La chancelière Merkel et la jeune réfugiée palestinienne
Mardi 14 juillet, la chancelière allemande Angela Merkel a participé à un programme télévisé, intitulé Good Life in Germany, dans lequel elle s’est adressée à un public d’adolescents. Dans l’audience se trouvait Reem, une réfugiée palestinienne de 13 ans qui a fui son camp au Liban il y a quatre ans.
D’une voix tremblante, dans un allemand parfait, la jeune Reem a déclaré devant les caméras : « J’ai des objectifs comme tout le monde… Je veux aller à l’université ». Cependant, a-t-elle expliqué, elle et sa famille vivent sous la menace d’une déportation imminente. « C’est terrible de voir comment les autres peuvent profiter de la vie alors que je ne peux pas », dit-elle. « Je veux étudier, comme eux. »
En réponse, la chancelière Merkel a proféré le discours typique sur la peur occidentale des immigrés, disant que si l’Allemagne lui permettait de rester, il y aurait des milliers de réfugiés palestiniens, puis des centaines venant d’« Afrique » (ce pays singulièrement vaste), qui envahiraient l’Allemagne. « Nous ne pouvons faire face à cela », a-t-elle tranché. La jeune Reem s’est alors effondrée en larmes et la vidéo de son interaction avec Merkel s’est rapidement propagée sur les réseaux sociaux.
Les titres des journaux et les analyses politiques à travers l’Europe et les États-Unis ont traité de cette réponse sèche de Merkel à une jeune fille courageuse, désespérée d’avoir une éducation, une existence stable et de ne plus vivre dans la peur et l’incertitude permanentes. J’ai lu au moins quinze articles d’opinion sur le sujet et la plupart analysait l’incident dans le cadre de la « crise de l’immigration » si débattue de l’Europe de l’ouest.
Les experts de gauche ont critiqué l’insensibilité de la chancelière, insistant sur la responsabilité humanitaire de l’Europe envers les malheureux du monde. Les experts de droite se sont, pour leur part, fait l’écho des sentiments de Merkel, faisant valoir que l’Europe a suffisamment de soucis comme ça et ne peut prendre à sa charge tous les maux de la planète. D’autres étaient simplement pragmatiques, répétant notamment les mots d’Eva Lohse, présidente de l’Association des villes allemandes, qui avertissait : « Nous avons atteint nos limites d’accueil ».
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Tous ces analystes ont toutefois ignoré le point le plus important.
En effet, aucun n’a mentionné le fait que Reem est une refugiée à cause, directement et indirectement, des actions de l’Allemagne. Reem, et « des milliers et des milliers de réfugiés palestiniens », comme le dit si bien Merkel, sont apatrides précisément parce que l’Allemagne et les autres nations occidentales continuent de soutenir le colonialisme sioniste qui a expulsé, et continue d’expulser, les Palestiniens autochtones de leurs terres ancestrales.
Reem n’aurait pas besoin de la « charité » allemande si l’Allemagne exigeait que l’aide militaire et financière massive qu’elle octroie à Israël soit conditionnée au respect par ce dernier des principes de base de la moralité et du droit international, qui donnent explicitement à Reem le droit de vivre sur ses terres.
Reem ne serait pas dans cette situation si l’Allemagne conditionnait les nombreuses et lucratives aides économiques et commerciales de l’Europe à Israël au démantèlement de l’apartheid sioniste qui considère Reem comme un être sous-humain, indigne de son propre héritage, de sa patrie et de son histoire.
Plus important encore que l’énorme soutien matériel de l’Allemagne est son blanc-seing à l’approfondissement du racisme structurel et institutionnel en Israël, où des privilèges et droits spéciaux sont concédés aux citoyens en fonction de leur religion. C’est à cause de la couverture politique que l’Allemagne fournit à Israël pour détruire la vie, la société et la culture palestiniennes en toute impunité que Reem demeure une réfugiée.
L’été dernier, par exemple, après qu’Israël a massacré les Palestiniens de Gaza depuis la terre, le ciel et la mer, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a appelé les Nations unies à « dépêcher de toute urgence une commission d’enquête indépendante et internationale pour enquêter sur toutes les violations [du droit international] commises dans les territoires palestiniens occupés, y compris à Jérusalem Est, et tout particulièrement dans la bande de Gaza occupée, dans le contexte des opérations militaires menées depuis le 13 juin 2014 ». En dépit des horreurs endurées par les Palestiniens pendant les cinquante-et-un jours de la guerre, l’Allemagne n’a pas su faire preuve d’un minium d’humanité envers le sort des Palestiniens, refusant de voter en faveur de cette demande.
En regardant la vidéo, ceux d’entre nous pourvus d’un certain sens de l’histoire ne peuvent que bouillir de colère devant un tel spectacle de paternalisme occidental. La réponse de Merkel était une démonstration parfaite du déni volontaire et désarmant du problème des réfugiés par l’Occident, qui en est pourtant responsable
La vérité est que notre région est aujourd’hui en ruines, déchirée par la peur et la dévastation, largement à cause de l’impérialisme occidental qui, dans sa poursuite de l’hégémonie, a méprisé, ignoré et bafoué nos existences. De l’Irak à la Libye en passant par la Palestine, l’Allemagne a joué un rôle à la fois terrible et crucial dans notre éviscération.
Avec ses alliés occidentaux, l’Allemagne a fait de nos mères, de nos médecins et de nos professeurs des mendiants, et a produit des générations d’illettrés traumatisés parmi ce qui était autrefois une population hautement fonctionnelle. Ils ont détruit les fondements de nos sociétés et défait les mécanismes sociaux qui marginalisaient les éléments extrêmes, engendrant ainsi du chaos et de la misère béante de nos vies une organisation puissante de fanatiques sanguinaires.
Alors, s’il vous plaît, vous les experts à la pensée de gauche, de droite ou pragmatique, épargnez-nous vos âneries égoïstes sur la question de savoir si vous devriez ou non « aider » les autres. Au minimum, essayez d’injecter ne serait-ce qu’une once d’autocritique honnête dans vos discours sur l’immigration. Examinez le rôle que vous avez joué dans les crises qui font rage à travers le monde et qui jettent des êtres humains désespérés sur vos plages. Demandez-vous pourquoi Reem est une réfugiée de la 3e voire de la 4e génération, et quel est le rôle de l’Allemagne dans la tragédie infinie qui continue d’accabler la Palestine.
- Susan Abulhawa est une romancière et essayiste à succès. Son dernier roman, The Blue Between Sky and Water, a été publié cette année dans plusieurs langues.
Cet article est paru pour la première fois dans Counterpunch.
Photo : la chancelière allemande Angela Merkel participe à un débat sur la crise des réfugiés en Méditerranée au Bundestag, la chambre basse du parlement allemand, à Berlin, le 22 avril 2015, suite au décès de 800 migrants dans le naufrage de leur embarcation au large de la Libye (AFP).
Traduction de l’anglais (original).
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