puis ont menti et couvert leur étroite collaboration avec les responsables de la CIA pour affaiblir les directives déontologiques de l’association dans le but (récompense financière) de permettre à des psychologues de participer au programme d’interrogatoires musclés et violents du gouvernement.
« D’après les preuves dont ils disposent concernant les interactions significatives entre l’APA et des membres du gouvernement, ils pensent que la seule explication logique aux actions de l’APA est sa collusion ou son étroite coordination avec le gouvernement. Ils décrivent les motifs et les intentions apparents de l’APA de différentes manières, allant d’un désir de gagner la faveur du gouvernement à l’intention d’aider les fonctionnaires à se livrer à la torture. Et certains sont convaincus que la synchronisation des actions de l’APA avec celles de l’administration Bush établit que l’APA a agi en coordination explicite et étroite avec de hauts responsables de l’administration », indique le résumé du rapport établi par le cabinet d’avocats indépendant, Sidley Austin LLP, au nom du conseil d’administration de l’APA.
Pendant des années, l’APA a nié à maintes reprises que ses membres aient été complices du programme de torture du gouvernement américain. Ce rapport ne détruit pas seulement ce mythe, mais démontre également comment l’APA a manqué à son serment « de ne pas nuire » se retranchant derrière le voile de la « sécurité nationale ».
Le rapport comprend plus de cent entretiens et des milliers d’e-mails. Un de ces e-mails comprend un échange entre la CIA et Melvin Gravitz, un membre de la gouvernance de l’APA. Gravitz écrit :
« Bien que le code de déontologie de l’APA se concentre principalement sur le souci de l’individu (par exemple, le client ou le patient), il reconnaît également que le psychologue a une obligation envers le groupe d’individus, tel que la Nation.
« Le code de déontologie est en substance un ensemble d’aspirations et de lignes directrices, et celles-ci doivent être appliquées de manière flexible en fonction des circonstances. »
Lorsque le fascisme débarquera en Amérique, il sera enveloppé dans le drapeau et tout un pataquès sur la sécurité nationale. Il est clair que la cooptation d’une branche indépendante de la communauté médicale par le gouvernement signifie que le fascisme avait effectivement débarqué en Amérique pendant les années Bush/Cheney.
Des hommes et des garçons innocents ont été battus, affamés, violés et assassinés parce que l’administration Bush croyait que des informations significatives pourraient être recueillies par le recours à la torture. J’ai interviewé une victime du programme de torture américain (Moazzam Begg) ainsi que ceux qui ont travaillé aux côtés de ses responsables (Joseph Hickman, sergent à Guantanamo). Non seulement la torture ne permet pas d’obtenir des renseignements, mais elle brise également les deux parties sur le plan émotionnel et psychologique. Cependant, bien que l’APA le sache déjà, elle a approuvé le recours à la torture.
« Les psychologues savaient qu’il existait un large consensus au sein de la recherche en sciences du comportement par rapport à l’inefficacité de la torture », écrit James Risen dans Pay Any Price. « Et pourtant, ils n’ont formulé aucune plainte. Pire encore, ils y ont participé, et discrètement changé le code de déontologie de leur profession afin de permettre à la torture de se poursuivre. En retour, les psychologues ont bénéficié de pas mal d’argent et d’avantages sociaux de la part du gouvernement. »
Le rapport démontre clairement que la définition restrictive qu’ont les États-Unis de la torture a permis à l’administration Bush et à l’APA de redéfinir ce qui constituait la véritable torture. Malgré le serment de l’APA de « ne pas nuire », l’association s’est entendue avec le gouvernement pour considérer le supplice de la baignoire, les positions douloureuses, l’alimentation rectale (sodomie), etc. comme étant des méthodes de « techniques d’interrogatoire renforcées » plutôt que de la torture.
Les avantages financiers pour avoir fait preuve de complaisance à l’égard de la CIA et du ministère de la Défense (DoD) sont mentionnés clairement dans le rapport : « Les considérables avantages qu’a obtenus l’APA du DoD expliquent en partie pourquoi elle a choisi de complaire à ce dernier et montrent que l’APA avait probablement un conflit d’intérêt organisationnel et aurait dû prendre des mesures afin de s’en prémunir. Le DoD est l’un des principaux employeurs de psychologues et offre des millions de dollars en subventions et contrats aux psychologues à travers le pays... L’APA voulait influencer positivement le DoD en ce qui concerne cette politique [les activités de collecte de renseignements] de sorte que les psychologues y prennent part dans la mesure du possible et qu’ils ne perdent pas leur rôle prépondérant au profit des psychiatres ».
Encore plus révélateur, la CIA et le Pentagone ont volontairement ignoré des études de premier plan, évaluées par des pairs, sur l’efficacité et les risques de la torture. Une de ces études mentionnées dans le rapport est celle d’un psychologue de Yale, Charles « Andy » Morgan. Les études de Charles Morgan montrent que le recours à des techniques de torture « altère la mémoire et suscite des réponses inexactes chez les individus soumis à cette stratégie ».
« En faisant peur et en stressant les gens, on obtient de fausses informations », a déclaré Morgan à propos des techniques de torture mises en place par la CIA et le ministère de la Défense. « Si vous me rendez anxieux, inquiet et angoissé, je suis davantage susceptible de vous donner ce que vous voulez. Je vais vous faire de faux aveux. Un niveau de stress élevé ne semble pas efficace pour une bonne collecte d’informations. » Il ajoute : « La torture sert pour certaines choses. Elle est idéale pour réduire les adversaires au silence. »
Cependant, l’administration Bush/Cheney n’avait aucune envie de lire de véritables études portant sur la torture. Elle voulait simplement donner un semblant de légitimité à son programme de torture. L’approbation de l’APA a rempli ce rôle. « La principale raison pour laquelle le recours à des techniques abusives s’est propagé tenait peut-être au fait que cela cadrait parfaitement avec la façon dont la Maison Blanche de Bush voulait poursuivre la nouvelle "guerre mondiale contre le terrorisme" », écrit Risen.
« Dès le départ, le président Bush et le vice-président Cheney ont considéré la lutte contre al-Qaïda comme une question de sécurité nationale plutôt qu’un problème criminel à traiter en appliquant la loi. Cette décision a permis à George W. Bush de se dissocier de son prédécesseur démocrate, Bill Clinton. Mais Cheney avait des motivations plus profondes encore : il voulait revenir sur les réformes imposées à l’exécutif dans les années 1970, quand il travaillait à la Maison Blanche sous la présidence de Gerald Ford. Bien que la torture n’ait jamais été tolérée aux États-Unis, Cheney voulait démontrer qu’il n’y avait pratiquement pas de limite au pouvoir présidentiel en temps de guerre. »
En dépit du fait que ce rapport sur la collusion entre l’APA et la CIA soit un nouveau chapitre révélateur de l’exécution sordide et démente de la "guerre contre le terrorisme" des États-Unis, il sera traité par les grands médias américains comme un détenu de Guantanamo : ignoré et oublié.
- CJ Werleman est l’auteur de Crucifying America, God Hates You. Hate Him Back et Koran Curious. Il est également l’animateur du podcast « Foreign Object ». Suivez-le sur Twitter : @cjwerleman
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : locaux de l’American Psychological Association.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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